La densification spontanée à Trappes ou la production informelle d’un parc social de fait
Anastasia Touati, septembre 2016
Cette fiche est une version actualisée de la fiche La densification du pavillonnaire à Trappes : entre versant légal et versant informel d’un processus spontané publiée en 2015 dans le cadre d’un dossier thématique sur la densification résidentielle.
Trappes est une commune de 28 000 habitants1, située à 30 km de Paris, faisant partie de la Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines (Casqy). Souvent qualifiée de commune « populaire », le parc de logements y est principalement composé de quartiers d’immeubles d’habitat social caractéristiques de la période fonctionnaliste. Contrairement à la commune de Magny-les-Hameaux, composée en majorité de logements pavillonnaires2, les quartiers pavillonnaires de Trappes représentent une partie seulement de l’ensemble du parc de logements communal. La population trappiste est par ailleurs en moyenne plus en difficulté socialement que l’ensemble de la population de la Casqy.
Pour l’ensemble de ces raisons, la ville de Trappes est engagée depuis 2002, entre autres aux côtés de l’État et de la Casqy, dans une démarche de rénovation urbaine (dans le cadre d’un Grand Projet de ville) de ses quartiers d’habitat social et de son centre-ville. On assiste ainsi à un traitement spécifique des quartiers classés en géographie prioritaire de la politique de la ville retenus par le programme national français de rénovation urbaine. L’objectif de ces politiques est de transformer en profondeur les quartiers qui sont classés en « zones urbaines sensibles » ou quartiers dits en difficulté, par une instrumentation spécifique de l’action publique nationale qui permet à l’État de gouverner « à distance » ces quartiers difficiles3. À l’inverse, la municipalité préférerait maintenir en l’état les quartiers pavillonnaires.
Lutter contre la densification du pavillonnaire, protéger le cadre de vie
Dans ce contexte, la ville entend préserver ses quartiers pavillonnaires qui accueillent une population plus aisée en moyenne que l’ensemble de ses habitants. Or, on assiste aujourd’hui à un processus de densification spontanée des quartiers pavillonnaires que les responsables municipaux souhaiteraient voir s’interrompre. Le processus de densification observé à Trappes correspond à un exemple de processus de densification effective du tissu pavillonnaire, qui n’a pas été initié et qui n’est pas « encadré » par une politique publique. Au contraire, la mairie de Trappes mène depuis 2000 une politique de lutte contre la densification des tissus pavillonnaires, principalement pour des raisons esthétiques mais aussi pour des raisons de préservation du cadre de vie offert par ces quartiers4.
De même, à l’occasion de l’élaboration de son nouveau Plan local d’urbanisme (PLU) en février 2009, la ville a voulu se saisir de ce qu’elle considère comme étant un « problème » de densification. Parmi les quatre enjeux spatiaux exposés comme étant fondamentaux dans l’aménagement de la commune et guidant l’élaboration de ce PLU, figure la lutte contre la densification des tissus pavillonnaires5. Malgré cette politique, on observe au moins depuis 2000 un processus effectif de densification « spontanée », du fait d’initiatives individuelles de la part de particuliers. Nous avons identifié ce processus comme ayant deux versants : un versant légal et un versant informel.
Une densification spontanée par construction de logements supplémentaires
Dans son versant légal, la densification est le fait de particuliers ayant des pratiques de construction (deuxième logement ou locaux annexes) sur leur parcelle ou sur une parcelle résultant d’une division parcellaire. Nous désignons ces pratiques comme le « versant légal » du processus de densification car elles sont conformes au règlement du POS de la commune. Dans son versant informel, le processus de densification est également le fait de particuliers qui viennent densifier le tissu pavillonnaire par des constructions diverses (construction de logements supplémentaires sur la parcelle ; réaménagement en logement de locaux impropres à l’habitation comme des caves, des garages ou des abris de jardin) qui sont illégales dans la mesure où soit elles n’ont pas été déclarées, soit elles ont fait l’objet de fausses déclarations. La plupart du temps, ces constructions ne sont pas conformes au règlement du POS, voire constituent des infractions à d’autres codes comme celui de la construction et de l’habitat, ou encore celui de la santé publique.
À Trappes, la densification informelle conduit dans bien des cas à des situations où des personnes sont logées dans des conditions d’habitat indignes, voire insalubres. La densification qui échappe au contrôle de la puissance publique peut ainsi aboutir à une certaine « taudification » de l’habitat.
Un système d’action centré sur les particuliers propriétaires bailleurs
Le système d’action impliqué dans le processus de densification du tissu pavillonnaire à Trappes fait intervenir le même type d’acteurs que ceux rencontrés dans les processus de densification douce par division parcellaire : des propriétaires initiateurs ; des acquéreurs de terrains à bâtir faisant construire une maison individuelle sur une parcelle détachée ; des locataires de logements nouvellement créés sur une parcelle ; des constructeurs de maisons individuelles ; des géomètres ; des agents immobiliers, etc.
Dans son versant informel, le processus de densification peut parfois s’accompagner de phénomènes de taudification de l’habitat et s’avère fructueux pour des bailleurs qui louent à des prix souvent proches du marché des logements illégaux, parfois indécents, voire insalubres6. En tout état de cause, le processus de densification observé à Trappes profite surtout aux propriétaires fonciers des tissus pavillonnaires, que ce soit dans son versant légal ou dans son versant informel. Au contraire, ce sont les ménages modestes, locataires des logements illégaux, qui pâtissent du manque de maîtrise et de moyens publics nécessaires à la lutte contre ce processus, dont les origines relèvent aussi pour beaucoup d’enjeux supra-communaux, et notamment du marché du logement francilien.
