L’archipole (ou la métropole encadrée)
Remi Dormois, mars 2013
Cette fiche propose une prospective de ce que serait une métropole « encadrée » en 2040. Ce scénario met l’accent sur le retour à un protectionnisme d’État, dans un système de dé-globalisation et de re-territorialisation des métropoles. Cela se traduit par le développement des circuits courts, la ré-industrialisation des régions et la prise en compte de l’urgence écologique.
Le contexte d’action en 2040
En 2040, en réponse aux dégâts sur l’emploi et le tissu industriel dans les pays européens attribués à la mondialisation libérale, les gouvernements nationaux et l’Union Européenne ont réagi en établissant des barrières vis-à-vis des flux de marchandises, de capitaux et de main-d’œuvre. Des dispositifs douaniers et réglementaires ont limité la pénétration des marchés européens par les produits manufacturés venus des Suds. Prenant acte de l’échec de la stratégie de mise en place d’une monnaie unique sans une harmonisation préalable des politiques fiscales et sociales, les pays qui sont restés membres de l’UE ont décidé de confier aux institutions communautaires la mission de mettre en place un système social et fiscal unique. De leur côté, à la suite de la crise financière de 2008, les États-nations ont réinvesti le domaine des politiques industrielles. Ils ont remis sur pied des appareils industriels complets sur la base des réseaux de PME sous-traitantes restées captives de leur localisation européenne. La France est moins bien lotie dans cette configuration que d’autres pays européens du fait de la faible part des grosses PME dans sa démographie des entreprises.
Cette stratégie de déglobalisation découle de la pression de la classe moyenne qui, après les classes populaires à la fin du 20ème siècle, est devenue la nouvelle victime de la mondialisation libérale dans les premières décennies du 21ème siècle. Cette stratégie a été également facilitée par plusieurs facteurs structurels comme le renchérissement des coûts de production (notamment salariaux) dans les pays émergents et surtout l’explosion des coûts des transports induits par le « peak oil». En effet, malgré les efforts de recherche consentis pour élaborer des alternatives aux modes de transports recourant aux énergies fossiles, aucune des technologies nouvelles n’a atteint en 2040 les performances des modes de transports de l’ère du pétrole. On assiste donc un peu partout dans le monde à une réduction des volumes d’échanges de biens. Seuls les biens rares continuent à faire vivre le commerce international. Partout, les systèmes productifs se re-territorialisent et les anciens modèles de développement fondés sur la « substitution des importations » reviennent au goût du jour.
La hiérarchie urbaine européenne et française connaît un certain tassement dû à la fois à la relocalisation des échanges économiques mais aussi à des politiques industrielles et des politiques d’aménagement du territoire plus ambitieuses. Des systèmes productifs diversifiés couvrant des bassins de consommation relativement limités se restructurent autour des villes. Le circuit court est devenu, par un mélange de choix et de contraintes, la norme dans de nombreux secteurs productifs et pas uniquement dans l’agro-alimentaire.
Cette volonté de contrôle de la globalisation trouve également une expression dans des politiques d’immigration qui sont devenues de plus en plus restrictives. La raréfaction de l’emploi public dans les années 2010 et 2020 a créé de fortes concurrences pour l’accès aux emplois peu rémunérés, concurrences qui ont elles-mêmes dégénéré en conflits inter-ethniques. Ces conflits ont conduit les pouvoirs publics à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers et à renforcer les dispositifs de contrôle des frontières. Les politiques de déglobalisation se sont donc épanouies dans un climat de crispation identitaire et de renforcement de l’obsession sécuritaire.
Quelques caractéristiques de la vie dans l’archipole
Dans les archipoles de 2040, les acteurs publics, politiques, techniques et administratifs, ont renforcés leur position dominante au sein des systèmes de gouvernance métropolitaine. Les autorités centrales, et notamment une DATAR revigorée par la seconde vie du « keynésianisme spatial », ont finalement réussi à promouvoir le couple modernisateur qu’elles ont toujours choyé : les métropoles et les régions. Les métropoles ont vu leurs périmètres, leur compétences et leurs ressources (financières, d’expertise, de légitimité politique) s’accroître. Elles ont été investies par l’État et l’UE d’un rôle éminent dans le domaine de la planification, du logement, de l’urbanisme mais aussi des politiques foncières, environnementales et industrielles ainsi que dans la gestion des services urbains.
