Osons les territoires !
Suite à un appel lancé à l’occasion des présidentielles de 2022 en France
Pierre Calame, enero 2022
2022 : élections présidentielles et législatives en France ; présidence française de l’Union européenne ; trentième anniversaire du sommet de la Terre de Rio. La France, l’Europe, le monde. Trois échéances importantes.
Les perspectives proposées aujourd’hui au peuple français sont-elles à la hauteur ? Hélas non.
Or, à laisser sans réponse les grands défis de notre temps, faute de l’imagination, du courage et de la détermination nécessaires pour concevoir et conduire la transition vers des sociétés socialement et écologiquement durables, nos dirigeants politiques font douter la société, et en particulier les jeunes, de leur capacité ! Plus grave encore, ils font douter de la capacité des démocraties à relever ces défis.
Pour conjurer ces risques, les signataires de l’appel « Osons les territoires ! », divers par leurs opinions et engagements politiques, prenant au sérieux ces trois échéances de 2022, ont voulu apporter leur contribution, ouvrir de nouvelles voies.
Ils sont convaincus que les territoires, bassins de vie, lieux d’enracinement concret de la société, espaces de coopération entre ses différents acteurs, sont appelés à jouer un rôle majeur dans la conduite de la transition. Il faut penser le monde à partir des territoires, pour agir à la fois localement et globalement.
Albert Einstein faisait observer que nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes avec la même pensée que nous avons utilisée lorsque nous les avons créés. Nous partageons ce diagnostic. C’est tout le système de pensée sur l’économie, la gouvernance, le droit, les relations entre les sociétés, qu’il faut transformer, en rompant avec la logique de domination qui structure nos rapports sociaux et notre rapport à la nature ; c’est tout le système d’acteurs hérités du siècle précédent, à commencer par le fonctionnement de l’État, qu’il faut repenser. Ces ruptures sont profondes. Elles nécessitent lucidité et courage politique, perspectives à long terme et premières étapes. Elles sont à notre portée.
Para descargar: cahier_des_propositions_osonslesterritoires_010222.pdf (590 KiB)
Nos propositions comportent trois volets :
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une boussole capable de mobiliser les énergies et les différentes générations autour d’un projet fédérateur à long terme ;
et, pour traduire concrètement cette vision à un horizon de cinq ans :
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les conditions à réunir pour faire des territoires des acteurs pivot de la transition
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la réforme des politiques françaises et européennes au service du bien commun
A. Une boussole : reconstruire la relation
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Une boussole au service d’une stratégie à long terme : nous avons besoin d’une stratégie à long terme inscrivant notre action dans le fil de l’histoire longue de l’humanité. Elle fait défaut dans le débat politique actuel. Ni la fuite en avant dans l’innovation technologique, ni l’illusion d’un Etat tout puissant, ni le repli derrière les frontières, ni l’addition des droits, ni la décroissance ne peut redonner un sens à l’action collective.
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Un fil directeur : les crises du monde moderne sont des crises des relations. Nous sommes les héritiers de la modernité née en Europe. Elle a fondé son efficacité opérationnelle sur l’art de séparer et sur des mécanismes de domination plutôt que de coopération. Relations entre humanité et reste du monde vivant, gouvernance, économie, sciences et techniques, éducation, place exclusive de l’affirmation des droits : dans tous ces domaines cela se traduit aujourd’hui par une crise des relations.
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Une boussole : créer, recréer ou réparer la relation. Les acteurs à promouvoir sont ceux qui sont les mieux à même de penser et de construire les relations. La coopération entre les acteurs et l’approche systémique doivent être promus dans la gouvernance. L’éducation doit être réformée et son premier rôle est de développer une compréhension globale du monde et la conscience de la responsabilité de chacun. Les moyens de la cohésion sociale doivent être redéfinis. La relation entre humanité et biosphère doit être rééquilibrée. Les relations entre les sociétés ne peuvent plus être incarnées exclusivement par celles qui existent entre Etats souverains.
B. Les conditions à réunir pour faire des territoires des acteurs pivot de la transition
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Les territoires et les filières, les deux acteurs pivot du vingt et unième siècle. Ce sont les deux acteurs les mieux placés pour gérer les relations. Les territoires, bassins de vie, avaient perdu leur rôle central au cours des derniers siècles, au profit des Etats. Ils doivent retrouver les moyens juridiques, fiscaux, humains e jouer un rôle central dans la conception et la conduite de la transition. De même pour les filiales mondiales de production qui sont au cœur de l’économie aujourd’hui mais ne sont pas pensées comme un acteur collectif majeur et responsable.
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Outiller les territoires pour leur permettre d’assurer leur rôle pilote de la transition : créer dans chaque territoire une Agence œconomique territoriale, cofinancée par les collectivités et l’État, sur le modèle de ce qu’ont été dans le passé les agences d’urbanisme, pour doter les territoires de l’expertise nécessaire pour conduire la transition.
