Refaire la ville sur la ville : controverses et formes de la densification résidentielle
Anastasia Touati, octobre 2015
Le mot d’ordre est aujourd’hui entendu de toutes parts : il faut densifier les espaces urbains. Au nom de la lutte contre l’étalement urbain, de la nécessité de pallier la pénurie chronique de logements ou encore du combat contre le réchauffement climatique, la densification est aujourd’hui introduite en tant que solution incontournable pour un développement durable des villes. Alors que les urbanistes ont longtemps préconisé de la limiter, la densité urbaine est aujourd’hui encensée. Dès lors, si les processus de densification et d’étalement ont toujours été le moteur du développement urbain, leur concomitance avec des politiques visant spécifiquement à renforcer la densification urbaine est relativement inédite au regard des pratiques urbanistiques du siècle dernier.
Ce constat pose alors deux types de questions :
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Quels sont les facteurs d’émergence de la densité comme algorithme de l’équation de la ville durable ?
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Quels sont les enjeux et les implications de la mise en œuvre effective de cette mesure d’organisation urbaine et quelles en sont les incarnations territoriales ?
Ce sont ces questions que nous entendons aborder dans le cadre de ce dossier, en nous intéressant à la fois aux conditions d’émergence des politiques de densification, à leurs enjeux et à leurs différentes incarnations territoriales, aussi bien en France qu’à l’étranger.
De la nécessité de définir la notion de densité urbaine
Terme souvent imprécis utilisé dans les domaines de l’urbanisme, de l’économie urbaine ou de la géographie, la densité urbaine exprime un rapport théorique entre une quantité (nombre d’habitants, nombre d’emplois, de logements ou encore un nombre de m² de plancher par exemple) et l’espace occupé (surface de terrain brute ou nette). Il n’existe donc pas une seule densité urbaine. De même, la densité ne prend de réelle signification que si elle est rapportée à une échelle de référence et des densités ne peuvent être comparées entre elles que si elles mesurent la même chose et à une même échelle. Les géographes et les démographes ont tendance à parler de densité de population (nombre d’habitants par km² par exemple, ou encore nombre de personnes par logement, par immeuble, etc.). Les architectes et les urbanistes quant à eux vont parler le plus souvent de densité bâtie. En France, avant sa suppression par la loi ALUR1, c’était la densité de construction, par l’intermédiaire du COS (coefficient d’occupation des sols), qui servait de référence. Le COS fixait le nombre de m² de surface de plancher pouvant être construits sur un terrain donné pour 1 m² de terrain. Le COS déterminait donc la densité de construction admise sur une parcelle.
Un dossier centré sur la densification résidentielle
Nous nous intéressons dans ce dossier aux politiques et processus de densification résidentielle, c’est-à-dire les processus par lesquels des espaces donnés voient une augmentation de leur densité résidentielle (rapport entre le nombre de logements et la surface totale de l’espace considéré) sur une période donnée.
En effet, la volonté des politiques publiques de produire du logement en masse et de qualité à un coût abordable pour permettre à l’ensemble des ménages de se loger s’inscrit dans une crise du logement qui perdure depuis plusieurs décennies en France. Aux impératifs quantitatifs et économiques de la production de logements, s’imposent désormais les critères d’ordre écologique et de transition énergétique auxquels les acteurs du secteur doivent être particulièrement attentifs. Comment faire plus de logements dans les zones bien desservies en transports et proches des lieux d’activités économiques et des services ? Comment réorganiser la production de logements de manière à préserver les espaces naturels, à dégager des trames vertes et bleues ? La densification résidentielle constitue un enjeu majeur des politiques de gestion de la croissance urbaine.
Il faut cependant rappeler l’importance de mettre en perspective les processus et politiques de densification résidentielle avec d’autres transformations possibles comme la diversification fonctionnelle. Cette mise en perspective est d’autant plus importante si l’on considère les objectifs affichés de nombre de politiques de densification urbaine, à savoir produire des logements tout en luttant contre l’étalement urbain et encourager le développement et l’utilisation des transports en commun et des modes doux.
Composition du dossier
L’objet de ce dossier est de présenter, de manière problématisée, les enjeux et les incarnations territoriales de la densification résidentielle en France et à l’étranger.
Il est structuré en deux grandes parties :
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Dans une première partie, le propos est de dévoiler les enjeux de la densification urbaine et les principales controverses autour des politiques et processus correspondants. Il s’agit de mettre en évidence les facteurs et les acteurs ayant concouru à la mise à l’agenda politique des actions de densification, puis de retracer les débats existant sur le bien-fondé et sur la faisabilité (économique, politique et sociale) des mesures de densification. Cela se traduit par trois sous-dossiers :
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Dans une seconde partie, nous donnons à voir la densification au concret, de l’élaboration des politiques des différents niveaux de gouvernement qui la régulent, à sa mise en œuvre au niveau local. Les études de cas municipales sont principalement consacrées à l’exploration des processus de densification résidentielle de tissus à dominante pavillonnaire et des politiques locales qui les régulent. Cela se traduit par deux sous-dossiers :
1 La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR ou loi Duflot II, est une loi française relative au logement et à l’aménagement du territoire.