Pour le responsable du collectif des associations du Yatenga, l’aide étrangère est trop partielle et trop pressée par rapport à la situation des populations

Naaba Ligdi S. KAGONE, Maryvonne CHARMILLOT, Séverine BENOIT, diciembre 1998

Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)

Cette fiche a été réalisée à partir d’un entretien à Ouahigouya avec Naaba Ligdi S. KAGONE. Elle décrit une aide internationale pressée, par rapport aux besoins réels du terrain. Les enjeux décrits incitent plutôt à prendre le temps de faire évoluer les mentalités et de subvenir aux besoins de base avant de démarrer une activité ou une formation.

Naaba Ligdi S. KAGONE, responsable du CADY (Collectif des Associations Du Yatenga):

« Selon moi, l’aide se cherche à l’heure actuelle. L’aide ne sait pas sur quel pied s’asseoir. L’aide suit le développement socio-économique des populations. Mais l’aide a une ambition plus grande que ce que la nature a doté, par exemple au Burkina. L’aide veut qu’en 10 ans les gens se prennent en charge. Et souvent même, que les gens se prennent immédiatement en charge financièrement, techniquement. Pour la base, qui est  »l’apprenant villageois », celui qui s’alphabétise, ce n’est pas évident qu’il puisse se prendre en charge immédiatement. Après 2 ou 3 ans d’aide. Parce que pour décoller c’est toute une histoire. Même les Européens, pour décoller ils ont mis 1 ou 2 siècles. Aujourd’hui, ils sont en envol, ils ne voient pas les problèmes à l’heure actuelle de celui qui décolle. Parce que les gens n’ont rien. On peut former quelqu’un en gestion mais il n’a pas une boutique pour gérer, il n’a pas un fonds financier pour gérer. Il connaît la gestion mais il faut l’aider aussi avec la boutique. Donc il faut tout donner. C’est cela le problème de l’aide. Et l’aide ne veut pas tout donner. Quelqu’un m’a dit : « La Suisse ne peut pas venir construire des maisons pour faire habiter les gens d’ici ». Chacun doit habiter dans une maison au moins et la Suisse vient les trouver dedans pour les faire se développer.

Par exemple moi, sans les Suisses, j’allais d’être obligé de vivre avec mes 8 agents dans un réduit de ce genre-là. Sans les Suisses, je n’aurais pas eu de salle de formation, qui est fréquentée quotidiennement. Tous les jours il y a des réunions dans cette salle. Les autres services de la province, tout le monde vient ici et tous les jours, elle est sollicitée. C’est grâce aux Suisses. Les services n’ont pas d’infrastructures, ils n’ont pas le minimum. Les individus n’en n’ont pas, les paysans n’en ont pas. Donc l’aide est venue trouver les gens à terre, les mains vides.

Mais l’aide va trop vite. L’aide doit s’occuper de faire enrichir les gens d’abord, de les faire rédiger progressivement des besoins vitaux, des besoins capitaux, tels que le manque de local. Souvent c’est un minimum. Parfois aussi l’équipement logistique : les machines à écrire, par exemple en langue nationale. Notre machine est pratiquement la seule ici. Ce sont les ordinateurs maintenant qui ont commencé à multiplier les logiciels en langue nationale, sinon cela n’existait pas. Il y a un petit minimum qui manque aux gens. Les gens veulent se développer mais ce n’est pas facile de démarrer. C’est difficile.

L’aide veut aussi changer la mentalité des gens. Du paysan analphabète, ils veulent en faire un gestionnaire de projet. Et souvent en moins de 10 ans. C’est trop rapide. Je crois qu’il faut que l’aide accepte d’aller doucement. Que les gens changent de compétences, de mentalités. Cela va venir, le temps joue positivement pour le développement. Mais l’aide est pressée.

Et puis l’aide veut faire ce qu’on appelle le développement par îlot. C’est juste, mais un service d’État, tel que le notre par exemple, c’est impensable qu’on procède par îlot. L’aide nous pousse à prendre le sélectif. C’est bien peut-être pour une association, parce qu’elle a choisi son canton, ses secteurs, son périmètre. Elle se concentre sur tel point. Mais un service d’État ne peut pas se concentrer à gauche ou à droite. Nous sommes obligés de planifier pour que chacun profite petit à petit. Là-dessus, j’ai toujours été en porte-à-faux avec les Suisses. Ils ont voté pour l’alphabétisation fonctionnelle et sélective. Nous, au début, on nous appelait Service d’Alphabétisation de Masse, le SAM. Cela veut dire qu’on doit s’occuper de tout le monde. On a supprimé le mot masse et mis celui d’alpha mais cela revient à la même chose. Cela ne change pas : la masse est là et elle va venir. Nous sommes sollicités. Les villageois viennent, les individus viennent, les services, les jeunes filles. C’est nous qui sommes en retard par rapport à leurs besoins.

Nous pensons que les Suisses nous ont aidé au-delà de nos espoirs mais il y a aussi des choses qu’il faut revoir. Et avoir moins d’ambition, dans les objectifs de l’aide. Parce qu’il faut créer l’homme d’abord, avant de créer son développement. Sinon, l’homme vivote, il cherche à survivre. Ici on ne vit pas, on cherche à survivre. Beaucoup de gens ne savent pas où ils vont manger demain, dans la ville de Ouahigouya et dans les villages. Il faut que les gens vivent d’abord, avant de s’occuper de leur amélioration intellectuelle ».

Commentaire :

Notre interlocuteur constate que tout commence par la lutte journalière pour la survie de chacun, que le développement ne se découpe pas « par îlot », que l’aide est trop pressée. Et pourtant, il travaille avec une agence d’aide, la Coopération suisse qui a le sens (et la pratique) du long terme !

Referencias

GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement)

KAGONE N. L. S., CHARMILLOT M., BENOIT S. décembre 1998. Objectifs et fonctionnement du CADY -Collectif des Associations du Yatenga-, Burkina Faso

Para ir más allá

Site de la Coopération suisse

ENEE G. 2007. La dynamique des ONG au Burkina Faso : Une efficacité en question, Géographie. Université de Caen, Français.