Pour des villes solidaires
2008
Modernité des luttes des habitants face à la faillite du néolibéralisme
Des luttes et encore des luttes face au désengagement de l’État du secteur du logement : elles constituent un fil rouge qui parcourt l’Europe, montre des réponses possibles, variées et riches d’inventions, prônant des solutions non marchandes à la crise du logement.
Depuis longtemps, ces luttes pointent du doigt la bulle immobilière issue de la recette néolibérale, une recette qui favorise le monopole des investisseurs privés et veut imposer le retrait des citoyens.
Ces initiatives affichent des identités sociales et politiques territoriales fortes, elles s’affrontent à des logiques institutionnelles et économiques apparemment invincibles.
Au moment où la crise globale des marchés financiers remet en cause le désengagement de l’État prôné par les tenants du néolibéralisme, il est frappant de constater la modernité et le sens des responsabilités qui caractérisent ces luttes.
Comités de quartier, rassemblements de locataires, squats ou coopératives : ils remettent systématiquement en cause la pensée unique qui voudrait tout réduire aux contraintes budgétaires. Ils montrent aussi que ces contraintes sont des choix avant tout politiques et idéologiques.
Au moment où les résultats des logiques marchandes augmentent le nombre de mal-logés en Europe (70 millions de personnes mal logées dont 3 millions de sans-abri), comment pourrait-on nier la légitimité et la pertinence des propositions alternatives revendiquées par ces luttes ?
Le fil rouge des luttes locales qui parsèment l’Europe des peuples
C’est au niveau local que sont perçues avec le plus d’acuité les violations du droit au logement, les expulsions des couches populaires suite à l’embourgeoisement des centres-villes et le déficit de logements accessibles. C’est à ce même niveau qu’on constate à l’inverse que quantité d’immeubles et de résidences sont fermées ou vides… C’est pourquoi les initiatives citoyennes et militantes sont elles aussi locales.
Les résistances, les propositions et les revendications locales ont des bases communes au delà des frontières.
D’un côté à l’autre du continent, on retrouve des initiatives qui (re)mettent des biens à la disposition de la collectivité, développent des solidarités et des coopérations pour récupérer des immeubles sinon destinés à la destruction, proposent la réouverture des logements abandonnés à cause des logiques de marché, rendent vivant un urbanisme social. Et qui, bien souvent, demandent aux autorités publiques d’être les médiatrices d’un nouveau pacte social urbain ouvert à la participation des habitants.
Ces expériences multiples et variées ont alimenté des échanges et des analyses au niveau européen, elles ont également, avec le temps, renforcé leur efficacité. La propriété collective et sociale des immeubles est considérée par la plupart comme constitutive du droit au logement et à la ville. Certains prônent la création de « zones libérées », hors marché, dont l’exemple de Christiania à Amsterdam est probablement le plus avancé ; d’autres revendiquent la mise en œuvre d’une version innovante du service public du logement, comme c’est le cas de la Coopérative Vivere 2000 à Rome.
Ces mouvements renouvellent les anciennes racines du mouvement ouvrier coopératif des XIXe et XXe siècles, celui qui revendiquait des logements dignes et abordables, qui luttait et souvent autogérait une partie du secteur du logement.
Au siècle précédent, l’internationalisation des luttes et des organisations militantes était liée aux mouvements révolutionnaires et à l’Internationale. Aujourd’hui, elle correspond aux combats contre l’européanisation de la globalisation néolibérale.
En d’autres termes, ces luttes contestent les effets de la construction de l’Union Européenne sur l’urbain : réduction des villes à des champs de bataille entre les investisseurs, impacts de la libre circulation des capitaux, coupures budgétaires dues au pacte de stabilité monétaire, attaques du secteur public du logement au nom de la liberté de concurrence, traitement des migrations par la division spatiale des villes et la ségrégation des « classes dangereuses »…
Le présent et le futur des réseaux internationaux d’habitants
La curiosité suscitée par la lecture des articles qui suivent alimentera sans doute l’envie d’en savoir plus sur les réseaux internationaux qui se sont constitués et qui nourrissent le débat et la construction de stratégies communes.
Dans les années 1970-80 déjà, les mouvements de la gauche sociale affichent leur solidarité avec ceux qui s’opposent aux expulsions violentes et qui promeuvent des rencontres d’échanges.
La fin des années 1980 et le début des années 1990 sont marqués par le mûrissement de l’Union Européenne en tant qu’entité politique et par les rencontres des ministres européens du logement. Sans qu’elle n’ait de véritable compétence dans le domaine du logement, la Commission Européenne intervient déjà plus ou moins directement dans ce secteur, via l’adoption de directives sur la construction, la taxation, les assurances etc.
En parallèle de ces rencontres, se constitue un front européen des habitants : composé d’organisations de locataires, de mal logés, de professionnels engagés, de réseaux plus ou moins institutionnels (AIH, FEANTSA…), il donnera naissance notamment à la Charte Européenne pour le droit au Logement et la Lutte contre l’Exclusion.
Ces réseaux sont capables d’un lobbying assez efficace auprès des institutions de l’UE. Ils font émerger l’idée selon laquelle l’Union Européenne, face à l’évolution de la crise du logement, doit se repositionner.
Voilà donc les premières « rencontres alternatives » aux meetings des ministres, organisées par les organisations d’habitants. Ce ne sont pas encore des contre-sommets, mais plutôt des initiatives qui revendiquent des alternatives radicales au niveau européen : la reconnaissance et l’opposabilité du droit au logement, la mise en œuvre d’une directive contre les expulsions, l’utilisation des fonds structurels, la taxation des logements vacants et des investissements immobiliers, le développement d’un service public européen du logement, etc.
Ce nouvel élan international sur les questions urbaines et de logement est porté à la fois par des rencontres internationales (la Conférence Habitat II à Istanbul en 1995 par exemple) et par l’éclosion des Forum Sociaux altermondialistes. De plus en plus, au niveau global comme au niveau européen, les mouvements d’habitants gagnent de l’espace et une parole.
C’est sur ce terreau fertile qu’apparaissent des réseaux d’habitants militants, tels que l’Alliance Internationale des Habitants ou No-Vox International. Par des approches différentes, ils font émerger et lient durablement au niveau international des organisations localement enracinées.
La radicalité et la multidimensionalité de ces mouvements sont fondées sur le fait que les habitants, trop souvent conçus comme les variables d’ajustement du développement urbain, deviennent les protagonistes actifs de dynamiques innovantes.
Lanceurs d’alerte contre les menaces d’expulsion, négociateurs avec les pouvoirs publics dans la réhabilitation de certains quartiers, forces de propositions dans la réquisition et la transformation des logements vacants en faveur des sans-abris, interlocuteurs des autorités locales solidaires qui créent des « territoire sans expulsions » (voir les décrets interdisant les expulsions signés par des dizaines de maires français) : on voit se construire une véritable force internationale des organisations d’habitants qui vise la durabilité, la convergence et la solidarité.
Références
Ce sous-dossier a été initialement publié en tant que chapitre du n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question