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Redistribuer les pouvoirs et doter les territoires d’une véritable autonomie financière : seule cette capacité d’action permettra de sortir des logiques normatives et sectorielles aujourd’hui imposées par l’État. Et c’est à l’échelle des quelques quatre cents bassins de vie du pays qu’il faut décentraliser l’assiette fiscale
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Promouvoir la gouvernance à multi-niveaux. Contrairement aux hypothèses fondatrices de la décentralisation en France, aucun véritable défi de la société ne peut être relevé à une seule échelle de gouvernance. C’est, au contraire, la coopération entre les différents niveaux qu’il faut organiser en mettant en place en France, comme c’est déjà recommandé dans l’élaboration des politiques européennes, une gouvernance à multi-niveaux fondée sur le principe de subsidiarité active.
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Réinventer le dialogue entre l’État et les territoires. Après la décentralisation l’État prétend continuer à régenter les territoires mais de loin, des préfectures de régions ou de l’administration centrale. Pour assumer son nouveau rôle dans le cadre de la gouvernance à multi-niveaux et faire en sorte que l’État soit le partenaire et non plus le tuteur des territoires, il faudra apprendre aux services de l’État leur nouveau métier.
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Inscrire l’action de l’État dans un partenariat à long terme avec les territoires, accompagnant des stratégies longuement mûries localement. Conduire la transition à partir des territoires suppose une mise en mouvement de tous les acteurs publics et, privés et une stratégie à long terme longuement mûrie. C’est l’élaboration puis la réalisation de ces stratégies à long terme que l’État doit être capable d’accompagner en lieu et place des coups de butoir des plans de relance et de l’empilement des procédures.
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Enraciner l’éducation dans les réalités territoriales et les enjeux du développement durable. L’éducation est décisive pour préparer les nouvelles générations à conduire la transition responsable vers des sociétés durables, ce que ne permet ni une éducation disciplinaire coupée du terrain ni un discours sur la responsabilité qui ne s’accompagne pas de projets conçus et mis en œuvre par les élèves. Ce qui suppose d’ancrer l’enseignement dans les territoires.
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Donner aux territoires les moyens de faire évoluer les systèmes agroalimentaires. Agriculture et alimentation ont un poids considérable sur l’empreinte écologique des Français. C’est à partir des territoires que l’on peut apprendre à mesurer cette empreinte et à la réduire de multiples manières impliquant le système éducatif, la grande distribution, les relations ville – campagne, les modèles agricoles, la gestion des terres, etc. Les marges de manœuvre accrues données au niveau national par la nouvelle Politique agricole commune doivent être utilisées pour stimuler une approche agroalimentaire globale au niveau des territoires.
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Faire des territoires l’espace par excellence de l’initiative collective et de la cohésion sociale. Le modèle français actuel de lutte contre l’exclusion sociale, fondé sur de multiples dispositifs nationaux ayant chacun une cible sectorielle a atteint ses limites et son efficacité est faible en comparaison des moyens financiers engagés. C’est à l’échelle territoriale que l’on peut transformer ces transferts financiers en une réelle politique d’insertion de tous. De nombreux exemples le montrent. Il faut passer de dispositifs expérimentaux à de nouveaux principes généraux.
C. Créer au niveau national, européen et mondial les conditions de la transition
Sans réformes structurelles de l’économie, de la gouvernance et du droit, menées à l’échelle nationale, européenne et mondiale, l’action des territoires se heurte à un plafond de verre. Les territoires ne peuvent pas à eux seuls révolutionner le monde. Ils permettent de penser localement pour agir globalement. Il faut à la fois identifier les réformes structurelles à entreprendre et les croiser avec les différentes échelles de gouvernance. L’Union Européenne est l’échelle à privilégier pour avoir prise sur les transformations du monde.
1. Transformer le système économique et monétaire.
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Ouvrir un vaste débat national sur le passage de l’économie à l’œconomie. Depuis trente ans il y a consensus pour reconnaître les impasses du modèle économique actuel mais les efforts pour en inventer un nouveau restent bien timides. Il est temps de reconnaître qu’assurer le bien-être de tous en respectant les limites des ressources de la planète a été la préoccupation majeure des sociétés avant la révolution industrielle. On appelait ça l’œconomie. Reprenons ce terme pour créer un débat collectif sur ce que doit être l’œconomie du 21e siècle : ses principes, ses acteurs, sa gouvernance.
