L’Alliance Citoyenne de Grenoble
Une expérience de community organizing
Alliance Citoyenne de Grenoble, 2016
Collectif Pouvoir d’Agir (Pouvoir d’agir)
D’une part, les canaux proposés par la démocratie participative ne suffisent pas pour faire entendre la parole citoyenne (ses besoins, ses colères, ses propositions, …) et équilibrer les rapports entre citoyens et décideurs (élus, bailleurs, municipalité, Etat, …). D’autre part, les initiatives des collectifs d’habitants ont des difficultés à mobiliser d’autres habitants et à créer des synergies entre elles… L’Alliance Citoyenne de Grenoble, créée en 2010, s’inspire du community organizing pour renforcer la capacité d’action et d’interpellation des habitants de différents quartiers. Elle soutient les collectifs d’habitants et les forces vives des quartiers pour agir ensemble sur leurs conditions de vie et transformer la démocratie locale. Les campagnes citoyennes ont permis d’obtenir des « petites victoires » (ramassage des poubelles, révision des charges locatives, dialogue sur la politique jeunesse, …) qui redonnent confiance aux habitants sur leur capacité à prendre en main leur avenir et à aller au-delà de leurs différences. L’expérience grenobloise a inspiré d’autres initiatives en France, notamment à Aubervilliers.
Le community organizing
Le Community Organizing est le processus d’organisation des citoyens habitant le même territoire afin de mieux défendre leurs intérêts communs.
A la différence des acteurs du développement communautaire ou développement social local (community development), les praticiens du community organizing insistent sur la reconnaissance des asymétries de pouvoir et des intérêts contradictoires.
L’enjeu est alors de construire des alliances citoyennes rassemblant la diversité des habitants d’un territoire, de lier les personnes au-delà des fossés culturels, sociaux ou religieux pour développer le pouvoir citoyen et construire des paroles collectives à même d’être entendues.
Ces alliances ont vocations à mener, avec les personnes concernées, des « campagnes » qui visent à améliorer les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques des personnes et de la société civile.
La philosophie de l’Alliance Citoyenne
L’Alliance Citoyenne soutient l’idée de la démocratie d’interpellation comme l’une des 4 composantes essentielles de la démocratie. Là où la démocratie représentative, la démocratie participative et la vie associative sont largement reconnues et financées par l’État (même si la vie associative connaît des difficultés), la démocratie d’interpellation favorisant l’initiative citoyenne a du chemin à parcourir pour faire sa place. De plus, la société civile organisée (les associations, les collectifs, les groupes …) n’a pas le même pouvoir sur les décisions qui concernent les citoyens que l’Etat (les institutions) et que le « marché » (les entreprises). Par exemple un groupe d’habitants aura beau faire remonter des problèmes, la décision de résoudre ces problèmes dépend en grande partie du bon vouloir de la personne qui en a le pouvoir.
Les groupes de campagne de l’Alliance tentent, par leur action, d’établir une relation d’égal à égal avec les décideurs locaux (élus, responsables d’administration, chefs d’entreprises, bailleurs sociaux…) afin d’ouvrir de vrais espaces de dialogue et de négociation. La parole citoyenne ne doit pas seulement être écoutée mais aussi entendue et prise en compte dans les décisions qui impactent directement la société civile. C’est pourquoi l’Alliance Citoyenne propose qu’on construise ensemble le pouvoir de se faire entendre en s’organisant et en menant des campagnes citoyennes. L’objectif est de construire des relations, mutualiser les forces et les compétences entre des personnes, des associations et des communautés prêtes à s’allier sur des campagnes citoyennes communes. Cela permet ainsi de dépasser les fossés culturels, religieux ou générationnels qui trop souvent divisent. Elle permet la rencontre entre des communautés qui ont peu l’habitude de travailler ensemble.
L’Alliance travaille au maintien de la diversité de ses membres afin de pouvoir établir des diagnostics par delà les intérêts personnels et mener des campagnes visant la construction du bien commun. Les demandes sont construites par les personnes qui subissent directement les problèmes et sont soutenues par une alliance d’organisations diverses de la société civile. Les campagnes sont construites dans un processus ascendant partant de la demande citoyenne.
L’indépendance vis à vis des institutions publiques et privées et donc de leurs possibles financements permet d’éviter certains conflits d’intérêt et de respecter la demande citoyenne quelque soit le décideur concerné. L’indépendance vis à vis des partis politiques permet de construire une organisation de la société civile qui accepte la diversité des opinions qui la traverse.
