Organisation des transports et mobilité pour les personnes comme pour les marchandises
2013
Cette fiche porte sur les enjeux de l’organisation des transports et de la mobilité, pour les personnes comme pour les marchandises. Les réponses aux enjeux énergétiques de moyen et long terme (disponibilité et prix, changement climatique, indépendance nationale ou européenne) ne pourront, en effet, être trouvées dans les seules technologies : c’est une conviction aujourd’hui largement partagée. Une recherche prospective du Predit (Programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres) conduit même à estimer que la technologie permettra de faire environ la moitié du chemin du facteur 4 à l’horizon 2050, sauf rupture non perceptible à ce jour. L’autre moitié sera donc à trouver dans les pratiques et modalités de déplacement (nombres, distances, modes, occupation des véhicules…), pour les marchandises comme pour les voyageurs. Sur ce registre, on peut utilement distinguer ce qui relèvera des services de mobilité, dont l’offre peut et doit progresser dans un avenir de moyen terme, et ce qui relève de comportements individuels ou collectifs dont l’évolution peut être plus lente et fonction de données structurelles, dans l’aménagement de l’espace ou les processus de production. Mais on examinera d’abord les progrès possibles dans l’exploitation des transports, notamment par l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dont les potentialités ne sont aujourd’hui que très partiellement exploitées, voire connues.
I. Exploitation et gestion des systèmes de transport
1. Les technologies de l’information et de la communication et la gestion du trafic routier
Par technologies de l’information et de la communication utiles aux transports on entend : la géolocalisation, par le système américain GPS (Global Positionning System) puis dans quelques années par le système européen Galiléo (4 satellites lancés en 2011 et 2012, premiers services en 2014, 30 satellites à terme vers 2020), les technologies de communication (radars, téléphone portable, étiquettes émettrices) et les technologies de l’information. Leur application aux transports terrestres a débuté dans les années 1980 et concerne aujourd’hui les domaines de la sécurité (régulateur de vitesse, contrôle sanction automatisé), de l’aide à la navigation, de la gestion du trafic, du suivi des marchandises et de l’information des usagers. Pour ce qui est de la lutte contre le changement climatique, les principaux progrès sont attendus de la gestion du trafic et de la régulation des flux, de l’aide à une conduite économe, de l’information sur les horaires favorisant l’usage des transports collectif et l’intermodalité.
2. Exploitation du transport ferroviaire
Par-delà les améliorations à apporter au matériel, le système ferroviaire peut réaliser des gains énergétiques en optimisant son système d’exploitation. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) permettent désormais une gestion efficace des sillons afin d’optimiser la capacité des infrastructures tout en permettant une circulation fluide des trains, en réduisant les décélérations et accélérations successives. Cette optimisation inclut aussi l’usage généralisé de l’éco-conduite dont la pratique est également largement facilitée par les possibilités offertes par les TIC et la géolocalisation. Logiquement, un système performant d’optimisation de l’exploitation ferroviaire va évoluer vers l’automatisation totale de la circulation des trains, à tout le moins sur les grands axes.
Pour le transport de fret, des sillons pourraient être économisés grâce à la circulation de train longs (jusqu’à 1500 m, contre 750 m aujourd’hui) et lourds. Au préalable, des systèmes de freinage adaptés doivent être mis au point ainsi que des moyens fiables de télécommande de locomotives qui seraient insérées au milieu du convoi.
Au-delà des gains intrinsèques au système ferroviaire, l’optimisation de la circulation des trains favorise le report modal vers le rail. Il permettrait aussi de bénéficier plus largement des avantages que présente le transport ferroviaire sur le transport routier, en termes d’efficacité énergétique notamment.
3. Quelles économies ?
Quantifier les gains potentiels en énergie que représentent les mesures suggérées ci-dessus est délicat car l’efficacité des dites mesures dépend des conditions dans lesquelles celles-ci sont mises en œuvre. Des travaux d’évaluation de ces gains ont cependant été engagés dans le cadre du projet européen intégré « Railenergy ». Il en ressort que les deux mesures les plus efficaces sont respectivement l’optimisation de la gestion des circulations (gains potentiels de 10 à 20 %), et, pour la traction thermique, l’hybridation (de 10 à 35 % dans certaines conditions). Toujours selon ce projet, les autres mesures apporteraient des gains variables, de 2 à 5 ou 6 % selon les mesures et les conditions.
