De nouvelles formes de propriété du logement en Allemagne
L’habitat autogéré non spéculatif proposé par le Mietshäuser Syndikat
Gildas JOSSEC, 2008
En Allemagne, la vie en communauté n’est pas cantonnée aux colocations étudiantes. Il existe une tradition de lieux alternatifs et ouverts dans lesquels s’épanouit une culture alternative. Ces « Hausprojekte », terme que l’on pourrait traduire en français par « maisons autogérées », sont à la fois des lieux de vie et d’activités collectives et politiques. Ils accueillent des concerts, des expositions et se donnent pour objectif de développer de nouvelles formes du « vivre ensemble ».
Pour renforcer l’autonomie et l’indépendance de ces lieux de vie alternative, une structure associative basée à Fribourg a imaginé un montage juridique et financier original qui cherche à garantir la pérennité de leurs activités en faisant sortir de manière définitive les bâtiments qui les accueillent du marché immobilier spéculatif.
Vivre ensemble dans des lieux autogérés
Expérimenter la vie collective, l’autogestion et la démocratie directe sont des idées qui traversent la scène alternative allemande depuis les années 1970, période à laquelle sont apparues les premières maisons autogérées. Mais comment parvenir à vivre ensemble de manière harmonieuse quand les conditions environnantes ne sont pas favorables à de tels projets ? Souvent locataires de leurs murs, les groupes qui animent les Hausprojekte subissent les retombées de la pression immobilière. Confrontés à des loyers inaccessibles, à la réticence des propriétaires à mettre leur bien à disposition d’un projet alternatif, à des expulsions ou des démolitions, les candidats à la vie communautaire, presque inévitablement peu fournis en capital, aspirent à un lieu qui serait enfin entre les mains de celles et ceux qui l’habitent ou le font vivre. L’idée de devenir propriétaire collectivement commence à faire son chemin… Mais les crédits immobiliers sont chers, les taux d’intérêts trop élevés et les loyers de ce genre de projets doivent rester supportables socialement.
Ces difficultés, le groupe à l’origine du Grether Projekt à Fribourg les a rencontrées une à une au cours des années 1980. De leur expérience et des solutions qui ont été élaborées pour contourner les obstacles variés est né le Mietshäuser Syndikat. Les statuts déposés en 1992 décrivent une « structure associative de soutien à l’habitat collectif autogéré ». Mais le Mietshäuser Syndikat est en réalité un peu plus que cela.
L’idée du Mietshäuser Syndikat
L’idée du Mietshäuser Syndikat est basée sur la constitution d’un réseau solidaire de projets autogérés qui désirent acquérir collectivement le lieu dans lequel se développent leurs activités. Des projets anciens et bien établis conseillent les nouveaux et mettent à disposition leurs savoirs acquis au cours de leur propre constitution. Ils fournissent aussi une aide conséquente sur la question du rapport de force politique éventuellement nécessaire à l’acquisition des locaux. Mais surtout les projets plus anciens aident les nouveaux avec leur surplus financier lors de la difficile phase de démarrage d’un projet, qui inclut l’achat d’un lieu et la négociation de prêts bancaires. Plutôt que de baisser leurs loyers et d’améliorer leur propre situation, les plus anciens assignent le montant de leurs loyers au soutien solidaire des nouveaux venus dans le réseau. Inversement de nouvelles initiatives peuvent permettre à des projets établis et dont le fonctionnement s’est « routinisé » de se relancer dans la bataille politique et de regagner un peu du dynamisme qui s’émousse au fil du temps.
