La concertation dans l’environnement et l’aménagement
Repères historiques
Pierre-Yves Guiheneuf, 2013
Institut de la Concertation et de la participation citoyenne
Cette fiche présente l’histoire de la concertation, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Elle s’intéresse à l’impact des questions et des débats autour de l’environnement dans sa construction et son évolution.
Premiers pas : les résistances rurales
Dès les années soixante, dans des territoires ruraux soumis à l’exode ou à de lentes dépressions économiques, la mobilisation d’associations et d’habitants s’organise autour du slogan « Vivre et travailler au pays ». Il s’agit de susciter la création d’emplois et d’activités par la mise en place de groupes locaux d’habitants et l’élaboration collective de projets. Dès les années soixante-dix, des coopérants de retour des pays du Sud fertilisent cette ébauche de mouvement participatif, très peu structuré, en y généralisant l’approche par projets, en renouvelant les pratiques d’animation de groupes et en introduisant des outils méthodologiques comme le diagnostic participatif.
Leur réflexion est inspirée par des expériences pionnières issues de diverses régions du monde, théorisées par Ignacy Sachs et d’autres fondateurs du concept de développement endogène (ou autocentré). Au cœur de ce mouvement : la mobilisation de groupes locaux autour de dynamiques collectives, le refus des cloisonnements sectoriels, l’opposition aux initiatives « descendantes », mais aussi une certaine tendance à la glorification du local et à l’isolement des territoires. Avec le renforcement des politiques de développement rural et leur prise en main par les élus et les organisations professionnelles, ce mouvement s’étiole, non sans laisser une forte empreinte dans la façon de concevoir le développement local : plus « ascendant », plus collectif, constitué de l’agrégation de petits projets. Ces principes participatifs structureront durablement les pratiques de nombre d’animateurs.
En milieu urbain, à la fin des années soixante, s’expriment les premiers signes de ce qu’on appellera « la démocratie participative ». A sa source, la critique des élus qui s’appuient sur la mobilisation populaire lors de leur accession au pouvoir et se dispensent ensuite d’associer les citoyens à la gestion municipale, ou le constat d’abandon de certaines zones périurbaines dans le contexte de fort développement économique des Trente Glorieuses. A la différence des initiatives nées dans le monde rural, les mouvements urbains ne visent pas la mise en place de projets par les habitants eux-mêmes, qui passe souvent par une recherche de convergence de leurs objectifs, mais plutôt l’expression de leurs attentes et leur prise en compte par les autorités publiques locales. L’éducation du citoyen et l’émergence de contre-pouvoirs comme rempart aux dérives technocratiques et autoritaristes sont au cœur des motivations de ses inspirateurs. Le mot-clé en est « participation » plutôt que « concertation ». Alors que ce mouvement s’avère particulièrement vivace dans les années soixante-dix, il marque ensuite une pause. Parallèlement, les expériences se développent dans le champ de l’environnement et de l’aménagement, au point que c’est là que se manifestera un puissant moteur de l’évolution de la concertation.
L’environnement, moteur de la concertation
Les années soixante-dix sont celles de la création du ministère de l’Environnement et d’une large diffusion des préoccupations envers la nature. C’est à ce moment que des pratiques de concertation apparaissent. Par exemple, les expérimentations « Rivières propres » sont mises en place dans plusieurs départements à l’initiative du tout nouveau ministère de l’Environnement (créé en 1971). Elles mobilisent les riverains, les collectivités et les industriels autour d’objectifs communs de préservation des cours d’eau.
Puis, dans les années quatre-vingts, où la consultation est fréquemment mise en œuvre par un pouvoir encore fortement centralisé, des Commissions départementales des sites et de l’environnement, organes consultatifs, sont mis en place. Ils seront suivis par de nombreuses autres instances, généralement à l’échelle des départements. A partir de 1983, l’enquête publique est généralisée afin de collecter les avis du public sur des projets pouvant impacter l’environnement.
Les années quatre-vingts sont également celles de la mise en œuvre des lois de décentralisation (à partir de 1982) qui ne parlent pas explicitement de concertation ou de participation mais qui, en rapprochant les centres de décision des citoyens et en les confiant à des élus territoriaux et à des administrations déconcentrées, créent les conditions de leur expression future.
Suite au succès des opérations « Rivières Propres », l’essai est généralisé à partir de 1981 au travers des « Contrats de rivière » qui formalisent les bases d’une approche concertée de la gestion des ressources en eau, bien commun par excellence. Ces outils de contractualisation, toujours en œuvre, inspireront plus tard les contrats de baie (1991) puis d’étang, de lagune et de « milieux » en général. Ils se verront confortés par les démarches de Gestion intégrée des zones côtières (GIZC).
Le Sommet de la terre organisé par les Nations Unies à Rio de Janeiro en 1992 reprend dans sa déclaration finale la nécessité d’une participation des citoyens dans les questions d’environnement. La même année, la loi sur l’Eau instaure les Commissions locales de l’eau, organes décentralisés composés d’élus, de représentants de l’Etat, d’usagers, de professionnels et d’associations. Elles sont chargées, dans le cadre des Schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE), de faire des propositions en matière de gestion et de protection des ressources hydriques.