II. Services de mobilité et pratiques de déplacement
1. Déplacements des personnes
Quels que soient les progrès dans l’efficacité énergétique des différents modes de transport, les modes collectifs et les modes doux resteront plus économes que le mode routier individuel. Le report modal vers les modes économes et l’intermodalité (usage combiné de différents modes) sont donc des objectifs naturels de politiques de déplacement orientées vers la maîtrise de l’énergie. La réalisation de ces objectifs suppose de faire progresser l’offre de service en termes de qualité (disponibilité spatio-temporelle, temps de parcours, sécurité pour les modes doux, information et billétique intermodale), dans des conditions économiques réalistes et dans les multiples configurations territoriales concernées. Un effort d’innovation est particulièrement nécessaire dans les espaces périurbains et les villes moyennes notamment, qui sont les plus difficiles à desservir par des transports collectifs classiques et souvent également les moins adaptés aux modes doux, actuellement, parce que conçus pour l’automobile.
Une réelle dynamique est à l’œuvre aujourd’hui dans ce domaine (transport à la demande, covoiturage, véhicules en libre-service), impliquant des acteurs fortement diversifiés : opérateurs de transports collectifs, constructeurs automobile, producteurs d’information, opérateurs de télécommunication, sociétés d’assurance… Cette dynamique est renforcée par les perspectives de la mobilité électrique qui s’inscrivent assez clairement dans une logique de service.
2. Transports de marchandises
En matière de transports de marchandises, la situation de la répartition modale et de l’intermodalité est assurément préoccupante au regard des enjeux énergétiques. Le fret ferroviaire est passé de 50 milliards de tonnes/km en 2002 à moins de la moitié aujourd’hui et le transport combiné rail-route pâtit évidemment de cette régression du mode ferroviaire (5 % du trafic ferroviaire en 2011 contre 35 % en 2008). Seul le transport fluvial a progressé mais sa part modale ne sera jamais très importante, même avec la réalisation du canal Seine-Nord (projet destiné à relier le réseau navigable français à celui du nord de l’Europe (une mission de reconfiguration a été lancée en avril 2013 afin d’examiner les conditions qui permettraient de dépasser l’impasse financière constatée actuellement). Le rôle prépondérant du transport maritime (90 % des marchandises dans le monde passent sur la mer) notamment depuis l’essor de la conteneurisation, donne une place clé aux ports et à la qualité de leur desserte ferroviaire et fluviale : Le Havre premier port de France assure 60 % du trafic français de conteneurs soit 2,4 millions d’EVP (équivalent 20 pieds), à comparer aux 11,1 Millions EVP de Rotterdam, premier port européen et 10e mondial, loin derrière les 29 millions d’EVP de Shanghai (ces chiffres donnent une petite idée de la géographie actuelle du transport de marchandises).
L’exemple d’autres pays européens montre pourtant que cette situation de domination croissante du mode routier, à rebours des attentes et volontés politiques exprimées depuis vingt ans, n’est pas inéluctable : la part modale du fret ferroviaire (chiffres 2010) est de 15 % en France et en régression (comme en Espagne et en Italie), mais elle est en croissance à la fois dans des pays où elle est plus faible (Pays-Bas 5 %, Royaume-Uni 13 %) et dans ceux où elle est plus élevée (Allemagne 21 %, Autriche 36 %, Suisse 39 %), et les conditions géographiques n’expliquent pas tout, la désindustrialisation française jouant un rôle indéniable. La recherche doit donc continuer à préparer les conditions d’une répartition modale plus favorable à savoir : une plus grande efficacité du mode ferroviaire, l’automatisation des chantiers de transbordement, les outils de la multimodalité portuaire. Elle doit évaluer la faisabilité économique des investissements en jeu comme les voies fret dédiées par exemple. A la suite du Grenelle de l’Environnement, un engagement national pour le fret ferroviaire (mars 2012) a énoncé l’objectif de passer de 14 % à 25 % en 2022 la part des modes non routiers dans le transport de marchandises, en annonçant un plan d’investissement, partagé à parts égales entre RFF et l’Etat, de 16 millions d’euros par an jusqu’en 2020.
Dans les agglomérations, la question de la répartition modale est moins prégnante, même si quelques expériences de desserte ferroviaire ou d’utilisation des transports collectifs de voyageurs peuvent être intéressantes à suivre. Le défi de la logistique urbaine est plutôt celui de l’organisation des ruptures de charges entre le transport de moyenne et longue distance et des véhicules adaptés à un milieu urbain de plus en plus contraignant pour des raisons environnementales locales (pollution atmosphérique, bruit, encombrement). Une des voies de progrès face à ces ruptures de charges de plus en plus inévitable pourrait être la mutualisation des espaces de stockage et des véhicules, rendue réaliste aujourd’hui par la maturité des technologies de communication.