Les archipoles seront étroitement encadrées par des institutions métropolitaines puissantes dotées de technostructures renforcées qui ont pris en main la conversion des systèmes métropolitains à l’après-pétrole. Des règlements d’urbanisme plus drastiques ont permis d’enrayer l’étalement urbain et de généraliser des modèles urbanistiques privilégiant la densification des centres principaux et secondaires existants et la préservation de ceintures vertes et de couloirs écologiques. Des règlements en matière de construction, mais aussi des politiques volontaristes de réhabilitation du bâti existant ont permis de convertir l’essentiel du parc immobilier en conformité avec les normes énergétiques les plus ambitieuses. Les grandes entreprises de l’oligopole français des services urbains (eau, assainissement, transports, électricité, déchets, fret urbain, etc.) et de la promotion immobilière ont été évincées du marché français et se sont repositionnées à l’international. Elles sont remplacées par des régies métropolitaines puissantes et des sociétés d’économie mixte impliquant, aux côtés des collectivités, la Caisse des Dépôts et les chambres de commerce. Ces nouvelles entités gèrent des équipements métropolitains de production d’énergie renouvelable, de production d’eau et d’assainissement ainsi que les smart grids permettant le contrôle des consommations et l’adaptation au plus juste de la production. L’agriculture périurbaine et les circuits d’approvisionnement des villes en produits frais ont été pris en charge par des coopératives sponsorisées par les pouvoirs métropolitains et travaillant en lien étroit avec les régies de transports métropolitains ayant développé une activité de fret urbain en recourant notamment à l’utilisation nocturne des tramways.
Si le renouveau de l’économie publique est une caractéristique majeure des « archipoles », la renaissance des systèmes industriels locaux en est une autre. Les gouvernements métropolitains sont les opérateurs des politiques de ré-industrialisation. Ils sont responsables, avec les CCI, des politiques d’accompagnement des PME, d’animation économique, de soutien à l’innovation mais aussi de formation, de conservation et de protection des savoir-faire et de sécurisation des parcours professionnels. Avec les Régions, ils sont aussi rentrés massivement dans le capital des PME. Une réglementation européenne anti-trust extrêmement sévère et la présence des collectivités dans le capital des entreprises empêchent la reformation d’oligopoles. Des bassins de production et de consommation circonscrits à des espaces régionaux se reforment. Les structures productives des métropoles sont revenues à ce qu’elles étaient jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale : chaque métropole possède un tissu industriel varié avec trois ou quatre spécialisations manufacturières. Autour de ces activités industrielles, on trouve une diversité d’activités de soutien (assurance, finance, logistique, marketing etc.). La Datar, devenue « Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action de Réindustrialisation », applique à la lettre la formule d’un économiste français à la mode dans les années 2030 selon lequel « les systèmes productifs locaux constituent désormais la voie de la modernisation de la France ».
Les « archipoles » ont une stratification sociale ramassée et trapue. Les accords salariaux conclus à l’échelle régionale mettent fin à l’étirement des échelles de revenus. On observe un mouvement rapide de déségrégation accéléré par les lois successives restreignant drastiquement la spéculation foncière et immobilière. Parallèlement, la hiérarchie urbaine se resserre. La métropole capitale n’a pas creusé l’écart avec ses homologues de province. De même, ces dernières ont participé à la revitalisation des villes moyennes aux moyens des politiques publiques susmentionnées.
Les espaces métropolitains sont réorganisés par les pouvoirs publics au nom de l’urgence écologique. Des dispositifs de contrôle étroit portent à la fois sur les localisations des ménages et des activités mais aussi sur les mobilités. Le lien entre les politiques d’urbanisme et les politiques de transports est obtenu par la prise en charge de ces compétences par les gouvernements métropolitains et leurs agences. Ainsi, le schéma des hypermobilités éclatées a laissé la place à une logique de concentration des flux de déplacements autour de grands axes de transports collectifs.
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DATAR. 2010. Territoires 2040, aménager le changement
Présentation de la démarche 2040 sur Futiribles
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Sélection de documents de la DATAR