En France : un niveau municipal encore prééminent pour impulser la densification.
L’exemple de la région Ile-de-France
Anastasia Touati, October 2015
Cette fiche revient sur le rôle du conseil régional d’Ile-de-France dans l’élaboration de la planification de la densification de la métropole et de la région parisienne.
Cette fiche peut faire l’objet d’une comparaison avec la fiche sur la région urbaine de Toronto.
En France, dans le passé, l’État était le seul acteur influent dans l’élaboration et dans la mise en œuvre des politiques de planification. Mais les politiques de décentralisation et surtout la réforme de 1995 ont grandement modifié les rapports de force du système d’acteurs de la gouvernance régionale. C’est spécialement dans l’exercice d’élaboration du SDRIF que le Conseil Régional d’Ile-de-France (CRIF) s’est imposé comme un acteur légitime dans l’élaboration de la planification régionale, notamment pour la planification de la densification.
Nous nous intéressons donc à la métropole parisienne, dont nous faisons le choix ici de l’assimiler au périmètre de la Région Ile-de-France, de nombreux travaux considérant que ses limites recouvrent plus ou moins le territoire fonctionnel de la métropole (Lefèvre 2002 : 291; Gilli 2008). Le cas de la Région Ile-de-France est particulièrement pertinent pour l’analyse des difficultés rencontrées dans la gouvernance d’un territoire, en vue d’y mettre en œuvre la densification. Car en 2008, l’exécutif régional a fait de la compacité le principe fondateur de son document de planification (Région Ile-de-France 2008). Autre fait notable pour l’analyse : c’était la première fois que le niveau régional de gouvernement était compétent pour élaborer le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF), ce qui a fait de cet objet technique un enjeu d’affirmation politique très fort.
Une région capitale face à des défis majeurs
Avec Paris comme ville-centre, la Région Ile-de-France est la Région capitale française et l’une des régions les plus attractives de l’Union Européenne. Dotée d’infrastructures de transport très compétitives l’Ile-de-France est au carrefour des échanges mondiaux. Malgré ce panorama avantageux, les bouleversements économiques et sociaux des trente dernières années ont eu de sérieuses conséquences sur le fonctionnement urbain de la région et notamment sur le système de transport. De même l’étalement urbain considérable des trente dernières années, l’augmentation vertigineuse des prix fonciers et immobiliers et les divisions Est-Ouest ont fortement contribué à l’augmentation de la mobilité des parisiens, à l’augmentation significative de l’utilisation de la voiture et à des problèmes massifs de logements. Ces problèmes constituent aujourd’hui les défis majeurs considérés par de nombreux analystes comme devant être traités à l’échelle métropolitaine (Gilli 2008 :5). Mais la fragmentation territoriale propre au système administratif français, qui fait des communes l’échelon de base de la démocratie, y est plus importante dans la métropole parisienne que sur le reste du territoire, ce qui rend encore plus difficile la constitution d’une réponse politique d’envergure régionale ou métropolitaine.
Une structure de gouvernance en pleine évolution
Historiquement, c’est l’État Français qui a organisé et mis en œuvre l’équipement et l’aménagement du territoire, dont celui de l’Ile-de-France. Mais les lois de décentralisation initiées dans les années 1980 ont changé la donne et notamment en matière de gouvernance et de gestion des espaces urbains. Ces lois ont transféré la compétence urbanisme aux municipalités. La loi de 1982 a créé un nouveau niveau de gouvernement local, les régions. C’est donc depuis 1986 que la Région Ile-de-France a un conseil régional démocratiquement élu (Lefèvre 2002 :290). Enfin, c’est la loi de 1995 sur l’aménagement du territoire (Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement du Territoire du 4 février 1995 (LOADT)), dite Loi Pasqua) qui a accordé au Conseil Régional de l’Ile-de-France (CRIF) des compétences nouvelles dans le domaine de la planification puisqu’il lui confère l’autorité de produire, en association avec l’État, le nouveau Schéma Directeur (Lefèvre 2009 : 66). Pour le CRIF, il s’agit là d’une opportunité politique importante.