III. Mobilité et aménagement de l’espace
Le sujet « transport-urbanisme » n’est pas nouveau. Pour rester dans le contemporain, on peut au moins rappeler la période de réalisation des Villes nouvelles qui a suscité des stratégies d’aménagement marquées dans ce domaine. Depuis le début des années quatre-vingt, la question de l’étalement urbain n’a cessé de prendre de l’importance dans les recherches et réflexions et même dans la production législative, et le renouveau des enjeux énergétiques accentue encore la place de cette question. Mais il y a loin de la préoccupation à l’action (d’après une enquête 2013 au sein du personnel du centre CEA de Cadarache, la distance moyenne domicile travail est de 36 km…) et les attentes à l’égard de la recherche pour éclairer cette action sont d’autant plus fortes que le critère énergétique doit être confronté à l’économie de l’aménagement et à l’équité.
Comme évoqué plus haut, la réflexion ne doit pas se limiter aux grandes agglomérations car la dépendance à l’égard de l’automobile est souvent plus forte dans les villes petites ou moyennes et l’enjeu des distances parcouru également important.
IV. Système productif, aménagement et demande de transport
L’évolution des systèmes productifs dans les dernières décennies a largement contribué à la croissance de la demande de transport : mondialisation des échanges, gestion en flux tendus (les stocks dans les camions), fractionnement des chaînes et éloignement des lieux de production, distances croissantes entre production et consommation, fractionnement des colis, coûts de transport intégrant peu d’externalités…ont conduit à une explosion du trafic de conteneurs et favorisé les acheminements par le mode routier. La sensibilité de ces pratiques à une évolution des contraintes énergétiques est une question de recherche incontournable : y a-t-il des inflexions possibles, voire des retours en arrière, et à quelles conditions économiques ? Quelle est la marge de manœuvre des politiques publiques au regard d’une forme de maîtrise de la demande de transport de marchandises ? Comment apprécier l’impact du commerce électronique à cet égard ?
V. La place de la mobilité dans les valeurs socio-économiques
Au-delà de ce qui est dit dans les deux paragraphes précédents sur l’évolution potentielle des pratiques de déplacement, la place de la mobilité dans la hiérarchie des valeurs socio-économiques est objet de débat. Dans la continuité des décennies passées, beaucoup de responsables politiques considèrent que le développement de la mobilité, tout en réduisant ses impacts environnementaux, doit être favorisé car il induit du développement social et économique. Il faudrait donc porter les efforts sur les techniques de transport plutôt que sur la quantité et la portée des déplacements. D’autres, minoritaires aujourd’hui, estiment qu’il faut remettre en question plus fondamentalement cette place de la mobilité dans les modes de vie et de consommation, qu’une part de cette mobilité n’est d’ailleurs pas choisie mais contrainte, que les valeurs de proximité ont été oubliées à l’excès. Un « signal faible » de cette tendance pourrait être d’ailleurs la propension des jeunes à passer le permis de conduire plus tardivement et à privilégier les TIC, évidemment beaucoup moins coûteuses en équipement.
VI. France : le schéma national des infrastructures de transport au défi des ressources de financement, le rapport Mobilité 21
La commission Mobilité 21 a été mise en place en octobre 2012 par le ministre des transports et de la pêche avec la mission de préciser les conditions de mise en œuvre du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT) au regard des capacités réelles d’investissement et de proposer une hiérarchisation des projets.
Le rapport a été rendu au ministre le 27 juin 2013. Il fait effectivement le constat que les ressources ne permettent pas de poursuivre le développement du réseau de transport au rythme actuel et a fortiori au rythme correspondant au SNIT, et il propose trois groupes de projets :
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Les projets à engager avant 2030 : dessertes des plateformes portuaires (Marseille, le havre), traitement des points noirs des nœuds ferroviaires (Lyon, Marseille, Paris) + la LGV Roissy Picardie
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les projets à engager entre 2030 et 2050 : autres nœuds ferroviaires (Nice, Rouen), LGV Bordeaux-Toulouse, mise à grand gabarit du canal Seine amont et divers projets routiers (dont les accès français au Lyon-Turin)
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les projets à engager au-delà de 2050.
Références
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La fiche « Transports sobres », réalisée dans le cadre de la Stratégie nationale de recherche énergétique, Décembre 2012. Ademe, en collaboration avec : Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Energie (ANCRE), Programme de Recherche et d’Innovation dans les Transports Terrestres (PREDIT), Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, de l’Energie
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Bilan du Predit 4 (programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres 2008-2013) : présentations de recherches
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« Prospective fret 2030 ». Samarcande, rapport pour le Predit, juillet 2008
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« Le fret ferroviaire, un mode d’avenir pour l’Europe ?». Eurogroup Consulting, SITL mars 2012
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