A la notion majeure de centre, il est possible d’associer deux notions qui l’accompagnent presque toujours, même de façon implicite : le nœud et le pôle.
Textile: le nœud est un entrecroisement serré de fil. Par métaphore, dans le territoire, un « nœud » est un lieu de rencontre entre des lignes appartenant au même réseau ou bien à des réseaux différents. Les nœuds sont hiérarchisés : certains n’ont qu’une fonction locale, d’autres ont une importance nationale ou mondiale (un hub aéroportuaire par exemple). La position d’un nœud par rapport aux autres nœuds est un élément déterminant de son développement. La ville, parce qu’elle est un territoire marqué par l’échange, est le plus souvent un territoire développé à partir d’un nœud de communication, un fait que les géographes ont exprimé par la notion de « situation ».
Physique: le pôle est l’extrémité d’un aimant qui attire le pôle opposé. Par métaphore, pour la géographie et l’économie, le pôle est un lieu qui attire et concentre les flux de personnes et de biens. La pratique du recours au service le plus proche organise des niveaux de polarité hiérarchisés selon la plus ou moins grande rareté de l’usage des services, qui se traduit elle-même par une hiérarchie de la taille des pôles et de la dimension de leur aire d’influence.
Troisième figure: le centre. Alors que la dimension polarisante d’un lieu peut se mesurer par une quantité de flux, la centralité repose sur la diversité et l’abondance des hommes qui font société et celles des fonctions qui font l’économie.
Les trois dimensions de nœud, de pôle et de centre se superposent pour créer le fait urbain. Pourtant, le travail de l’urbaniste consiste, bien souvent, à savoir s’il faut superposer nœuds, pôles et centres, et comment, ou bien les dissocier dans l’espace urbanisé.
Dans le champ de l’aménagement opérationnel, l’idée selon laquelle ces trois dimensions de la ville doivent être superposées, juxtaposées et même intimement mêlées a présidé à de nombreux projets urbains, utilisant ce que la composition urbaine, l’espace public, l’architecture et le patrimoine peuvent apporter à la recherche de l’attractivité. Les quartiers de gare sont à cet égard des lieux privilégiés de la mise en synergie des fonctions de nœud et de centre. Mais ce que montre l’évolution spatiale de la ville, c’est aussi la dissociation de ces fonctions, sous le double effet de la persistance du zonage et de l’ « auto-mobilité » : par exemple, des nœuds routiers disjoints des centres accueillant l’activité logistique et industrielle, et même le tertiaire de bureau.
La polarisation de l’espace urbain dense n’est d’ailleurs pas sans poser elle-même ses propres problèmes de compatibilité entre la qualité de vie des quartiers résidentiels et les ambiances intenses des pôles d’activité et de transport. Ce sont le dialogue et même le débat entre ces tendances divergentes qui animent pour partie la conception du projet urbain, désormais plongée dans les pratiques de la concertation. In fine, la centralité conserve-t-elle un sens lorsqu’elle mue vers des formes nouvelles, celles du polycentrisme, de la « centralité dispersée » voire diffuse… ?
Ce que disent les auteurs sur la centralité, la polarité et la nodalité:
Paul Claval
Le géographe Paul Claval dans un ouvrage de synthèse remarquable, « La logique des villes », publié en 1981, propose une définition de la ville comme « commutateur social » : la ville est d’abord un nœud dans les réseaux de circulation, nœud qui produit des polarisations et, parfois, des centralités.
De cette définition de la ville, découle son analyse de l’émergence des « nœuds » de communication, dont dérive la concentration en quelques lieux :
Reprenant une tradition géographique qui s’intéresse à la dispersion et au groupement des fonctions dans l’espace, Paul Claval synthétise ses réflexions :
Saskia Sassen
Dans une réflexion sur les villes globales, Saskia Sassen, sociologue et économiste, rappelle l’importance des « nodalités » dans l’organisation de l’espace, malgré l’impression d’une dépendance moins forte aux lieux que le développement des nouvelles technologies pourrait laisser espérer. Elles soulignent également le fait que le rayonnement des centres et des pôles obéit parfois moins à une logique de distance qu’à une logique de réseau : les métropoles ont parfois moins de liens avec leurs arrière-pays qu’avec d’autres métropoles.
Marcel Roncayalo
Pôle, nœuds et centres, le géographe Marcel Roncayalo précise en 1967, à partir de l’exemple de Marseille, les différents « ingrédients » d’un centre-ville … et pose la question du pouvoir symbolique maintenu du centre.
Edmond About
Pourquoi choisir la proximité aux pôles d’emploi et au centre symbolique ? Une ressource pour laquelle on peut être conduit à faire beaucoup de sacrifices. Alors qu’aujourd’hui l’accessibilité au centre paraît plus aisé par les transports collectifs, ce texte de 1867 n’est-il pas toujours d’actualité au regard des efforts consentis par les plus humbles pour conserver un logement près du cœur des grandes métropoles ?
Raymond Ledrut
Raymond Ledrut développe une approche sociologique et psychosociologique de la centralité.
Olivier Adam
Pour illustrer l’absence de centralités dans les espaces périurbains, ou plutôt la désarticulation entre centralité, polarité et nodalité, un extrait de ce roman contemporain d’Olivier Adam, paru en 2012
Didier Vanoni et Elizabeth Auclair
En lien étroit avec le texte précédent, une réflexion de Didier Vanoni et Elizabeth Auclair en 2002 sur centralité dans les espaces périphériques, non sans rapport avec les notions d’espace public et de densité.
René Schoonbrodt et Luc Maréchal
Dans le court extrait qui suit, René Schoonbrodt et Luc Maréchal, en 2000, invitent à différencier la densité de la compacité, deux notions très souvent confondues, voisinant avec celles de diversité, de nouveau, et avec celle de compacité, non citée mais amenée par l’image de la ville « ramassée ».
Francis Ponge
Un petit texte de Francis Ponge qui rappelle, à l’heure où la densification autour des gares est un leitmotiv des politiques publiques, que le nœud, par la concentration des flux qu’il implique, est aussi le lieu de bien des embarras !
Références
Edmond About, « Dans les ruines », Paris Guide, tome II, La Vie, 1867.
Olivier Adam, Les lisières, Flammarion, 2012.
Paul Claval, La logique des villes : essai d’urbanologie, Litec, 1981.
Raymond Ledrut, Sociologie urbaine, PUF, 1968, 3ème édition 1979.
Francis Ponge, Pièces, Éd. NRF, Poésie/Gallimard, 1961.
Marcel Roncayolo, « Le « centre de la ville » à Marseille », Urban Core and Inner City, Actes du colloque de l’université d’Amsterdam, 11-17 septembre 1966, Leiden, E.J. Brill, 1967, pages 162-182, repris dans Lectures de villes, formes et temps, Parenthèses, 2002.
Saskia Sassen, « Introduire le concept de ville globale », Raisons politiques, 2004/3, n° 15.
René Schoonbrodt et Luc Maréchal, La ville, même petite, éditions Labor, Bruxelles, 2000.
Didier Vanoni et Elizabeth Auclair dans La ville émergente, PUCA/Ministère de l’Equipement, 2002.