Fiction n°3 : Parti de la décroissance et système de coopératives dans l’agglomération stéphanoise

Remi Dormois, marzo 2013

Cette fiche est issue d’un extrait des travaux du groupe « les métropoles » animé par Gilles Pinson, Professeur à l’Institut d’études politiques de Lyon, et Max Rousseau post-doctorant au laboratoire RIVES (ENTPE), dans le cadre de la démarche « Territoire 2040 » de la DATAR.

Elle propose un exercice de prospective de l’agglomération Stéphanoise, au travers du phénomène de la rétropole.

12 juillet 2040…

8h. Manuel, jeune menuisier à Rive-de-Gier, quitte son appartement dans un immeuble délabré du centre-ville et frappe à la porte de son voisin, Nicolas : comme tous les jours, il prend son café chez lui avant de se rendre à son travail. Manuel travaille chez Meubles Pour Tous, une entreprise autogérée d’ameublement située au bord du Gier et organisée sur la base des circuits courts : le bois provient des scieries de Saint-Chamond, et les meubles créés, simples, robustes et bon marché, sont vendus exclusivement dans la vallée. Meubles Pour Tous ne renouvelle pas ses collections, n’a pas de stratégie de marketing et n’emploie aucun commercial: sa réputation locale est suffisante, et l’entreprise offre une garantie à vie à ses clients. Depuis la fermeture de l’IKEA de Saint-Étienne, vendu une quarantaine d’années auparavant comme l’« un des plus grands d’Europe », plusieurs coopératives d’ameublement avaient ainsi vu le jour dans l’agglomération stéphanoise, la plupart initialement financées par la Banque Mondiale sur la base du microcrédit. Meubles Pour Tous employait ainsi une cinquantaine de personnes, qui recevaient un salaire identique. Celui-ci était peu élevé, mais Manuel aimait son travail et estimait avoir d’autant moins de raison de chercher à accroître ses revenus que sa participation au Système d’Échange de l’Est Stéphanois lui permettait d’obtenir gratuitement la plupart des biens et services dont il avait besoin.

Alors que Nicolas lui ouvre la porte, Manuel remarque combien son voisin semble plus âgé qu’il ne l’est : la vie l’a fait vieillir prématurément. Nicolas est depuis longtemps retraité. Il avait commencé sa vie active dans une usine de sous-traitance automobile, à Saint-Étienne, au début des années 1990. Doté d’une sensibilité artistique, et sensibilisé aux métiers de la création par les nombreuses expositions organisées à Saint-Étienne à la fin des années 2000, il avait par la suite entrepris une formation tardive de designer industriel. Las, le district du design envisagé par la métropole stéphanoise afin d’assurer sa reconversion s’était retrouvé rapidement concurrencé par Stockholm et Milan, puis par Shanghai et Bombay. Les designers locaux à succès avaient émigré et la Cité du Design, objet de tous les espoirs du gouvernement local, avait fait faillite dès la fin des années 2010. La politique de ré-industrialisation lancée en désespoir de cause n’avait pas non plus porté ses fruits. Plombée par la hausse brutale des taux d’intérêt des emprunts toxiques contractés avant la crise des subprimes, la communauté d’agglomération s’était vue contrainte de renoncer à ses grands projets de re-développement. Malgré la baisse des taxes locales, la plupart des villes de l’agglomération stéphanoise s’étaient rapidement paupérisées sous l’effet du déclin économique régional massif.

Père célibataire de trois enfants, Nicolas n’avait pas osé effectuer le grand voyage que ses nouveaux amis l’enjoignaient de réaliser. Après avoir occupé plusieurs postes précaires et faiblement payés dans le tourisme, Nicolas avait finalement accepté, à 47 ans, le plan de pré-retraite proposé par le gouvernement. Avec 400 € de revenus mensuels, les services sociaux de la métropole stéphanoise l’avaient orienté vers cet appartement inoccupé de Rive-de-Gier, propriété du conseil métropolitain depuis l’exil de son précédent propriétaire. Nicolas se satisfaisait de son sort, d’autant mieux que ses trois enfants ne s’en étaient pas si mal sorti, comme il aimait à le répéter : l’un de ses fils était agriculteur en Haute-Loire, son second fils était serveur à Moscou – où son accent français lui valait des pourboires nettement au-dessus de la moyenne – et sa fille occupait un poste d’encadrement dans une usine sidérurgique chinoise située à Dakar.

Comme chaque matin, Nicolas et Manuel discutèrent donc en buvant leur café provenant des Serres Coopératives de Saint-Chamond. Tous deux étaient des membres actifs du Parti de la décroissance, majoritaire à Rive-de-Gier et au conseil métropolitain stéphanois. Nicolas était par ailleurs conseiller métropolitain. Comme il ne disposait pas d’un véhicule, ses réunions fréquentes à Saint-Étienne constituaient un véritable casse-tête : la circulation du tram-train métropolitain Rive-de-Gier-Saint-Etienne-Chateaucreux qui avait pris le relai de la liaison ferroviaire Lyon-Saint-Etienne à la suite de la faillite de la région était aléatoire car l’infrastructure souffrait de sous-investissement chronique. La seconde autoroute reliant Lyon à Saint-Étienne n’avait jamais été construite, et la première était devenue impraticable. La plupart du temps, Nicolas recourait donc à une association locale de partage d’automobiles, mais la saturation du réseau l’obligeait à prévoir deux heures pour couvrir les 20 km séparant les deux villes.

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DATAR. 2010. Territoires 2040, aménager le changement

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