Parallèlement, alors que dans les années 1960 l’objectif des politiques étatiques en matière d’aménagement était d’accommoder la croissance importante de la région parisienne, l’État français a multiplié, dans la dernière décennie, les actes législatifs visant à soutenir la croissance économique des territoires métropolitains. L’intention est de concentrer les investissements sur des territoires prioritaires dont fait bien évidemment partie l’Ile-de-France. Plus précisément, les politiques étatiques en direction de la métropole parisienne ont beaucoup évolué et l’État semble reconnaître les besoins spécifiques de l’aire parisienne en tant que ville de rang mondial. C’est ce dont témoigne la nomination en 2008, par le gouvernement de François Fillon, d’un secrétariat d’État chargé au développement de la région capitale. Mais le territoire de l’Ile-de-France constitue une exception dans le mouvement de décentralisation et de transfert effectif de compétences. C’est dans la région parisienne que l’État français est probablement le plus présent. Différents secteurs de politiques publiques significatifs tels que les transports et la planification régionale sont longtemps restés sous le contrôle strict du gouvernement central. Les schémas directeurs notamment, ont été maintenus sous le contrôle de L’État jusqu’en 2002 (Lefèvre 2002 : 291). En outre, bien que les gouvernements locaux aient été associés à l’élaboration des différents schémas directeurs, l’approbation finale restait entre les mains de l’État. Néanmoins, le système d’acteurs de la gouvernance de l’Ile-de-France s’ouvre de plus en plus et notamment depuis que la Région est devenue compétente en matière d’élaboration de son Schéma Directeur.
Le SDRIF : un enjeu d’affirmation politique régionale
Il faut ici revenir sur le contexte politique d’élaboration du Schéma Directeur. Au début des années 2000, la question de la mise en révision du SDRIF est posée et pour la première fois depuis la réforme de 1995, sa révision n’est pas conduite par l’Etat. L’élaboration du SDRIF constitue ainsi un enjeu d’affirmation politique majeur pour le CRIF.
Les élections régionales de 2004 ont plébiscité un exécutif régional à majorité de gauche (coalition de gauche avec un poids partagé entre les socialistes, les écologistes et les communistes), comme pour la période 1998-2004. L’exécutif régional en place décide alors de se saisir de la loi de 1995 pour ouvrir le chantier de l’élaboration du SDRIF et d’en faire le cœur du mandat régional. Par l’élaboration d’un document stratégique fortement connoté politiquement et ambitieux sur le plan des stratégies de planification, le CRIF émerge en effet de plus en plus comme un acteur important dont la légitimité est renforcée par sa capacité d’expertise. C’est ce que l’exécutif régional entendait démontrer à travers l’exercice de cette élaboration. Et c’est notamment dans la volonté de rupture avec les pratiques précédentes de planification, que l’exécutif régional a pu imposer une véritable marque de fabrique.
La compacité au cœur du document de planification
Parce que le SDRIF de 1994 était considéré comme un échec par de nombreux acteurs politiques, que ce soit du point de vue de l’ampleur de l’étalement urbain, des problèmes de transport, des grandes difficultés à se loger dans la Région ou encore du point de vue des enjeux écologiques mondiaux (Coutard and Rutherford 2010), la rupture avec les pratiques de planification urbaine précédentes était considérée par l’ensemble de l’exécutif régional, comme une nécessité. Selon un membre de l’exécutif régional, la principale difficulté dans l’exercice du SDRIF était d’élaborer un document de planification qui rencontre le plus d’adhésion possible, tout en affirmant des enjeux politiques forts de robustesse sociale et écologique et de lutte efficace contre l’étalement urbain. L’inscription de la densification urbaine comme principe clé du document émerge rapidement. C’est ensuite les équipes techniques du Conseil Régional et de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de l’Ile-de-France qui ont soutenu techniquement le projet. Au départ très fortement contestée au sein même de l’exécutif régional, l’équipe chargée de l’élaboration du SDRIF a mené un important travail pédagogique de sensibilisation et de concertation qui incluaient des discussions sur les formes de la densité et sur ses bienfaits, notamment par la construction d’un dispositif de concertation et d’appropriation collective (ateliers de concertation, conférences etc.).