Le transfert des ressources entre les différents projets du réseau ne s’improvise pas. Le Mietshäuser Syndikat représente donc la structure de communication et l’instance de contrôle du réseau, qui réunit une trentaine de maisons autogérées disséminées dans toute l’Allemagne. Mais que contrôle cette « instance centrale ? »
Le risque de la privatisation
L’idée du Mietshäuser Syndikat peut connaître des déboires du fait de la longue durée dans laquelle elle est pensée. Que se passe-t-il quand des projets arrivent au moment où, sortis des remboursements lourds, ils connaissent une situation économique plus favorable ? Ne vont-ils pas être tentés de se désolidariser, de refuser de soutenir des nouveaux projets et tout simplement de quitter la structure en revendant le bien immobilier pour en tirer un bénéfice ? Les statuts fondateurs ont beau être formulés de la manière la plus idéaliste et sociale qui soit, il suffit qu’une majorité des membres d’un projet décide de le revendre pour que les statuts changent.
Droit de vote contre la vente des maisons
C’est précisément pour empêcher une telle évolution que tous les projets du Mietshäuser Syndikat ont une particularité. Le titre de propriété n’est pas en propre entre les mains des habitants du lieu, mais dans celles d’une société à responsabilité limitée : une SARL1. Cette SARL est constituée de deux associés : le conseil des habitants et le Mietshäuser Syndikat, ce dernier jouant le rôle d’une instance de veille. Ainsi, dans certaines conditions comme la revente des locaux ou la fragmentation en propriétés individuelles, le Mietshäuser Syndikat possède un droit de vote, équivalent à celui détenu par le conseil des habitants. Cela signifie qu’un changement de statut ne peut se faire que sur un accord entre ces deux associés, aucun des deux ne pouvant prendre le pas sur l’autre.
En contrepartie de ce droit de veto, le collectif, réuni en Conseil des habitants se fera aider financièrement, juridiquement et techniquement dans la gestion de la SARL propriétaire de la maison.
Autogestion
Afin de garantir aux habitants une réelle autogestion de leur lieu, le droit de vote du Mietshäuser Syndikat est limité à quelques questions fondamentales. Sur toutes les autres, seul le conseil des habitants est en mesure de décider. Par exemple : qui emménage ? Comment trouvons-nous les crédits nécessaires ? Comment la maison doit-elle être construite, agrandie ou rénovée ? À quel niveau se situent les loyers ? Seuls les habitants ou utilisateurs du lieu décident des réponses.
Des SARL pour faire sortir des lieux de vie du marché immobilier spéculatif ?
Il peut paraître étonnant que ce soit un outil venu de la planète des sociétés capitalistes qui permette de réaliser des formes de propriétés co-gérées par un conseil d’habitants et le Mietshäuser Syndikat. Ce choix est assumé par le Mietshäuser Syndikat comme un moyen efficace de faire sortir progressivement et chaque année un nombre plus important de bâtiments du marché immobilier et de ses contraintes : un tel montage juridique garantit que les lieux qui sont acquis avec le soutien du Mietshäuser Syndikat ne pourront plus (ou alors très difficilement) être revendus sur le marché immobilier dans une perspective de profits rapides et individuels.
Le Mietshäuser Syndikat est donc un réseau d’entreprises d’habitations collectives indépendantes et autonomes dans leur gestion quotidienne. Ces SARL, malgré la diversité des projets réunis, sont liées entre elles par deux principes de solidarité : d’une part, l’acceptation du droit de veto contre la revente du bien immobilier et son retour dans le marché spéculatif, d’autre part, l’alimentation d’un fonds de solidarité permettant la viabilité économique des maisons existantes, le développement des nouveaux projets d’habitat et la pérennité du réseau.
Alors qu’il y a quinze ans le Mietshäuser Syndikat était encore une simple association de soutien à l’habitat collectif autogéré, il s’est transformé en un collectif d’entreprises solidaires et interdépendantes. Et le réseau continue de s’étendre : en plus des 41 projets existants, 30 projets sont à l’étude. Une régionalisation est envisagée, un bureau vient d’ouvrir à Tübingen et d’autres sont en projet dans les Länder de Hesse et de Berlin-Brandebourg.
1 Société anonyme à responsabilité limitée, GmbH en allemand
Références
Cette fiche a été initialement publiée dans le n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question
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Mietshäuser Syndikat, en allemand, français, anglais, turc et néerlandais