L’efficacité énergétique appliquée à l’agriculture : vers une seconde révolution verte en Inde ?

Loïc Chappoz, 2012

Collection Passerelle

La panne d’électricité, qui a cet été affecté 600 millions d’indiens le 31 juillet 2012, a mis en lumière les faiblesses extrêmes d’un réseau indien qui peine à faire face à une demande en forte croissance. La consommation électrique a été multipliée par 2,4 en dix ans et, devant les difficultés à développer des moyens de production adéquats, la maîtrise de la demande d’électricité devient impérative pour chacun des secteurs de l’économie.

Avec 21 % du PIB du pays en 2011, l’agriculture est un des moteurs de l’économie indienne. C’est aussi le troisième secteur le plus consommateur d’électricité (17% en 2011) et sa demande en électricité a augmenté de 77 % ces dix dernières années. Dans le même temps, cette énergie est utilisée de manière de moins en moins efficace : en 2011, il fallait 14% d’électricité de plus qu’en 2004 pour générer un euro de richesse1 agricole. Cette dérive peut être en partie expliquée par un prix de vente de l’électricité aux agriculteurs fortement subventionné et généralement plus bas que pour les autres consommateurs. Les agriculteurs n’ont donc pas d’incitation à réduire la consommation d’électricité de leurs exploitations. La majeure partie de l’électricité consommée par les fermes indiennes est due aux pompes utilisées pour l’irrigation. L’intérêt à améliorer l’efficacité de ces pompes est donc double : d’une part, soulager le réseau électrique et, d’autre part, réduire la pression sur les finances publiques.

Un potentiel d’économie démontré sur le terrain

En 2009, l’ONG International Energy Initiative a conduit un projet de conservation de l’énergie dans cinquante petites fermes de la région de Bangalore en Inde. Les objectifs étaient le remplacement des pompes d’irrigation existantes par des modèles plus efficaces, la mise en place de systèmes d’irrigation performants, et la réduction des quantités d’intrants utilisées. Sur ces cinquante fermes, 33 utilisaient des pompes électriques pour extraire de l’eau des nappes phréatiques, une était équipée d’une pompe manuelle et 16 n’avaient jamais été irriguées. Les pompes existantes étaient anciennes et peu efficaces en termes d’énergie utilisée par rapport au débit d’eau fourni.

La première étape du projet fut le remplacement des pompes existantes par le modèle de pompe le plus efficace disponible sur le marché ainsi que l’installation d’une pompe électrique efficace à la ferme qui était jusque–là irriguée manuellement. Les 16 fermes restantes ont été reliées à quatre puits équipés de pompes électriques afin de permettre leur irrigation. Au total, IEI a donc installé 38 nouvelles pompes électriques et a permis l’irrigation de l’ensemble des terres cultivées.

En parallèle du remplacement des pompes, les systèmes d’irrigation ont été améliorés. Sur 51 des 111 acres2 cultivés, les anciennes canalisations de gros diamètre ont cédé la place à des systèmes de micro irrigation, tels que des goutte–à–goutte. La quantité d’eau utilisée a ainsi été réduite d’environ 60% sur les parcelles équipées. En prenant en compte d’une part les terres nouvellement irriguées (l’ensemble des parcelles qui ne bénéficiaient d’aucune irrigation ont été équipées) et, d’autre part, les terres qui sont toujours irriguées grâce à l’ancien système, l’économie d’eau globale représente 22% de la consommation initiale. Cette réduction des besoins en eau a généré une nouvelle réduction des besoins en énergie et la combinaison de ces deux actions a donné des résultats spectaculaires. La consommation d’électricité imputable aux pompes a en effet baissé de 41,5 %3. Sur une année moyenne nécessitant 300 jours d’irrigation, la consommation d’électricité est ainsi passée de 312 MWh (mégawatt–heure) à 183 MWh. La baisse de consommation finale de 129 MWh correspond à la consommation moyenne annuelle de 237 personnes en Inde4. En prenant en compte une perte d’environ 33 % sur le réseau électrique entre les centrales électriques et les fermes, les besoins de production nécessaires pour l’irrigation passent de 466 MWh à 272 MWh, soit une production évitée de 194 MWh par an pour cinquante fermes de taille modeste Fort de ces résultats, IEI propose de subventionner l’achat d’équipements efficaces, plutôt que l’électricité consommée par les fermiers. En effet, le fait que les exploitants agricoles payent leur électricité bien en deçà du prix du marché les incite à acheter les pompes les moins chères sur le marché, en ignorant leur inefficacité.

