Territorialisation et financement, le cas des lignes à grande vitesse et des gares TGV
Stéphanie Leheis, 2012
Cette fiche présente l’évolution des politiques de financement des transports en France et l’entrée en jeu des collectivités locales et leurs moyens de pression, depuis la fin des années 1990.
Le cas des lignes à grande vitesse est révélateur des enjeux soulevés par l’évolution des modes de financement des infrastructures de transport, et en particulier le rôle croissant des collectivités locales. Jusqu’au milieu des années 1990, les lignes à grande vitesse étaient financées en France exclusivement par la SNCF, par un recours à l’emprunt complété parfois par l’aide de l’Etat (sous forme d’une subvention, comme dans le cas de la LGV Atlantique). A partir de 1994, la création de RFF (Réseau ferré de France) change la donne. La loi de février 1997 qui sépare les activités de gestion et celles d’exploitation des infrastructures, en accord avec la directive européenne, permet de clarifier les comptes de la SNCF. La dette est inscrite au passif de RFF (à hauteur de 23,5 milliards d’euros en 1997). Or le décret du 5 mai 1997 portant sur les statuts de RFF instaure également un principe d’équilibre financier à RFF, qui conduit donc à l’interdiction de dégrader davantage les comptes de RFF. Donc l’engagement de RFF dans les nouveaux projets d’infrastructures est largement contraint et limité, ce qui implique une participation plus forte de la part de l’Etat et des collectivités.
Dans le cas de la LGV Est par exemple, la part de financement de RFF ne représente qu’un quart du coût total de l’investissement. Cette nouvelle répartition des financements est en grande partie liée à une dérive des coûts des projets de ligne à grande vitesse (Bonnafous, Crozet, 1997). Le processus de réalisation complexe se traduit par un coût au kilomètre des lignes qui a presque doublé, selon A. Bonnafous, passant de 5.03 million euros par kilomètres à 9.91 million euros par kilomètre. Les coûts augmentent d’un côté, et la rentabilité baisse de l’autre côté. Le schéma directeur des lignes à grande vitesse a classé les projets en fonction de leur rentabilité économique et socio-économique, qui déterminait en même temps leur ordre de priorité. Les lignes qui ont été construites en premier étaient aussi les plus rentables.
Ces évolutions modifient encore une fois le système d’acteurs en renforçant le poids notamment des collectivités locales qui deviennent un financeur important. La LGV Est est la première ligne où la contribution des collectivités est systématisée. Or dans un montage d’une telle complexité, il faut s’attendre à ce que chaque collectivité négocie sa participation contre des arrangements lié au tracé. C’est ce qui s’est passé sur la LGV Est, avec la menace de la région Alsace de quitter la table des négociations si l’Etat ne s’engageait pas dans la réalisation d’une phase 2 jusqu’à Strasbourg. De la même façon, on retrouve ce type de stratégie de la part des élus locaux dans les négociations autour du tracé de la LGV PACA, qui devrait prolonger la LGV Med jusqu’à l’Italie. Le Conseil général des Bouches-du-Rhône menace de se retirer du plan de financement si le tracé contournait Marseille.
A quoi peut-on s’attendre désormais ? Le retrait relatif de RFF, qui n’est plus aujourd’hui qu’un financeur parmi d’autres, peut laisser penser que la gouvernance des projets tend à être plus politique. Ce n’est plus RFF ou la SNCF qui dicte le projet en fonction de critères de rentabilité, mais l’Etat et les collectivités, responsables de l’aménagement du territoire. Pour autant, la participation du public dans les différentes instances de débats ne rend pas forcément la décision plus démocratique, comme en témoignent les nombreuses études sur les limites du débat public. Le retrait de RFF au profit de l’Etat et des collectivités ne réduit pas moins la décision à des critères économiques. L’Etat comme les collectivités ont des capacités financière réduites, souvent pas à la hauteur de leurs ambitions en matière d’aménagement du territoire. Ceux qui pourront négocier seront aussi ceux qui ont les moyens de participer au financement. Il restera aussi à convaincre des collectivités de participer au financement d’une ligne à grande vitesse qui ne passe pas forcément par leur territoire.