Il faut prendre la mesure de cette innovation, à une époque où il revenait d’abord à l’Etat de se dresser au-dessus des intérêts partisans pour définir le bien commun. En confiant ce rôle à des groupes composés d’acteurs locaux (représentants de l’Etat, élus locaux, associations et organisations professionnelles) – mais dont les pouvoirs publics ne sont évidemment pas exclus – et en créant les conditions d’un véritable dialogue entre eux, on considère que le bien commun résultera de la confrontation de leurs intérêts, dans les limites d’un cadre général imposé par la réglementation nationale. On met ainsi l’accent sur la recherche d’une convergence des stratégies des acteurs publics et privés, et même d’une co-construction de la politique de l’eau, en commençant par construire collectivement un diagnostic des problèmes, en construisant de la connaissance, en s’inspirant parfois des méthodes de négociation ou de médiation (même si le recours au vote majoritaire est encore fréquent) et en s’inscrivant clairement ainsi dans le champ de la concertation.
Dans cette perspective, le rôle des pouvoirs publics change profondément. D’interventionnistes et détenteurs de l’intérêt général, ceux-ci deviennent animateurs (et participants) d’un débat pluriacteurs. Ce changement de posture est inspiré par la doctrine libérale du « New Public Management » dans un souci de désengagement progressif de l’Etat au profit des acteurs privés et de rationalisation de son action. La coordination des acteurs devient alors centrale dans une perspective de recherche d’efficacité et les démarches contractuelles sont mises à l’honneur.
Les grands aménagements et le débat public
En 1992 également, inspirée par une expérience québécoise1, la Circulaire Bianco2 pose le principe d’un débat ouvert au public avant tout grand projet d’aménagement. L’idée sera confirmée en 1995 par la création de la Commission nationale du débat public, qui deviendra autorité administrative indépendante en 2002 et diversifiera progressivement ses modes d’action.
Le débat public diffère sensiblement des expériences de concertation menées dans le domaine de l’environnement. D’une part, il met en scène des citoyens et des pouvoirs publics, alors que les « acteurs environnementaux » précédemment considérés étaient exclusivement des acteurs collectifs : associations, organisations professionnelles, collectivités… D’autre part, il ne cherche pas à rapprocher les points de vue ni à co-construire des projets, mais plutôt à expliciter les divergences d’opinion et à mettre en lumière les arguments des uns et des autres. Enfin, il a pour objet de permettre une décision plus éclairée de l’autorité publique. Ces caractéristiques, différentes de celles qui animaient nombre de concertation environnementales dont le but était d’assurer une meilleure coordination de multiples décideurs publics et privés, place le débat public dans une position particulière et fait qu’il est souvent qualifié de procédure de consultation du public plutôt que d’outil de concertation.
Les questions scientifiques et techniques et les conférences de citoyens
A partir des années quatre-vingt-dix, de nouvelles expérimentations naissent dans le champ des sciences et des techniques, inspirées d’expériences danoises, allemandes et nord-américaines. Ce sont les conférences de citoyens, qui mobilisent des panels d’une à plusieurs dizaines de « citoyens lambda », à qui sont posées des questions de politique publique.
En 1999, une conférence de citoyens est organisée par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur le thème « Les OGM dans l’agriculture et l’alimentation »2. D’autres expériences de ce type suivront, par exemple sur le changement climatique (2002). En 2009, un dispositif de ce type, mis en place simultanément dans cinquante pays sous l’égide du Danish Board of Technology (et relayé en France par la Cité des Sciences et de l’Industrie), est destiné à contribuer à la conférence de Copenhague sur le changement climatique en y faisant entendre la voix des citoyens. Parallèlement, elles sont mises en œuvre à l’échelle locale autour de projets de gestion des déchets, de gestion de l’eau ou de tracé autoroutiers… Ainsi les conférences de citoyens trouvent progressivement leur place comme une modalité, sinon d’une large participation, au moins d’une délibération citoyenne.
Production législative et impulsions sociales
En 2002, la France ratifie la Convention internationale d’Aarhus, signée par l’Union européenne quatre ans plus tôt. Elle oblige chaque pays signataire à garantir à ses citoyens « les droits d’accès à l’information sur l’environnement, de participation [..] au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement ». Cette convention bénéficiera d’une audience certaine et inspirera les nouvelles réglementations, comme la Directive-cadre sur l’Eau adoptée par l’Union européenne en 2000 et qui introduit la question de la participation du simple citoyen notamment dans les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux, réservés aux groupes organisés de la société : organisations professionnelles, associations, collectivités territoriales… En 2003, deux directives européennes (2003/4/CE et 2003/35/CE) mettent l’accent sur l’information du public et sa participation à l’élaboration de programmes relatifs à l’environnement.
