Limites des monnaies locales
Séquence 5.4 du MOOC
juin 2018
Learning center Ville durable (LCVD)
Cette séquence met en exergue les limites des monnaies locales dans leur mise en œuvre telles que la sous-estimation des coûts de fonctionnement comme l’animation et l’ingénierie, le coût de la mise en œuvre et de la pérennisation des monnaies locales (impression des billets…), l’absence d’anticipation de certaines conditions comme la gouvernance, la complémentarité entre les acteurs économiques…
Philippe Derudder signale que la notion de coût est relative à l’objectif que l’on se fixe. Les monnaies locales ont un objectif ambitieux et le coût est finalement minime par rapport à la taille de l’ambition. On participe à une expérience dont la finalité est d’impulser un nouveau modèle de société. C’est une expérience à ambition monumentale faite avec un coût très réduit.
La monnaie n’est finalement qu’un moyen de faciliter la production d’une richesse qu’est la vie, le bien-vivre ensemble. On est finalement dans un changement de paradigme qui a pour finalité de ne plus dépendre de l’argent pour vivre (« gagner sa vie »).
Dans ce sens, le fait de demander finalement à une collectivité de payer un salarié pour animer la monnaie est une richesse plutôt qu’un coût.
Philippe Derudder prévient que si on ne voit dans une monnaie locale qu’un outil économique pour faciliter la croissance d’une économie locale, l’économie traditionnelle le fait déjà très bien. Tout dépend de la vision et de la compréhension que l’on a de cette alternative et de son ambition finale, la définition d’un nouveau modèle de société.
Pour Eric Dewaele, le coût des monnaies locales est un mixte entre temps et argent. Par exemple, le réseau des monnaies citoyennes de la Belgique Francophone, Financité (10 monnaies citoyennes plus quelques-unes en cours de création), réunit 150 personnes investies au moins une fois par semaine pour le fonctionnement du réseau. Si on est dans une économie de temps, beaucoup de richesses et d’investissements à long terme sont créés sans qu’il y ait une nécessité de retours financiers. Quand les personnes s’engagent, il est important de savoir ce qu’elles attendent comme retours, pourquoi elles viennent, leurs objectifs dans le collectif… En fonction de ces objectifs, elles trouvent leur place.
La question du financement est ensuite abordée. Il y a deux temps :
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au départ, les monnaies locales citoyennes sont souvent financées par des « bouts de ficelles ». Par exemple, un club d’entreprises, un sponsor privé, un pouvoir public, une société folklorique, une autre association… notamment pour les premières impressions de billets, pour l’amorce.
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puis vient la question du salariat. Cette question se pose particulièrement quand le volume grandit, entrainant dans le même temps une hausse de la responsabilité du collectif. Le salariat est souvent lié au potentiel que l’on peut trouver auprès des pouvoirs locaux : mise à disposition d’une personne, subventions…
Il est évident que quand les pouvoirs publics locaux viennent en soutien, c’est un « vecteur d’accélération de développement » important. Mais avant d’entrer dans cette discussion, il est nécessaire que les collectifs citoyens fondés sur une base volontaire soient suffisamment structurés, avec des objectifs clairs, pour discuter le financement avec les pouvoirs publics. En effet, sur des territoires locaux, la tentation est grande de devenir le jouet du Maire. La question est alors de voir comment utiliser une petite partie du bien commun (argent public) pour développer la monnaie locale.
Miguel Iturra revient sur l’expérience Bou’Sol. Il y a 3 temps forts pour la mise en place d’une monnaie locale et citoyenne :
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avant le modèle économique, le temps d’ingénierie est indispensable, c’est-à-dire le temps de la création de la communauté (citoyens et acteurs économiques), du projet, de la première mise en circulation… Ce temps est difficile à valoriser car c’est du temps bénévole et il faut réussir à mettre autour de la table différents partenaires. A Boulogne-sur-Mer, le crédit municipal de Boulogne est devenu la banque de Bou’Sol, tandis que la Communauté d’Agglomération a fait le soutien technique puis financier du projet. C’est un temps important avant d’arriver à la question du salariat.
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une fois le projet lancé, l’animation est indispensable à la pérennisation du projet, même si le réseau de prestataires et les utilisateurs doivent rester les premiers ambassadeurs pour faire grandir le projet.
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la question du salariat vient ensuite. Chaque monnaie y répond à sa façon. Ce peut être un commissionnement sur les opérations, un partenariat avec la collectivité locale, des dons de partenaires privés… c’est la partie la plus compliquée qui fait que le projet se pérennise ou non.
Pour Philippe Derudder, on parle de l’alternative citoyenne. Les citoyens doivent donc imaginer parvenir à un autofinancement par le biais notamment d’une cotisation annuelle, par exemple. Cela permet une liberté d’action tout en responsabilisant les citoyens et leur engagement, et permet d’éviter de dépendre des pouvoirs publics qui peuvent décider du jour au lendemain d’arrêter les subventions. Cela permet l’implication plus forte des citoyens qui ont mis de l’argent dans le projet. Eric Dewaele ajoute dans ce sens l’importance pour les utilisateurs d’être au clair avec ce qu’ils attendent d’une monnaie locale.
A terme, pour arriver à des systèmes qui s’autofinancent, il y a deux axes à prendre en compte :
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le support promotionnel pour les commerçants acceptant d’être payés en monnaies locales. C’est de la promotion gratuite qui vaut une contrepartie.
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un regard sur le système de paiement. On assiste aujourd’hui à une explosion des systèmes de paiement électronique (notamment en Belgique, il existe une concurrence entre les terminaux de paiement, terminaux qui coûtent très chers aux commerçants dans tous les cas). Le fait de proposer un moyen de paiement papier et électronique moins cher que ces terminaux traditionnels tout en ayant une gouvernance citoyenne derrière est un point positif pour les monnaies locales. Le fait d’avoir un droit de regard pour les acteurs économiques sur ce qui est fait des rentrées d’argent dans le réseau, ce qui n’est pas le cas avec les autres systèmes de paiement privés, est un point fort.
En savoir plus
La conférence Solution Monnaie-terre est accessible en intégralité ici
Philippe Derudder, Une monnaie au service du bien commun : Libérer l’intérêt collectif du carcan de l’économie marchande, Yves Michel éditions, 2017. 133p
ADEME, Vertigo Lab, Les Monnaies Locales Complémentaires Environnementales - État des lieux, impacts environnementaux et efficacité économique, novembre 2016. 175 p.
RTES, Nord-Pas de Calais : 5 films de 5 minutes pour comprendre les Monnaies locales complémentaires, 2015
Réseau belge Financité
Réseau des Monnaies Locales Complémentaires Citoyennes
Monnaies locales présentées dans la séance :
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Monnaie Locale Bou’Sol (Boulogne-sur-Mer, France)
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Monnaie Locale Abeille (Villeneuve-sur-Lot, France)
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Monnaie Locale le Val’heureux (Liège, Belgique)
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Monnaie Locale Eusko (Pays Basque Français)
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Monnaie Locale l’Ardoise (Région Semois Lesse, Belgique)
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Monnaie Locale Orno (Région de Namur, Belgique)
Reportage sur l’Ardoise
Eric Dewaele, Pauline Cosyns, Willy Tadjudje, Annika Cayrol, Monnaies citoyennes : Comment développer des outils d’évaluation interne ?, Réseau Financité, 62p.