La ville à hauteur d’enfant
Le Magazine Du Centre National De La Fonction Publique Territoriale – N° 44 – Juin 2021
juin 2021
Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT)
40 ans après le premier conseil municipal des enfants, à Schiltigheim, la prise en compte de la parole de l’enfant dans les politiques publiques a fait son chemin. Le réseau Villes Amies des Enfants, créé par l’Unicef, réunit aujourd’hui 245 villes, 16 intercommunalités et 4 départements. La démocratie participative passe désormais par eux : les enfants sont intégrés dans les démarches de concertation pour les aménagements qui les concernent, comme les cours d’écoles, les parcs, les espaces de jeu. Parallèlement, les villes sont de plus en plus nombreuses à souhaiter rendre la ville plus habitable pour eux, à vouloir leur rendre une partie de l’espace public que la voiture leur a pris : rues piétonnes aux abords des écoles, rues aux enfants. Certaines équipes municipales comme celle de Lille, en ont même fait le cœur de leur action, en déclarant vouloir créer une « ville à hauteur d’enfants. » Un enjeu majeur, pour toutes les générations. Une « ville à hauteur d’enfants » est une ville pour tous : apaisée, verdoyante, accessible. Tout le monde y gagnera.
À télécharger : service_public_territorial_juin_2021_numero_44.pdf (980 Kio)
Tenons-le nous pour dit, les enfants ne sont pas les « grands oubliés » de la fabrique de la ville. Depuis des décennies, beaucoup d’argent public a été investi pour leur aménager des aires de jeux dédiées, de plus en plus sécurisées, garnis de sols mous limitant au maximum le risque d’accident. Mais à l’instar de ces parents qui croient bien faire mais passent parfois à côté des besoins essentiels des enfants, les sociétés occidentales ont peut-être failli.
Il y a 40 ans, l’espace public était partagé par toutes les générations. La rue était pour les enfants un champ d’expérimentation de la vie, de l’autonomie, de sociabilisation et de rencontres intergénérationnelles et inter sociales. Progressivement, ces derniers ont été évincés des espaces publics, qu’ils fréquentent désormais « sans escorte » beaucoup plus tardivement que les générations précédentes. Il leur faut le plus souvent attendre l’entrée au collège pour gagner le droit de sortir dehors tout seul. Parallèlement, les enfants ont été cantonnés à des lieux spécialement créés pour eux, aires de jeux équipés de ces inévitables toboggans ou chevaux à bascule… Espaces où les usages sont pensés par les aménageurs et assez peu laissés à la créativité des enfants et au jeu libre.
Les intentions étaient louables (protéger les enfants, créer des lieux ad hoc pour eux, etc.), mais beaucoup de voix s’élèvent aujourd’hui pour remettre en cause ces modèles d’aménagement des villes. L’enfant a-t-il besoin de parcs dédiés, oasis réservés à l’enfance, dans une ville globalement inhospitalière, agressive, sonore, envahie par les voitures ? Ou a-t-il au contraire besoin pour grandir de sortir progressivement de la sphère privée, pour découvrir le monde, l’expérimenter et gagner pas à pas en autonomie ?
En d’autres termes, est-ce la ville entière qu’il faut penser à hauteur d’enfant, et non pas seulement quelques équipements exclusivement dédiés à l’enfance ?
Alors que beaucoup de sociologues, géographes, pointent la montée en puissance du phénomène des « indoor children » (voir interview de Clément Rivière, sociologue), aggravé par l’essor du numérique, un certain nombre de villes ont décidé récemment de « renverser la vapeur » et de repenser la ville à hauteur d’enfants. Lyon, Lille, Rennes, Grenoble s’entourent désormais de conseillers et délégués « ville à hauteur d’enfant », ou « ville à taille d’enfant ». Leur mission ? Prendre en compte les intérêts des plus jeunes dans les réaménagements de l’espace public (aires de jeux, mais aussi voiries, cheminements, équipements publics, cours de récréation) et les faire participer aux décisions et projets.
Une démarche qui, si elle prend de l’ampleur, est de nature à transformer le visage des villes. Fini le temps où les automobilistes faisaient la loi et occupaient la majorité de l’espace public. A l’instar de Lyon, beaucoup de collectivités expérimentent « rues scolaires », ou « rues aux enfants », piétonnisées à certains moments de la journée pour que les enfants puissent y jouer, y faire des activités et s’y retrouver. D’autres généralisent les zones 30, conscients qu’une ville apaisée sera une ville plus agréable pour les enfants.
Autre sujet important, l’évolution des aires de jeux, parcs et cours d’école. Une nouvelle génération de lieux se dessine, qui favorise la créativité et le jeu libre. L’idée est de ne pas « enfermer » l’enfant dans ses pratiques, par exemple avec des jeux comme des toboggans ou des balançoires, mais de lui donner un territoire à explorer avec des matériaux et décors naturels : une mini-forêt, un ruisseau, des ponts à fabriquer, des poules à nourrir, des jeux à inventer, etc.
Derrière toutes ces approches, c’est une vision globale de l’approche éducative qui se dessine : l’espace public, la rue, les parcs participent autant à l’éducation et à l’apprentissage de l’enfant que ce qui se passe dans les murs d’école. Leur succès dépend donc en grande partie de la coordination entre les différents services de la ville, et avec les partenaires éducatifs. D’où l’intérêt d’avoir des délégations « ville à hauteur d’enfant », pour mettre du lien, et infuser l’approche…