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Climat : mettre en place le système des quotas individuels négociables. Depuis trente ans les politiques menées pour lutter contre le réchauffement climatique se sont révélées inefficaces et créent les conditions d’irresponsabilité de tous les acteurs. Assumer nos engagements à l’égard du climat et des générations futures nécessite de s’imposer une obligation de résultat : la réduction de notre empreinte écologique totale de 6 % par an entre aujourd’hui et 2050. Une seule politique satisfait aux critères d’efficacité, de justice sociale et d’implication de tous les acteurs : la fixation de quotas annuels alloués à chacun et librement négociables pour permettre à ceux qui font un effort particulier de frugalité d’en tirer les avantages.
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Concevoir des régimes de gouvernance adaptés à la réelle nature des biens et services. La distinction entre biens publics et biens privés fonde l’économie classique mais en réalité il y a quatre catégories de biens et non deux. La nouvelle œconomie doit définir les régimes de gouvernance correspondants à chacun d’eux et ainsi remettre le marché à sa juste place.
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Reconnaître la pluralité des monnaies. Payer aujourd’hui avec une même monnaie ce qu’il faut développer, le travail humain, gage de cohésion sociale, et ce qu’il faut économiser, les ressources naturelles et l’énergie fossile, revient à piloter une voiture qui a une seule pédale pour l’accélérateur et le frein. Une révolution culturelle, par ailleurs rendue techniquement possible par le développement des monnaies numériques, est indispensable pour combiner le rôle de l’euro avec des monnaies qui permettent notamment de gérer des émissions de gaz à effet de serre ou de relancer les échanges locaux.
2. Réinventer la gouvernance, la démocratie et le contrat social.
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Réinventer la gouvernance : une Fédération européenne 2.0. Face à la Chine, les USA et l’Inde, l’Union Européenne doit se renforcer. La nouvelle coalition allemande fait un geste en ce sens en reparlant d’Europe fédérale. La main tendue doit être saisie mais le modèle fédéral du 19e siècle ne correspond pas à l’idée que l’Europe « doit être grande dans les grandes choses et petite dans les petites ». C’est un nouveau modèle fédéral que la France doit proposer, fondé sur la gouvernance à multi-niveaux et la subsidiarité active.
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Mettre les fabriques territoriales de transition au cœur de la politique régionale européenne. Les fonds structurels européens ont permis à certaines régions de rattraper leur retard. La priorité des politiques régionales aujourd’hui doit être d’aider les territoires à concevoir et conduire la transition vers des sociétés durables.
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Surmonter la crise de la démocratie représentative en promouvant la démocratie délibérative et contributive à tous les étages. La conférence sur le futur de l’Europe insiste sur l’implication des citoyens dans la conception des futures politiques européennes. La crise de la démocratie représentative se fait sentir à tous les niveaux. L’Union Européenne doit promouvoir la démocratie délibérative à tous les niveaux, permettant aux citoyens d’explorer les possibles et d’inventer les conditions d’un monde plus juste.
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Adopter une Charte européenne des responsabilités humaines et renouveler le contrat social européen. Historiquement, la société européenne a valorisé l’idée de contrat social entre les acteurs, équilibrant droits et responsabilités de chacun. Le droit européen s’est essentiellement construit à partir de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette approche doit être maintenant complétée par l’adoption d’une Charte européenne des responsabilités humaines d’où découlera le nouveau contrat social entre les différents acteurs.
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Faire émerger la conscience d’un peuple européen grâce à un processus instituant citoyen. Marché unique, institutions et monnaie communes, statut de citoyen européen ne suffisent pas à faire naître la conscience d’une communauté de destin, à faire émerger un « peuple européen ». La Conférence sur le futur de l’Europe ne remplira pas cette fonction. Nous devons concevoir et mettre en œuvre un véritable processus instituant, nourri des acquis de la démocratie délibérative, partant du niveau local pour remonter au niveau européen.
3. Fonder les relations internationales sur de nouvelles bases.
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Renégocier les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux de commerce en les centrant sur la promotion de filières durables. Les accords de commerce actuels sont tous fondés sur la croyance dans l’efficacité du marché. Ils sont dépassés. Les nouveaux accords doivent avant tout viser à promouvoir des filières mondiales de production écologiquement et socialement durables.
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Contribuer à construire une communauté mondiale de destin et un droit mondial permettant de gérer les biens communs. L’interdépendance entre les peuples de la terre et la nécessité de gérer ensemble des biens communs mondiaux devrait faire de la famille humaine une véritable communauté ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, faute d’une adhésion à des valeurs communes et de responsabilités assumées de chacun des membres de la communauté à l’égard des autres membres. La France doit promouvoir une Déclaration universelle des responsabilités humaines et l’élaboration d’une constitution mondiale, en particulier d’un droit mondial appliqué à tous les acteurs.
Para ir más allá
Voir le chantier »Construire et porter des propositions communes « fabrique » en vue des élections présidentielles et législatives« , sur le site de la Fabrique des transitions