Vers une généralisation des pompes efficaces ?

Tout comme IEI, le Bureau de l’efficacité énergétique (BEE) indien fait le constat que les pompes utilisées dans l’agriculture sont majoritairement inefficaces et que les prix trop bas de l’électricité n’incitent pas les agriculteurs à améliorer cette situation. Il estime que le remplacement de 20 millions de pompes par des modèles plus efficaces permettrait une économie de 2,6 milliards d’euros5 par an, permettant une réduction des subventions du même montant. Mais plutôt que de recourir à des subventions comme le suggère IEI, le BEE tente de mettre en place les conditions d’un remplacement des pompes existantes par le biais d’instruments de marché.

Un programme de maîtrise de la demande d’électricité dédié à l’agriculture (Agricultural Demand Side Management, Ag–DSM) a donc été conçu afin de promouvoir le financement des investissements nécessaires par des entreprises de services énergétiques (Energy Service Company,ESCOs en anglais), ou par les fournisseurs d’énergie eux–mêmes et ce dans le cadre de partenariats public–privé.

Un projet pilote a été lancé en 2009 dans le district de Solapur, dans l’état du Maharashtra. Il vise à remplacer 2 600 pompes. Les premier résultats, disponible en mars 2012 montrent des résultats encourageants. A cette date, 1 453 pompes avaient été remplacées et une centaine supplémentaire était en cours d’installation. Pour les premières 1 400 pompes installés, les économies d’énergies enregistrées s’élevaient à 25 % de la consommation initiale. Sur la base d’une consommation d’eau identique6, l’économie annuelle s’élève à 4 850 MWh, soit la consommation annuelle moyenne d’électricité de près de 9 000 personne en Inde. Les éléments financiers n’étaient malheureusement pas disponibles au moment de l’écriture de cet article, et il n’est donc pas possible de savoir si le but de financer les pompes grâce aux économies réalisées pourra être atteint.

En Inde, le potentiel d’économies d’énergies par le remplacement des pompes d’irrigation peu performantes est colossal. En se basant sur les premier résultats du BEE, le remplacement des 20 millions de pompes permettrait d’éviter une consommation d’électricité correspondante à ce que plus 127 millions d’indiens consommant en moyenne chaque année. Couplé à une amélioration des techniques d’irrigation, le potentiel pourrait se révéler plus important encore, tout en permettant des économies d’eau substantielles.

Il existe néanmoins un risque important d’effet rebond : les agriculteurs réalisant des économies d’eau et d’énergie auront inévitablement tendance à investir pour irriguer les terres qui ne le sont pas encore. Mais si cette irrigation additionnelle suit l’exemple du projet pilote d’IEI, les bénéfices pour la société indienne seront importants, tout en maîtrisant l’augmentation de la demande en électricité et en eau. La quantité d’énergie utilisée pour générer un euro de richesse agricole pourrait alors diminuer à nouveau. Ces investissements dans l’efficacité des pompes utilisées dans l’agriculture doivent néanmoins aller de pair avec des investissements importants dans l’amélioration des moyens de production, transport et distribution de l’électricité. En effet, comme l’a montré IEI, la qualité de l’électricité fournie à une influence réelle sur la durée de vie des pompes et sur le coût de leur maintenance. Négliger cet aspect pourrait donc, au mieux, limiter les gains réalisés grâce à la modernisation des pompes, au pire, décourager les agriculteurs et les autorités de réaliser les investissements nécessaires

1 Source des statistiques : calcul de l’auteur à partir de la base de données Enerdata.

2 1 acre = 4046 m2.

3 La consommation des anciennes pompes, mesurée sur une période de trois mois pendant la saison sèche, a été comparée à la consommation des nouveaux équipements sur une période comparable (trois mois en saison sèche).

4 Sur la base d’une consommation moyenne d’électricité de 544 kWh par an et par habitant. Source : calculs de l’auteur d’après les données des bases de données d’Enerdata.

5 18000 crores, c’est–à–dire 180 milliards de roupies.

6 Les nouvelles pompes installées ont un débit plus important, elles doivent donc fonctionner moins longtemps que les anciennes pour amener la même quantité d’eau aux cultures.

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