La mixité (ou plutôt les mixités) est devenue une notion centrale en urbanisme, portée notamment par les conceptions de l’aménagement urbain issues du développement durable. Avoir tout à « portée de main » et subir le moins de nuisances possibles : une aspiration partagée par tous les citadins. Mais les différentes ressources offertes par la ville sont parfois incompatibles : les usines, les commerces, l’habitat reposent sur des approches différentes de ce que le cadre urbain peut offrir, espace, accessibilité, tranquillité, etc. D’une certaine façon, l’urbanisme et la planification spatiale urbaine ont pour objet la recherche d’équilibres entre incompatibilités. Le répertoire des « incompatibilités » est nourri d’hygiénisme, et il a conduit au principe du zonage, précisément l’opposé de la mixité des fonctions urbaines. Le développement des modes de transports urbains rapides, ferroviaire puis automobile, a facilité la séparation des fonctions. Le relâchement de la contrainte de la distance, tant pour les personnes que pour les marchandises, est un fait qui a été théorisé comme une solution par le courant « fonctionnaliste » de l’urbanisme. Pour travailler, circuler, habiter, se récréer, il faut créer autant de quartiers spécialisés. Issu de l’hygiénisme, ce courant de pensée dont le texte phare est La charte d’Athènes a reçu des critiques multiples, surtout depuis que la désindustrialisation généralisée des villes a rendu en grande partie sans objet l’éloignement des activités nuisantes. C’est désormais le prix du sol qui dicte la séparation des fonctions, ce qui conduit les fonctions logistiques, dévoreuses de surface, à être localisées en périphérie. Les fonctions résidentielles et tertiaires de bureau, ainsi naturellement que les services et les équipements culturels et sociaux sont en revanche spatialement compatibles, d’où la notion de mixité fonctionnelle. Leur rassemblement dans la proximité contribue à la diversité, c’est-à-dire à l’attractivité des quartiers de la ville.
La mixité est également au programme du combat de la collectivité (qui n’est pas le combat de la population résidente) contre la ségrégation sociale, conduisant à mêler dans un même programme d’habitation différentes catégories de logements, privés et publics, locatifs ou bien en propriété, d’où la notion de mixité sociale. Avec l’espace public comme médiateur, la mixité résidentielle est considérée comme un moyen de faciliter l’intégration sociale et culturelle, à défaut d’être suffisamment économique, sans toutefois y parvenir toujours de façon manifeste.
Dans le contexte du développement durable et de ses finalités écologique et sociale, la mixité à la fois fonctionnelle et sociale est devenue un standard de la régénération des quartiers de la ville dense évacués par l’industrie et les activités logistiques, qui gagnent certes en densité mais surtout en diversité dans une forte proximité géographique, une composition urbaine contribuant à ce que l’on appelle commodément la « ville compacte ». C’est une forme qui fait débat pour une partie des urbanistes, car une telle conception paraît exclure les espaces périurbains de toute attache avec « ce qui fait ville » et « ce qui fait société ».
Sont en jeu, au regard de la géographie et de la sociologie urbaines, des notions parentes très proches comme la coprésence, l’intégration, la ségrégation ou la sécession des catégories sociales et la « gentrification ». Logés en sociologie urbaine et en géographie sociale, ces notions et les débats qu’elles font naître exercent une influence directe sur les conceptions et les pratiques de l’urbanisme, les formes d’organisation de l’espace géographique et de l’espace public urbain ayant une influence favorisante ou non (mais jusqu’à quel point ? autre sujet de débat) sur le genre de vie et de société urbaines auxquelles aspirent les citadins et leurs édiles.
Ce que disent les auteurs sur la notion de mixité
Walter Benjamin
Ce premier extrait de Walter Benjamin, tiré de l’exposé de 1935, illustre ce bouleversement de la ville du XIXe siècle qui voit l’émergence du bureau. Une nouvelle « fonction » urbaine apparaît, et avec elle, une nouvelle limite entre l’intime et le collectif. La séparation des fonctions dans la ville entraîne une nouvelle définition de soi. A l’écart du monde marchand, l’individu se construit un intérieur mais l’opposition entre intérieur et extérieur est en partie illusoire. Si les objets rappellent un événement personnel, une part de sa vie, ils ne sont pas coupés du monde industriel et marchand.
Georges Perec
Georges Perec en 1974 prolonge la réflexion sur la vie intérieure dans un univers où les lieux sont réduits à quelques fonctions.
Bernardo Secchi
Bernardo Secchi, en 2004, insiste sur la variété des ressorts psychologiques, culturels et sociaux qui conduisent à la séparation des fonctions urbaines et des différents groupes sociaux : la mixité ne se décrète pas simplement par le fait de tourner le dos au « fonctionnalisme » du courant moderne.
René Schoonbrodt et Luc Maréchal
René Schoonbrodt et Luc Maréchal relient intimement les questions de coprésence, de diversité et de mixité. Ces mots ne sont pas utilisés dans l’extrait. Coprésence est amenée par accumulation. Diversité est suggérée par différence.
Isaac Joseph
Les deux courts extraits qui suivent d’Isaac Joseph mettent en relation la mobilité, physique, mais aussi sociale et culturelle, avec les dynamiques de ségrégation. Aussi bien à la place dans les grappes « mixité » et « mobilité », ils permettent de comprendre la dialectique entre les deux notions.
Ce couple mobilité – ségrégation conduit à voir autrement la métaphore de la « mosaïque urbaine ».
Jacques Donzelot
Sur la coprésence, généralement idéalisée, Jacques Donzelot apporte une forte et indispensable nuance.
Stefan Zweig
Stefan Zweig écrit en 1940 sur la Vienne d’hier, qu’il a du quitter avec l’arrivée du nazisme. Il met en avant la dimension culturelle qui fait tenir la diversité sociale et ethnique de la ville.
Dans un autre texte sur New York écrit en 1911, l’interaction conduit à la mobilité (par les flux) mais non à l’intégration.
Références
Walter Benjamin, « Exposé de 1935 », in Paris Capitale du XIXe siècle, Le livre des passages, Editions du Cerf, 1986.
Jacques Donzelot, « La ville à trois vitesses : relégation, périurbanisation, gentrification », Esprit, n° 3-4, mars-avril 2004.
Georges Perec, Espèces d’espace, 1974.
Isaac Joseph, « Urbanité et ethnicité », Terrain, 3, 1984, repris dans L’athlète moral et l’enquêteur modeste, Economica, Coll. Etudes sociologiques, édité et préfacé par Daniel Cefai, 2007.