La gare : du bâtiment-voyageurs au pole d’échanges et nouveau lieu de vie
Stéphanie Leheis, 2012
Cette fiche présente de manière diachronique l’évolution des gares en France, depuis leur essor en tant qu’équipement et non-lieu à leur renouveau actuel en tant que lieux de vie.
La gare est un exemple révélateur des transformations dans la façon de concevoir et d’appréhender les infrastructures de transport et leur rapport au territoire. Conçue d’abord comme un simple équipement destiné exclusivement à une fonction de transport et en marge de l’espace urbain, la gare est devenue au fil du XXe siècle un objet ouvert à d’autres modes et surtout à d’autres fonctions, et de plus en plus intégré à la ville jusqu’à devenir un morceau de ville. Cette transformation s’explique par plusieurs variables : l’évolution des techniques et des moyens de transport, l’essor du trafic et notamment du trafic de banlieue, l’évolution des attentes des usagers et de leurs modes de vie, l’histoire des compagnies ferroviaires, etc. Mais revenons sur cette transformation pour en saisir les principales étapes.
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Au milieu du XIXe siècle, avec l’essor du train comme nouveau mode de transport permettant de relier les villes et de déplacer des voyageurs comme des marchandises, la gare est conçue comme un « bastion défensif » (G. Ribeill, dans Joseph, 1999). L’espace de la gare est très strictement réglementé, de sorte que seuls les voyageurs munis d’un billet peuvent accéder au bâtiment principal, sorte de grande salle d’attente, et aux quais. La gare est construite aux portes de la ville, à proximité immédiate du centre mais là où le foncier est disponible et peu cher.
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Très vite, l’essor du trafic, et le succès des grandes compagnies ferroviaires qui en découle, changent la donne. Les gares deviennent des bâtiments monumentaux, aux façades richement décorées et aux verrières spectaculaires. Et l’afflux de voyageurs dans les gares conduit à l’apparition des premiers commerces et services en gare, d’abord principalement destinés aux voyageurs. L’arrière de la gare aussi s’est considérablement élargi, pour accueillir les entrepôts nécessaires au trafic de marchandises et des industries nouvelles. Le quartier de gare se développe donc autour des activités liées au trafic de voyageurs et de marchandises.
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A partir de l’entre-deux-guerres, le succès du chemin de fer et sa démocratisation ont renforcé le phénomène d’urbanisation, avec le développement des faubourgs, et créé un nouveau trafic, le trafic de banlieue. Le positionnement de la gare a évolué, avec l’urbanisation des banlieues, et surtout son rôle a évolué : la gare devient un nœud majeur d’articulation des transports. De nouvelles voies sont crées, comme dans le cas des grandes gares parisiennes.
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Dans les années 1950 et surtout 1960 et 1970, c’est au tour de l’automobile de connaître un essor fulgurant, puis de l’avion. L’automobile devient peu à peu le moyen de transport de masse privilégié pour les courtes et moyennes distances, tandis que l’avion remporte la bataille des longues distances. Face à ces deux concurrents, le chemin de fer est en perte de vitesse et le trafic de voyageurs comme celui des marchandises sont en déclin.
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La fin des années 1970 marque alors une première étape dans la nécessaire transformation des gares pour faire face à cette concurrence et renouer avec une croissance des flux. Elle passe d’abord par une rénovation du bâti (avec un grand programme d’investissement porté par la SNCF pour réhabiliter les gares), et par une refonte des activités et des services proposés. La gare connaît un tournant commercial et libéral. Dans un système concurrentiel, la gare devient plus ouverte, se rénove, elle est de mieux en mieux achalandée pour attirer les voyageurs et aussi les citadins, et elle est de mieux en mieux desservie pour capter les flux de voyageurs issus des autres modes de transport.
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La seconde étape intervient à partir des années 1980, en partie avec l’arrivée des trains à grande vitesse qui va faire évoluer de nouveau la conception des gares. Le TGV permet un nouvel essor du chemin de fer et assure un gain de voyageurs par rapport à la voiture et à l’avion. Le trafic de marchandises quant à lui ne renaît pas vraiment, et les vastes zones industrielles et d’entrepôts qui constituaient l’arrière-gare laissent place à des friches considérables. C’est donc sur les services aux voyageurs que les moyens se concentrent. Avec la clientèle d’affaire du TGV par exemple, de nouveaux services sont proposés en gare. On peut désormais y trouver (outre les services classiques de restauration, presse & hôtellerie) : des commerces de dépannage, coiffeurs, services médicaux, crèches, etc. Le quartier de gare est repensé, pour mieux articuler les fonctions : logement, bureaux, services & commerces se développent autour de la gare ou même dans la gare qui devient un lieu ouvert. Son hyperconnexion, entre les différents modes et entre les échelles territoriales, en fait un lieu attractif. On assiste ainsi aujourd’hui à un mouvement de reconquête des quartiers de gare, qui constituent un foncier de grande valeur dans les métropoles en quête d’un développement urbain plus dense.
De nouvelles questions émergent désormais face à cette reconfiguration des gares et quartiers de gares. La première porte sur la conciliation des différents usages et l’articulation des fonctions. La gare n’est plus seulement un lieu de transport, elle est aussi un lieu de commerces, de loisirs, etc. Articuler ses fonctions impose de faire cohabiter des publics différents, qui n’ont pas les mêmes attentes ni les mêmes exigences, tout en maintenant une nécessaire fluidité des circulations. La seconde question qui se pose aujourd’hui tient à la redéfinition du métier de gestionnaire de gare. Le système d’acteurs est complexe entre les opérateurs de transports (la SNCF et désormais ses concurrents, les opérateurs des réseaux de bus, métro, vélos, taxis …), le gestionnaire du réseau ferré (RRF, qui reste le propriétaire du réseau et des quais), les sociétés de services & commerces implantés en gare, les collectivités locales, etc. Le gestionnaire de la gare, pour l’instant la SNCF par le biais de sa filiale Gares & Connexions, doit négocier avec tous ces partenaires.
Références
Joseph, I (1999) Ville en gares. La tour d’Aigues : Edition de l’aube, 308p.
3 programmes de recherche lancés conjointement par PU-PREDIT-RATP-SNCF sont à signaliser sur la thématique des gares : en 1993 l’opération « Gare du Nord » (recherche action sur les pôles d’échange) ; puis le programme « Lieux-mouvements de la ville » en 1994 ; puis en 1997, le programme « Gares et quartiers de gares ».
Aubertel, P. (1999). Les gares : deux ou trois choses que les chercheurs m’ont apprises. Flux, n°38, pp. 39-46.
Terrin, JJ (dir.) (2011). Gares et dynamiques urbaines : les enjeux de la grande vitesse. Marseille : Editions Parenthèse.
Le site de Gares & Connexions et la page consacré aux Ateliers de la Gare (séminaire de réflexion sur les transformations de la gare)