Du parcellaire au marché immobilier : les facteurs de la densification spontanée
Différents facteurs peuvent expliquer la forme de ce processus de densification. D’abord, des facteurs fonciers et réglementaires, liés à la fois à la forme des tissus pavillonnaires qui sont des tissus de type faubourg, aux parcelles de taille relativement grande, qui ont toujours évolué de manière spontanée au gré des évolutions du règlement et des initiatives individuelles. Le processus de densification dans son versant légal est également le fait de facteurs réglementaires : bien que la mairie mène une politique de lutte contre la densification des tissus pavillonnaires, le dispositif réglementaire antérieur à 2009 permettait de fait une certaine densification du tissu pavillonnaire. Au premier rang de ces failles figurait l’absence de réglementation des terrains (donc l’absence de minimum parcellaire) qui permettait la multiplication des divisions foncières suivies de constructions sur les parcelles détachées.
Ce sont ensuite des facteurs liés à la conjoncture immobilière actuelle qui accuse une crise du logement qui se ressent d’autant plus dans les territoires défavorisés. La pénurie de logements et notamment de logements sociaux observée en Île-de-France n’épargne pas la commune de Trappes. Cette insuffisance du parc social conduit à un report des ménages modestes sur le parc privé qui, dans son segment le plus bas, devient parc social de fait.
Enfin, la forme que prend la densification est aussi liée aux caractéristiques économiques et sociales de la commune de Trappes. En Île-de-France, et notamment dans les poches urbaines marquées par une forte ségrégation socio-spatiale, on assiste avec la crise du logement à l’émergence d’un « sous-marché » du logement (selon l’expression utilisée dans une étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France, en 20117) qui accueille les ménages exclus du marché principal. Ce contexte de crise du logement aurait ainsi pour conséquence d’encourager la vocation des marchands de sommeil, qui trouvent dans ce sous-marché un intérêt économique fort en logeant à moindres frais et dans des conditions parfois déplorables des ménages n’ayant souvent aucun autre moyen de se loger. Le processus de « densification spontanée » accompagnée d’une taudification de l’habitat dans les tissus pavillonnaires serait avéré dans plusieurs communes qui accueillent des populations défavorisées. En dehors de Trappes, c’est le cas dans plusieurs communes de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne8.
A Trappes, le processus est d’autant plus difficile à éradiquer que la commune n’a pas forcément les moyens de fournir un logement social ordinaire à l’ensemble des personnes pouvant prétendre à occuper ce parc social. La ville de Trappes ne possède pas le parc d’habitation nécessaire pour permettre le relogement des personnes hébergées de façon illégale. Faute de logements suffisants, elle n’est donc pas en mesure d’interdire d’habiter dans tous les logements qui lui ont été signalés comme potentiellement indécents.
Le processus de densification, dans son versant informel, perdure aussi du fait que les locataires de ces logements ne sont pas particulièrement revendicatifs et ne font pas forcément valoir leurs droits, soit parce qu’ils ne les connaissent pas, soit parce qu’ils craignent d’être expulsés sans pouvoir être relogés ailleurs.
Si le fonctionnement des marchés est de nature à favoriser la constitution d’espaces fortement hiérarchisés selon le revenu des ménages qui occupent les logements, la discrimination des clientèles qui en résulte est à l’origine de mécanismes de ségrégation spatiale9. De cette manière, le « sous-marché » de la densification participant à l’émergence d’un parc social de fait, procède de ce processus de ségrégation socio-spatial, la densification du tissu pavillonnaire étant le fruit de logiques économiques puissantes. Il y a là un enjeu fort pour les politiques publiques qui pourraient se saisir de ces logiques économiques afin de maîtriser les processus au bénéfice de la collectivité, comme c’est le cas au Canada, dans le cadre de la politique des appartements accessoires.
1 Au recensement de 2008.
2 Le nombre de logements individuels représente 70 % de l’ensemble du stock de logements de Magny-les-Hameaux. Source : Saint-Quentin-en-Yvelines en chiffres, Magny-les-Hameaux, habitat, édition 2010 (consultable en ligne sur le site de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines
3 EPSTEIN R. « Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires », In Esprit, novembre 2005, p. 96-111.
4 Sources : entretiens réalisés avec le maire et la directrice du Service de l’urbanisme de la ville de Trappes.
5 Enjeux présentés dans la plaquette de présentation aux habitants du processus d’élaboration du PLU.
6 Nous avons en outre eu l’occasion de visiter un pavillon potentiellement indigne occupé par deux familles et dont le niveau de loyer est proche de ceux du marché.
7 DAVY A-C. L’Habitat dégradé et indigne en Île-de-France. Enjeux et politiques, Paris, Iaurif, 2011.
8 DAVY A-C., MERTINY P., RICHARD M. « La division des pavillons de banlieue. Une recomposition en sourdine de la région parisienne. », In revue en ligne Métropolitiques), 2014.
9 MOUILLART M. « L’analyse économique du bien logement », In SEGAUD M., BONVALET C., BRUN J. (sous la dir. de), Logement et habitat : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 1998.
Références
Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°15
En savoir plus
Site du Ministère de la politique de la ville
Plan Locale d’Urbanisme de la ville de Trappes