En 2003 également, les Comités locaux d’information et de concertation (CLIC) sont mis en place dans les bassins industriels à risque. En 2005, la Charte de l’Environnement rappelle le droit de tout citoyen à participer à toute décision publique ayant une influence sur l’environnement, sans pour autant préciser la nature et les modalités de cette participation. En 2010, la loi Grenelle 2 renforce encore la participation du public dans les questions environnementales.
Grâce à cette production législative, l’environnement est devenu, depuis les années 1990, un domaine privilégié d’application des principes de la concertation. Mais toutes les pratiques ne sont pas suscitées par la réglementation et, sur le terrain, d’innombrables expériences se mettent en place à l’initiative des acteurs locaux, que ce soit pour prévenir ou traiter des conflits, pour gérer des ressources naturelles, pour élaborer des conventions et des programmes, pour recréer du lien social, etc. Alors que certaines procédures sont relativement codifiées, comme le débat public ou la conférence de citoyens, d’autres sont beaucoup plus diffuses, moins « normées ». Leurs modalités d’expression varient en fonction des contraintes locales, des compétences mobilisées, des enjeux identifiés. Elles n’en sont pas pour autant moins efficaces ou moins légitimes aux yeux de ceux qui les font vivre.
1 celle du Bureau des audiences publiques pour l’environnement (BAPE)
2 Voir la fiche « Les OGM dans l’agriculture et l’alimentation »
Sources
Concertation et participation dans le domaine de l’environnement et de l’aménagement (législation française et conventions internationales)
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1789. L’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen stipule que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
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1807. La loi sur les travaux publics, puis celle sur les travaux d’intérêt général de 1892, instituent les enquêtes publiques, qui seront confirmées et élargies par les lois du 12 juillet 1983, du 13 décembre 2000 et du 27 février 2002.
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1981. Suite à des expérimentations « Rivières propres », la circulaire du 5 février crée les Contrats de rivière qui reposent sur un « accord des riverains, communes et industriels » sur des objectifs de préservation des milieux.
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1981. La loi du 12 mai crée les Commissions départementales des sites et de l’environnement qui intègrent des élus, des représentants de l’Etat et des associations. Elles ont un rôle consultatif dans des opérations industrielles, minières, touristiques, etc.
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1983. La loi du 12 juillet, dite « loi Bouchardeau » généralise l’enquête publique, impose l’étude d’impact et fixe des règles renforçant l’information du public.
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1991. La circulaire du 3 mai institue les Contrats de baie sur le modèle des contrats de rivière.
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1992. La Loi sur l’Eau du 3 janvier instaure les Schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) conduits par des Commissions Locales de l’Eau composées d’élus, de représentants de l’Etat, d’associations et d’organisations professionnelles.
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1992. La « circulaire Bianco » du 15 février prévoit une procédure de concertation sur les grands projets d’infrastructures, dès leur conception. La procédure repose sur la constitution d’une commission indépendante désignée par le préfet.
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1992. La Déclaration de Rio, dans son principe 10, déclare que « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. […] Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. »
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1995. La loi du 2 février relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite loi « Barnier », crée la Commission Nationale du Débat Public, chargée d’organiser des consultations sur les grandes opérations d’aménagement d’intérêt national mises en œuvre par l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et les sociétés d’économie mixte. Exemples : lignes électriques à très haute tension, autoroutes, voies ferrées, enfouissement de déchets radioactifs, extension ou création d’aéroports, etc.
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1998. Le décret du n° 98-865 du 23 septembre 1998 crée les Commissions départementales des sites, perspectives et paysages, composée de représentants de l’Etat, de collectivités territoriales et de personnalités qualifiées dont des associations. Leur avis consultatif est sollicité par les Préfets.
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2000. Le Parlement européen adopte la Directive cadre sur l’eau qui demande la participation active des acteurs de l’eau – mais également du public en général – à l’élaboration des plans de gestion des ressources hydriques.
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2002. La France ratifie la Convention d’Aarhus, signée le 25 juin 1998. Elle prévoit une participation du public dans les domaines de l’énergie, les grands établissements industriels, le traitement des eaux, la gestion des déchets, etc. Son article 6 prévoit une participation du public dès le début de la procédure.
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2002. La loi relative à la démocratie de proximité réaffirme et précise le droit à la participation des citoyens en matière d’environnement, crée les Conseils de quartier et élargit le champ de compétence de la CNDP tout en la transformant en autorité administrative indépendante.
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2003. L’article 2 de la loi du 30 juillet institue des Comités locaux d’information et de concertation (CLIC) pour les bassins industriels comprenant une ou plusieurs installations à risque (type Séveso), afin de permettre la concertation et la participation des parties prenantes - notamment les riverains- à la prévention des risques d’accidents.
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2003. La révision constitutionnelle du 28 mars institue la possibilité pour les collectivités de mettre en place des référendums locaux ayant valeur de décision.
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2005. La Charte de l’environnement prévoit dans son article 7 que « toute personne a le droit […] de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
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2009. la loi Grenelle 2 introduit des mesures visant a améliorer la gouvernance de l’environnement et la participation des citoyens.
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Les documents sont accessibles à partir du site Comédie, rubrique « Ressources », puis « Chartes »
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