C’est par un exercice de convergence et par des rencontres avec de grands acteurs (du monde économique via le MEDEF Ile-de-France et le CESR ; du monde agricole via la FNSEA, des différents niveaux de collectivité etc.) sous formes de discussions et de négociations, que le projet du SDRIF a pu ensuite rencontrer un soutien important de différents protagonistes. Ce dernier a été arrêté et définitivement adopté par le CRIF le 25 Septembre 2008. Le SDRIF fixe ainsi trois défis majeurs : « favoriser l’égalité sociale et territoriale, améliorer la cohésion sociale ; anticiper et répondre aux mutations ou crises majeures, liées notamment aux changements climatiques et au renchérissement des énergies fossiles ; développer une Île-de-France dynamique, maintenant son rayonnement mondial » (Région Ile-de-France 2008 : 10). Différents objectifs répondent à ces défis, parmi lesquels la construction de 60 000 logements par an. A ces objectifs correspond un projet spatial qui vise une meilleure organisation et la solidarité territoriale de « la métropole francilienne ».
Des pastilles comme instrument de planification de la densification à l’échelle métropolitaine
L’instrument majeur de la politique de densification du SDRIF est la « Carte de Destination Générale des différentes parties du Territoire ». Cette carte, de portée normative, définit les différents espaces et leur destination (espaces agricoles, naturel, localisations préférentielles de développement urbain, projets d’infrastructure, etc). Différentes règles servent à hiérarchiser les zones du territoire et autorisent ou non la construction et ses modalités en fonction de la desserte de la zone en question. C’est ensuite par des pastilles rouges, que le SDRIF entend planifier la ville compacte (Maulat 2010). La Carte de Destination Générale des différentes parties du Territoire (CDGT) identifie ainsi, par des pastilles rouges disposées sur l’ensemble du territoire francilien, des secteurs de « densification préférentielle », qui visent à optimiser et intensifier l’usage des ressources foncières au service du logement, en favorisant notamment la mutabilité et la densification des terrains dans les tissus urbains existants.
Une première version de la CDGT a été présentée aux différentes collectivités locales, qui ont accueilli ce document de manière différenciée selon les collectivités concernées. Les aires urbaines des villages et petites villes n’étaient par exemple pas autorisées à avoir une croissance supérieure à 15% sur la période courant de l’adoption du SDRIF jusqu’à 2030. Ce dernier point a été un sujet de fort contentieux avec les autorités locales. Plusieurs maires ont réagi violemment aux cartes inclues dans le SDRIF qui interdisaient l’urbanisation de certaines zones (Coutard et Rutherford 2010 : 719). Certains maires s’inquiétaient de la présence de pastilles sur leur commune, d’autres maires souhaitaient au contraire avoir davantage de pastilles de densification préférentielle. Une phase de négociation avec les collectivités locales a donc suivi la présentation de la CGDT, ce qui a conduit à un travail fin de réorganisation de ces pastilles sur l’ensemble du territoire, en fonction de ce qu’il était possible de négocier entre la rationalité du document et les réalités locales.
Avec la CGDT on a ainsi un instrument de planification de la densification sur le territoire régional, qui se veut au départ rationnel et scientifique mais qui devient l’objet de négociations politiques dans sa version finale. L’idée est bien d’avoir une vision régionale ou métropolitaine de la planification de la densification à la fois pour des raisons d’efficacité de cette planification, comme l’affirme le document du SDRIF, mais certainement aussi pour des raisons d’affirmation politique, sur un sujet aujourd’hui devenu incontournable.
Le bras de fer État/Région : une situation de blocage qui rend les municipalités pilotes de la mise en œuvre
Malgré un projet ambitieux de planification de la densification à l’échelle métropolitaine adopté par le CRIF et soutenu par un grand panel d’acteurs, le SDRIF a rencontré un grand nombre de difficultés dans sa validation par l’État. Quelles ont été les raisons des difficultés d’adoption du projet de SDRIF ? La réponse est sans appel pour les acteurs de la Région interrogés : à cause d’une « manœuvre politique » qui aurait été orchestrée par le gouvernement national de majorité politique de droite, face à un CRIF de majorité de gauche.
