Vers un urbanisme soutenable pour les mobilités quotidiennes.
Créer les conditions d’une mobilité durable
Frédéric Larose, 2011
Il est difficile d’analyser l’impact des transports sur les modes d’urbanisation, car les responsables évaluent les transports principalement en fonction de leur taux d’utilisation et non pas sur leur contribution à aménager le territoire. Les effets de l’urbanisation sur la mobilité sont quant à eux beaucoup plus visibles, ce qui explique l’apparition tardive des transports dans les processus d’aménagement. Les différents exemples montrent la difficulté de concilier urbanisme et transport et soulignent l’importance des différentes dynamiques urbaines en tant que facteurs déterminants de l’aménagement : prix du foncier, ségrégation socio-spatiale, enjeux de gouvernance, etc.
L’urbanisme peut contribuer à réduire les inégalités de mobilité parmi les populations périurbaines. Les conditions de déplacements et les infrastructures de transport peuvent également infléchir le développement des aires urbaines. La complémentarité entre urbanisme et infrastructure de transport est donc importante à prendre en compte, car elle conditionne en grande partie la réussite ou non d’un projet d’aménagement quelle que soit sa nature.
Faire d’un lieu, un espace attractif consiste à le rendre accessible au plus grand nombre. Certains centres-villes très attractifs sont cependant peu accessibles aux populations vivant en banlieue ou en dehors de l’agglomération. Pour rendre les pôles d’emplois et les services urbains plus accessibles, agir sur les dynamiques de l’étalement urbain semble être indispensable pour réduire les inégalités de déplacements. L’étalement urbain étant irréversible, il est nécessaire de connaître les caractéristiques des territoires existant pour penser de nouvelles politiques d’aménagement. Nous retiendrons trois caractéristiques applicables à la plupart des territoires périurbains : les territoires périurbains sont monofonctionnels ; l’usage de la voiture y est prédominant ; l’accessibilité des lieux se fait par la vitesse et non par la proximité (les temps de trajets deviennent plus importants que les distances parcourues).
A partir de cette observation sommaire, on peut imaginer trois types d’actions allant à l’encontre des dynamiques de l’étalement urbain : favoriser le polycentrisme urbain, densifier l’habitat autour des gares, et mieux maîtriser la vitesse en ville. Ces propositions peuvent sous certaines conditions permettent de réduire les distances parcourues quotidiennement ou plus simplement de faciliter les conditions de mobilité des habitants. Mais ces projets peuvent également avoir des effets pervers d’où la nécessité de considérer urbanisme et mobilité en tant que véritable système.
Polycentrisme urbain
Développer de nouvelles centralités en périphérie ou au sein des grandes villes apparaît régulièrement comme le meilleur moyen de réduire la mobilité des populations périurbaines. L’idée est qu’en multipliant l’apparition de nouveaux centres autour d’un pôle central, on améliore l’accessibilité de l’emploi par la réduction des trajets quotidiens. Cependant, il est important de préciser les conditions qui permettent à un modèle urbain polycentrique de réduire efficacement les déplacements quotidiens. Nous pouvons distinguer trois types de centralités :
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Les centres de voisinage concernent les activités de commerces et de services à la personne qui émergent à proximité des populations locales ;
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Les centres d’agglomération, qui rayonnent à l’échelle des bassins d’emplois, polarisent une importante main d’œuvre dans des secteurs très divers ;
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Les centres métropolitains concentrent des activités souvent motrices pour le développement économique (quartiers d’affaires, pôles de recherche, conglomérats de grandes entreprises…) et dont l’attractivité s’étend à l’échelle de la métropole toute entière.
À chaque centralité correspond des fonctions et des conditions de mobilités particulières. Si les centres de voisinages émergent en fonction de la densité de population, l’apparition des centres métropolitains est souvent le résultat d’une concertation entre les autorités politiques et de grandes entreprises.
La répartition des fonctions métropolitaines est telle qu’elle contribue à la concentration de certains types d’emplois et à une saturation des réseaux de transports aux heures de pointes autour de certains centres. Elle participe également à une spécialisation fonctionnelle des territoires et à rendre plus difficile l’apparition de services urbains de proximité plus susceptibles de polariser une population socialement mixte.
