Le vote Front national dans le périurbain
Eric Charmes, octobre 2015
Ce texte est une version revue d’une tribune publiée dans Libération en 2014 « Le périurbain terreau du FN ? », 19 février
Les études fines, notamment celles de Michel Bussi et Jérôme Fourquet (2012), montrent que c’est moins le périurbain en tant que tel, que l’éloignement des grandes villes qui est corrélé à ce vote : plus on s’éloigne des grands centres urbains et plus on vote pour le Front national, ceci jusqu’aux confins des couronnes périurbaines (au-delà, dans les territoires ruraux, la tendance s’inverse et le vote pour le Front national décline). Il faut principalement voir là un résultat du système de production de logements. Beaucoup de familles d’accédants à la propriété disposent d’un revenu mensuel inférieur à 2500 euros (pour deux adultes et deux enfants). Motivés par des discours politiques et médiatiques qui font de la propriété d’une maison individuelle un aboutissement essentiel de toute vie réussie, ces familles s’endettent à hauteur du tiers de leurs revenus pour emprunter au mieux 150 000 euros. Avec un tel budget, pour trouver une maison, il faut souvent s’éloigner. Il faut prospecter à plus de 100 km du centre de Paris ou à plus de 40, voire 50 km du centre des autres grandes agglomérations. Ainsi, sous l’effet de la centrifugeuse qu’est devenu le marché immobilier, des citadins ouvriers et employés s’installent de plus en plus loin des centres des villes, dans des communes jusque-là plutôt rurales, qui étaient déjà populaires. Les périphéries des grandes villes s’affirment donc comme des espaces ouvriers et employés. Et on le sait, les discours du Front national rencontrent de forts échos dans ces milieux. Là réside la principale explication du vote plus marqué en faveur du Front national dans les périphéries éloignées des villes.
Ceci étant dit, les travaux de Michel Bussi et Jérôme Fourquet montrent que les ouvriers et les employés votent plus pour le Front national dans le lointain périurbain que dans les centres des grandes villes. En 2012, le Front national a recueilli 35 % des suffrages exprimés par les ouvriers et employés qui résident entre 40 et 50 kilomètres des centres, alors qu’il en a recueilli « seulement » 25 % parmi les ouvriers et employés qui résident dans les centres des grandes villes ou à leur proximité immédiate. Comment expliquer cet écart ? Par deux éléments. Le premier, apporté par Jean Rivière (2012), est que les ouvriers et employés qui votent le plus pour le Front national sont les autochtones, les périurbains malgré eux. En effet, les espaces périurbains les plus éloignés des centres accueillent beaucoup de familles issues de l’immigration récente (voir Le périurbain, espace des Blancs ?). Et ces familles ne sont pas toujours accueillies à bras ouverts. Pour beaucoup d’autochtones, une famille d’origine maghrébine, turque ou noire africaine qui s’installe, c’est « la banlieue qui débarque ».
Deuxième élément d’explication, pour les nouveaux arrivants, l’éloignement a un fort impact. Les frais de transports pèsent lourd, parfois même très lourd, dans les budgets (voir Les « captifs » du périurbain). L’éloignement implique aussi des journées de travail allongées par des trajets très longs, dans des communes par ailleurs peu équipées pour la garde des enfants. Au total, une fois installées, beaucoup de familles se découvrent une vie quotidienne plus difficile qu’anticipé. Et lorsque ces familles comparent leur situation à celles de leurs anciens voisins restés locataires dans des banlieues populaires, certaines deviennent réceptives aux discours qui stigmatisent les « assistés »….
Quoi qu’il en soit, le vote Front national n’exprime pas un malaise périurbain. Le périurbain n’est pas un espace en lui-même pathologique. Il y a surtout trois problèmes : le premier avec la situation politique, sociale et économique à laquelle les milieux ouvriers et employés sont confrontés (Girard, 2013) ; le second avec les représentations collectives de l’immigration récente et, plus particulièrement, avec l’islamophobie ; le troisième avec un système de production de logements qui pousse des familles modestes dans des petites communes excentrées généralement mal équipées et très mal desservies par les transports en commun.
Références
BUSSI, Michel, FOURQUET Jérôme et Céline COLANGE, 2012, Analyse et compréhension du vote lors des élections présidentielles de 2012, Revue française de science politique, vol. 62, n° 5, p. 941-963.
CHARMES Eric, Lydie LAUNAY et Stéphanie VERMEERSCH, 2013, Le périurbain, France du repli ?, La vie des idées, en ligne
GIRARD Violaine, 2013, Sur la politisation des classes populaires périurbaines: Trajectoires de promotion, recompositions des appartenances sociales et distance (s) vis-à-vis de la gauche, Politix, n° 101, p. 183-215
RIVIERE Jean, 2012, Trajectoires résidentielles et choix électoraux chez les couches moyennes périurbaines, Espaces et sociétés, n° 1, p. 73-90.