L’auto, meilleure amie de l’homme
Jean-Michel Roux, septembre 2013
Cette fiche est une réflexion sur la place de la voiture dans la vie quotidienne, conquête sociale pour tous les ménages, partout dans le monde.
Les catégories sociales supérieures achètent des véhicules de luxe, en quantité croissante et sans compter. Tandis qu’urbanistes et responsables politiques prêchent aux gens du commun la fin de l’automobile. En effet, on ne voit pas pourquoi l’équité sociale régnerait plus dans les transports qu’ailleurs. Donc, le conducteur ordinaire est polluant, ignore ses propres intérêts, se cramponne à une ferraille périmée.
Les anciens se souviennent de la lente accession du plus grand nombre à la voiture. On ne parlait pas encore de motorisation générale, du temps où les places se monnayaient dans des files d’attente, pour acquérir des 4 CV Renault et des 2 CV Citroën (cette dernière bien plus coûteuse, je veux dire la place). On nous fait aujourd’hui la même sorte de récit, avec la Trabant en vedette, dans une abondante production de livres et films allemands et nostalgiques. Plus loin que l’Europe, il y aurait aussi à dire des foules indiennes et chinoises.
Décapons la voiture de ses fonctions comme signe extérieur de richesse, et résumons sa situation à l’usage de tous, notamment des revenus modestes. D’une part elle est un indicateur de mobilité possible, pour les 80% des ménages français qui en possèdent. C’est une conquête sociale. D’autre part elle procure des avantages décisifs à son usager, en capacité et temps de déplacement, partout où les amplitudes de ces déplacements découragent les modes « doux » vélo/piéton, et où n’existe pas un réseau dense, maillé et bien cadencé de transport en commun. C’est à dire dans l’écrasante majorité du territoire urbanisé, ou si on préfère peuplé d’urbains, donc la majorité du territoire national et européen.
Peut-on resserrer cette trame des transports en commun ? Les investissements pharaoniques qu’on s’apprête à placer dans le Métro du Grand Paris montrent les limites de l’exercice. Certes on dira que c’est justice, que des retards avaient été pris par rapport aux infrastructures routières, qu’il reste à développer des solutions peu coûteuses (le bus à haut niveau de service) ; et aussi qu’un meilleur aménagement du territoire pourrait réduire les trajets. Mais les plus optimistes n’espèrent pas ainsi couvrir, à terme prévisible, la demande de mobilité. Et il y a plus gênant, que je vais signaler trop rapidement, et en vrac.
Les annonces se multiplient sur l’enchérissement et la raréfaction du pétrole, tandis que l’accomplissement de ces prédictions ne cesse de reculer dans le temps, et que leur scénario territorial reste mystérieux. Sur les 50 dernières années, le prix de l’essence à la pompe (taxée) croit moins que le revenu moyen français et bien moins que le logement par exemple. Si son augmentation rendait vraiment difficile l’usage de la voiture, qu’en serait-il de l’aérien, des marchandises et plus généralement de toutes les activités dépendantes de l’énergie, à commencer par l’alimentation et le bâtiment ? Plus compliqué encore : comment anticiper la somme des comportements individuels ? L’automobile s’est déjà montrée capable d’évolution. Le kilométrage annuel et la consommation par véhicule diminuent. La robustesse augmente.
Le réchauffement climatique n’est pas une plaisanterie, et toutes les expériences et initiatives sont bonnes pour réduire les nuisances et l’encombrement de la circulation. Mais un vélib n’a qu’une portée de 1500 m au-delà des frontières de Paris, fixée par le Conseil d’État en 2008 (une affaire de marché public). C’est peu dans le monde contemporain. Nous devrons vivre longtemps encore avec l’automobile, le paradoxe étant que certains constructeurs ne semblent plus trop y croire, du moins en Europe, si on excepte les prospères fabricants des modèles de luxe précités : comment expliquer autrement que, dans leurs publicités, le véhicule de Monsieur et Madame Toutlemonde soit toujours conduit pas un mâle dominant, dans le désert du Nevada ou à Macao, et jamais en Seine-et-Marne ?
Références
Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°2