Suite à son arrivée au pouvoir en 2007, le Président de la République Nicolas Sarkozy accuse le SDRIF d’être un document qui manque d’ambition pour la planification d’une région capitale. Le 18 mars 2008, il nomme Christian Blanc secrétaire d’État chargé du Développement de la région capitale, également chargé du projet de loi sur le Grand Paris. Le 17 septembre 2007 le Président de la République annonce le lancement d’une consultation internationale « pour l’avenir du Paris métropolitain ». Cette dernière donne lieu au vote de la loi relative au Grand Paris. Entre temps, les lois issues du Grenelle de l’Environnement sont votées. C’est à la faveur d’un changement de ministre et notamment avec l’arrivée de Maurice Leroy nommé ministre de la Ville en 2010, qui a permis d’entamer des discussions entre les services de l’État et de la Région, qu’est permise la transmission du SDRIF par le gouvernement au Conseil d’État. Mais le 2 novembre 2010, le Conseil d’État rend un avis négatif au gouvernement, notamment parce qu’il considère le SDRIF incompatible avec la loi sur le Grand Paris. Néanmoins, l’État et la Région trouvent un accord et font voter une loi, la loi Bricq1 sensée permettre de débloquer la situation et de relancer la révision du SDRIF. Si dans le régime général c’est le SDRIF de 1994 qui s’applique, cette loi permet aux élus locaux, par dérogation, de modifier leurs documents d’urbanisme dès lors qu’ils respectent à la fois les prescriptions du schéma directeur adopté de 2008 et le cadre de la loi relative au Grand Paris.
Jusqu’en 2013, les communes ont finalement eu le choix de suivre le SDRIF de 1994 ou le SDRIF de 2008. La mise en œuvre de la densification a donc bel et bien été aux mains des municipalités qui étaient totalement libres dans leurs choix de mettre en œuvre ou pas les politiques d’injonction, et cela d’autant plus que les lois dites Grenelle restent aujourd’hui largement optionnelles en matière de densification. Dès lors, si l’exercice d’élaboration et de validation du SDRIF a constitué une réelle opportunité politique pour l’exécutif régional, les batailles politiques autour des luttes de pouvoir ont considérablement freiné la mise en œuvre effective des politiques de densification, objectif central du SDRIF dès 2004. Huit ans après, le statut quo était tel qu’il permettait aux communes de choisir ou non de mettre en œuvre la densification, et la façon dont cette densification doit se dérouler.
C’est ce que nous avons observé au niveau local où nous avons distingué différentes stratégies de politiques urbaines vis-à-vis de la densification des tissus pavillonnaires. A l’exception des procédures d’aménagement public, ces politiques s’appuient beaucoup sur des instruments qui mettent à l’honneur les acteurs privés (Touati 2012).
Depuis, la révision du SDRIF pour sa mise en compatibilité avec la loi sur le Grand Paris a donné lieu à l’élaboration d’un nouveau document définitivement adopté le 27 décembre 2013. Cette nouvelle version, intitulée « Objectif : Ile-de-France 2030 » fait de nouveau la part belle à la compacité et devrait désormais davantage influencer la densification sur l’ensemble du territoire francilien.
1 Loi n° 2011-665 du 15 juin 2011 visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Ile-de-France
Sources
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Coutard, O., and Rutherford J. 2010. “Energy Transition and City–region Planning: Understanding the Spatial Politics of Systemic Change”, In Technology Analysis & Strategic Management, n°22 (6): 711–27.
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Gilli, F. 2008. “Les Nouveaux Contours de La Métropole Parisienne.”, In La Vie Des Idées.fr, November.
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Lefèvre, C. 2002. “Paris-Ile-de-France Region.” In Metropolitan Governance and Spatial Panning, Spon Press: 287–99.
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Lefèvre, C. 2009. Gouverner les métropoles. Paris: Dexia, LGDJ-Lextenso éd.
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Maulat, J. 2010. Des Pastilles Rouges Pour Planifier La Ville Compacte : Regard Sur Le Principe de Densification Préférentielle Du SDRIF 2008, Intervention au Colloque de l’Aperau 2010 les 6 et 7 mai 2010, « Les nouveaux principes d’aménagement : résurgence du scientisme ou nouveaux modèles ? ».
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Région Ile-de-France. 2008. Schéma Directeur de La Région Ile-de-France, Projet Adopté Par Délibération Du Conseil Régional Le 25 Septembre 2008.
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Touati, A. 2012. “Densification in the Paris Low Rise Suburbs : How and for Whose Benefit ?”, Annual Meeting of the Association of American Geographers (Session « Suburbs and densification: local resistance and dynamics of change » organized by Eric Charmes and discussed by Roger Keil), Feb 2012, New York, United States.