L’Alliance soutient le développement d’une citoyenneté active et tout-terrain touchant toutes les sphères de la vie quotidienne : travail, logement, école, transports, espace public… Ces problèmes sont inter-dépendants : il y a peu de sens à obtenir une augmentation de salaire d’un côté lorsque son loyer augmente de l’autre ou à obtenir la baisse des charges locatives lorsque son salaire baisse. Ces vases communiquant appellent à porter la casquette du citoyen tout terrain.
Dans la lignée de Saul Alinsky, l’Alliance Citoyenne adopte une vision pragmatique qui distingue le monde « tel qu’il est » (discrimination, inégalité) du monde « tel qu’il devrait être » (respect, amour, égalité). Agir dans le premier c’est ouvrir la possibilité à tous les citoyens de construire le second à partir des problèmes vécus et grâce à des méthodes concrètes pour les faire entendre. En cas de blocage, lorsque la demande citoyenne se heurte à l’indifférence des décideurs locaux (privés ou publics), la société civile a le pouvoir et le devoir de ne pas s’en arrêter là. Si elle ne veut pas alimenter le sentiment d’impuissance et d’exclusion des personnes engagées jusque-là, des actions collectives non-violentes sont à imaginer. Elles poussent les décideurs à mettre à l’ordre du jour de leurs réunions le problème en question. Ces actions sont non-violentes, originales et amusantes afin que tout à chacun puisse y prendre part avec plaisir.
L’Alliance a pour ambition de créer et d’animer un réseau large d’individus et d’associations présentes dans l’agglomération : associations du pays d’origine des personnes, syndicats, groupes de parents d’élèves, collectifs d’habitants, etc. afin de faire émerger des groupes de campagnes représentant la diversité des habitants de ce territoire et de diffuser une culture de l’engagement citoyen.
Les campagnes visent la résolution de problèmes concrets et locaux liés aux conditions de vie des habitants de l’agglomération grenobloise (logement, travail, école, etc). Elles sont portées par une alliance entre associations et communautés avec les personnes directement touchées par le problème.
Les organisateurs soutiennent les leaders engagés dans l’animation des réunions, les choix stratégiques et les enquêtes nécessaires. Les ressources humaines de l’Alliance étant limitées, les thèmes de campagnes sont priorisés par les membres de l’Alliance Citoyenne en assemblée annuelle.
Historique de l’Alliance Citoyenne de Grenoble
« 2010 : Création de l’alliance citoyenne de l’agglomération grenobloise. PREMIÈRE EXPÉRIMENTATION EN FRANCE. »
En 2010, une équipe de Grenoblois, inspirés par les méthodes du community organizing de Saul Alinsky et formés à Londres, cherche à adapter cette forme d’organisation de la société civile dans le contexte français.
Entre septembre 2010 et juillet 2012, les trois organisateurs de l’association (Solène Compingt, David Bodinier et Adrien Roux) rencontrent 600 leaders des quartiers de l’agglomération et accompagnent des campagnes citoyennes sur la baisse des charges dans les HLM, l’accueil des étrangers ou les horaires de travail des femmes de ménage.
Un groupe de leaders issus de groupes variés (congolais, pastorale des jeunes, centre culturel musulman, église évangélique, association de quartier) émergent pour préfigurer ce qui deviendra en décembre 2012, l’Alliance Citoyenne.
Références
Site de L’Alliance Citoyenne: alliancecitoyenne.org
En savoir plus
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Adeline, 2016, « Le community organizing, concrètement », billet du site Alliance Citoyenne, 9 mars 2016
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Balazard H., Carrel M., Cottin-Marx S., Jouffe Y. et Talpin J., 2016, « Ma cité s’organise. Community organizing et mobilisations dans les quartiers populaires », Mouvements, 2016/1 (n° 85).
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Bastide J., 2012, « Création de ‘l’Alliance citoyenne’ à Grenoble: une expérience de ‘community organizing’ à la française », billet du site de la Fédération des Centres Sociaux et Socioculturels de France, 27 décembre 2012.
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Compingt S., Gabriel D. et Roux A., 2012, Espace des Communautés et des Habitants Organisés. Expérimentation des méthodes du community organizing, Association ECHO.
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Louis J., 2016, « L’ambition démocratique du community organizing: l’exemple de l’Alliance Citoyenne de l’agglomération grenobloise », Revue Mouvements.
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Mengin J., 2014, « L’Alliance citoyenne de l’agglomération grenobloise », dans Réseau Culture et Promotion, « Démocratie participative, citoyenneté active », Cahier pour notre temps, septembre 2014, p.22-23.
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Zappi S., 2013, « A Grenoble, bâtir un contre-pouvoir pour se faire entendre », Le Monde, 07 février 2013.