Le rôle des infrastructures de transport est ambigu. Une liaison ferroviaire entre deux pôles, l’un central, l’autre secondaire, peut soit favoriser un développement conjoint fondé sur des interactions économiques plus nombreuses, soit faire du pôle secondaire le support d’une forte périurbanisation, devenant en quelques sortes, une nouvelle banlieue de la ville-mère. Si le pôle secondaire est le support d’une planification urbaine en vue d’un transfert d’activité, les choix d’infrastructures lourdes et rapides auront pour conséquence de renforcé la discordance spatiale entre les lieux d’habitat et d’emploi, les ménages étant incité à rester là où vivent.
La politique du Grand Paris est un bon exemple d’illustration d’un polycentrisme dont les finalités (devenir une métropole mondiale) ne profiteront pas aux populations locales. Reliées par des réseaux de transports lourds, ces pôles d’excellence s’adressent en priorité à des populations aisées et très qualifiés. Les constructions des nouvelles infrastructures de transport auront très certainement pour conséquence une forte augmentation de la pression foncière et donc d’une ségrégation des territoires. Le polycentrisme urbain n’est donc pas une solution toute trouvée aux problématiques actuelles de la mobilité quotidienne. Une meilleure répartition de l’emploi paraît nécessaire pour permettre la réduction des inégalités sociales entre les territoires urbains, mais cela ne permet pas automatiquement de rapprocher l’emploi et les lieux de résidence.
Densifier autour des gares ferroviaires
Plus classique, la densification autour des gares est au programme de nombreux documents d’urbanisme. Les plans locaux d’urbanisme (PLU), par l’intermédiaire des règles d’urbanisme et des coefficients d’occupation des sols, peuvent décider de l’affectation des sols dans le périmètre administratif de la commune. Les règles d’urbanisme fréquemment utilisées pour limiter l’étalement urbain concernent principalement la mise en place d’un plan de zonage restrictif des activités et de règles plus spécifiques concernant la densité minimale des surfaces constructibles (dans le cas précis, densifier autour des gares). Cependant, l’étalement urbain ne peut être maîtrisé efficacement que si les communes coordonnent leur action à travers des documents d’urbanisme recouvrant une échelle qui aille au-delà de la simple échelle communale. Les Schémas de Cohérence Territoriaux (SCOT) en s’inscrivant dans une dynamique intercommunale s’imposent aux PLU de leur territoire en fixant des règles de compatibilité entre leurs orientations et les « règles » des PLU. Ils donnent également les grandes lignes des politiques de déplacement. Les Plans de Déplacements Urbains constituent depuis la Loi un SRU un volet des SCOT, d’où leur importance, car ils peuvent concilier urbanisme et mobilité à l’échelle d’un bassin d’emploi. La difficulté de mettre en place un SCOT efficace réside dans les divergences de choix politiques entre les élus, dont certain voit dans la périurbanisation de nouvelles entrées fiscales et des opportunités de développement. Dans de nombreux cas, les planificateurs s’accordent sur la nécessité de densifier les quartiers adjacents aux gares, afin d’améliorer l’accessibilité des infrastructures ferroviaire et donc de faciliter les déplacements des riverains. Ainsi s’est développé dans de nombreuses agglomérations une urbanisation en « doigts de gants », c’est-à-dire une urbanisation le long des voies de chemins de fer reliée à pôle central où se concentrent les emplois. L’objectif principal de cette politique est avant tout de réduire l’usage de l’automobile, en orientant les choix de localisation des ménages vers des nœuds modaux, et de limiter étalement urbain non maîtrisé.
Cependant ce modèle n’obtient pas toujours les résultats espérés. Premièrement parce que de nombreux ménages périurbains sont déjà « multimodaux » utilisant quotidiennement le train et leur voiture, leur permettant d’habiter à l’écart des centres urbains. Deuxièmement, un projet de densification urbaine doit répondre à une demande du marché, or en milieu périurbain la tentation est souvent de concentrer les populations les plus vulnérables dans des habitats sociaux.
On voit bien qu’il est nécessaire de penser l’urbanisme et les transports ensemble. Faire émerger de nouvelles centralités est un exercice très délicat, car la réussite d’un tel projet implique de créer un territoire attractif au sein d’un territoire lui-même particulièrement dépendant de la ville-mère, où se trouve la majorité des emplois. Le polycentrisme n’est donc pas toujours la solution aux problèmes de la sur-mobilité, notamment lorsque l’autonomie des pôles n’est pas assurée.
Maîtriser la vitesse
La démocratisation de la vitesse dans les transports est à l’origine de la forte croissance des distances parcourues. Elle a permis de vivre plus loin des centres-villes tout en étant à une distance temps acceptable des services urbains et des pôles d’emplois. Comme nous l’avons vu ailleurs, la vitesse « bon marché » est une des conditions de l’étalement urbain. Réduire la vitesse ou la rendre plus coûteuse pourrait être des moyens de maîtriser l’espace, donc de limiter l’étalement urbain.
De plus en plus de communes tentent de tempérer la place de la voiture dans leur centre-ville, notamment par des aménagements sur la voirie plus favorables à une circulation apaisée et à l’usage de modes de déplacements alternatifs. Les politiques de maîtrise de la vitesse ne font pas directement partie d’une préoccupation d’aménagement du territoire, mais sont vues comme un moyen de favoriser les interactions sociales de proximité au sein d’un espace public réapproprié par les citadins.
Or, toute politique touchant à la vitesse s’attaque à l’une des principales dynamiques permissives de l’étalement urbain. La conjoncture de Zahavi, bien connue des spécialistes des transports, indique l’existence supposée d’un capital temps et d’un budget consacrés aux déplacements relativement stables (environ une heure pour le temps de déplacement et 15% du budget total en moyenne) quelles que soient les conditions sociales et économiques des individus. Ainsi, aller plus vite à un faible coût élargit considérablement le champ des possibles et les possibilités d’interactions sociales, ce qui entraîne une transformation de l’organisation urbaine. Au contraire, la réduction de la vitesse aura un effet inverse, les conditions de mobilité et le rapport à la ville n’étant plus les mêmes. Sur le long terme, il se peut que les populations se rapprochent physiquement de leur emploi, afin de maintenir leur temps de parcours et leur budget transport constants.
Il ne s’agit pas tant de réduire la vitesse, mais de mieux la maîtriser. Aller plus vite, ne permet pas de rouler moins. Les gains de temps offert par la vitesse sont réinvestis dans de nouveaux déplacements. Ainsi plus les voies sont rapides, plus elles risquent d’être embouteillées, sans que le nombre de véhicules augmente. En fait, ce sont les mêmes automobilistes qui empruntent le réseau, mais de façon plus régulière.
Maîtriser la vitesse consiste donc à améliorer la régularité des flux et la prévisibilité des temps de trajets. La fluidité des flux n’est alors plus associée à la vitesse, mais à une diminution des incertitudes liées au risque de congestion. Il ne s’agit pas de bannir la vitesse de la ville, mais d’éviter la sur-mobilité dont elle est responsable. Si les opportunités de localisation offertes par la vitesse sont moins nombreuses, l’intensité des flux sur les grandes distances diminue automatiquement, favorisant les déplacements de proximité.
Si la vitesse doit être maintenue sur certains axes, notamment ceux qui relient les grandes villes, elle doit être limitée à l’échelle des agglomérations. Les infrastructures rapides routières infra urbaines, souvent gratuites, participent de façon importante à la diffusion des lieux d’activités au sein des bassins de vie des citadins. Un contrôle d’accès ou une tarification de leur usage pourraient être envisagés.
Réduire la vitesse urbaine et la rendre plus difficile à pratiquer semble être une solution louable pour limiter l’étalement urbain, car la vitesse des transports est un des facteurs facilitant la dispersion du bâti. Favoriser les réseaux lents tout en apportant la garantie d’une fluidité du trafic peut être une politique de déplacement très intéressante, car elle cherche à modifier directement les comportements des usagers des transports, leur rapport au temps et à l’espace, tout en favorisant le développement de modes alternatifs à la voiture.