La stratégie de lutte contre l’épuisement des ressources et le changement climatique dans les pays en développement d’Asie
BRAHMANAND MOHANTY, 2012
L’Asie représente environ 30% de la surface terrestre, 60 % de la population mondiale, et 30% de la consommation mondiale en énergie. Cette région se trouve confrontée à la conjonction de trois phénomènes : alors que la consommation d’énergie par habitant est basse et la pauvreté est endémique, la production connaît une croissance remarquable – principalement appelée à pourvoir aux besoins du monde industrialisé. Cherchant à satisfaire leurs besoins, exigences et aspirations, les citadins des classes moyenne et supérieure adoptent des modes de vie comparables à ceux des pays développés. Bien que l’empreinte écologique moyenne par habitant soit encore relativement légère en Asie, il est urgent d’engager une réflexion de fond sur le bien–fondé de poursuivre la croissance exponentielle actuelle, qui tend vers un mode de vie non durable.
Les modèles de croissance ont prouvé que consommer à l’excès n’était pas nécessaire pour améliorer l’Indice de développement humain (IDH), critère généralement utilisé pour mesurer le niveau de développement d’un pays. Si les modèles de développement actuels tendent à favoriser les grands systèmes centralisés – permettant des économies d’échelle – il est désormais possible, grâce aux progrès technologiques réalisés durant les dernières décennies, de trouver des solutions qui soient à la fois décentralisées, efficaces, fiables, économiques, et bien adaptées aux contextes des pays en développement.
Selon le Global Footprint Network (réseau mondial de l’empreinte écologique)1, l’humanité utilise aujourd’hui l’équivalent d’une planète et demie pour fournir les ressources qu’elle consomme et absorber les déchets qu’elle produit. Des scénarios laissent entrevoir qu’à l’horizon 2030, nous aurons besoin de l’équivalent de deux planètes Terre pour subvenir à nos besoins, si les tendances actuelles de démographie et de consommation se maintiennent.
La population mondiale ne pourra atteindre le niveau de vie dont jouissent les nations développées en utilisant les technologies et les niveaux de consommation actuels. Il faut que les gouvernements comprennent qu’ils ne pourront faire face aux défis posés par le changement climatique sans une véritable modification des comportements et une participation active de leur population. Les politiques actuelles traitant des émissions de GES2 viennent du haut ; pourtant, des approches émanant de la base en matière de prise de décision pourraient tout aussi bien se diffuser, en particulier si elles atteignent le plus grand nombre. Les modifications des modes de vie à l’échelle individuelle, et des comportements à l’échelle collective, présentent un fort potentiel de réduction de carbone. Si l’humanité veut vivre dans les limites des capacités de la planète, les nouvelles technologies vertes et la mise en œuvre de politiques plus ingénieuses devront aller de pair avec des modes de vie promouvant une moindre consommation et favorisant activement la « prosommation3 ». La prosommation est un concept valorisant le fait que chaque consommateur puisse faire un effort de produire ce qu’il consomme. L’indice de prosommation peut être utilisé pour mesurer ce qui est produit en fonction des ressources consommées4.
Consommation et production d’électricité
La consommation et la production mondiale en électricité ne sont pas durables. Les combustibles fossiles tels que le charbon, le pétrole et le gaz sont les principales sources d’énergie, ce qui fait de la production d’électricité l’un des principaux contributeurs – et dont la croissance est des plus rapides – aux émissions de dioxyde de carbone (CO2). Ce sont là des ressources limitées, qui s’épuisent à un rythme soutenu. Selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale en énergie devrait augmenter de presque 60 % entre 2002 et 2030. La croissance économique et démographique des pays en développement sera le principal moteur de cette augmentation, avec une capacité de production basée sur le charbon et entretenant par conséquent les émissions de CO2. L’AIE prévoit également qu’au sein du scénario « rien ne bouge » actuel, l’utilisation d’énergie en Asie augmentera de 112 % entre 2007 et 2030. On s’attend à ce que l’Inde et la République Populaire de Chine voient leur consommation actuelle d’électricité par habitant multipliée par trois d’ici 2030.
Chacun peut réduire de manière significative son empreinte–carbone dans la consommation d’électricité. Ceci peut supposer l’usage de meilleurs appareils, mais beaucoup peut être atteint à travers une plus grande sensibilisation sur les problèmes en question, couplée à une motivation pour s’adapter à de bonnes pratiques. Étant donné la part significative des émissions de carbone dues aux immeubles de bureaux et aux logements, les citadins doivent opérer les changements nécessaires à leurs modes de vie pour favoriser la réduction de la consommation en énergie et diminuer les émissions de CO2. Les bâtiments consomment de l’énergie de deux manières, à travers lesquelles il existe de ce fait un potentiel pour des interventions d’adaptation et de réduction:
-
(I) l’énergie utilisée pour la construction, notamment l’énergie grise des matériaux de construction utilisés
-
(II) l’énergie consommée durant le fonctionnement et l’entretien. Même si l’immobilier s’insère dans une logique de marché, une large part des choix des modes de vie dans ce secteur dépend avant tout des politiques, de la création de marchés et du renforcement des capacités des constructeurs et architectes.
La manière la plus simple d’intervenir pour la réduction des émissions de carbone à l’échelle individuelle semble être les mesures d’économies du coût de l’énergie et la mise aux normes des immeubles existants à des technologies plus vertes. L’analyse d’une étude menée par Le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD, Conseil mondial des affaires pour le développement durable) permet de conclure que la technologie seule ne saurait garantir la performance énergétique des bâtiments. « Les comportements gaspilleurs peuvent réduire d’un tiers la performance énergétique théorique d’un bâtiment, tandis que les comportements économes peuvent l’augmenter d’un tiers ». Dans l’ensemble, un comportement gaspilleur utilise le double d’énergie.
Maisons et immeubles de bureaux peuvent être transformés en lieux de production sans que cela n’engage de grandes modifications. L’installation de piles à combustible, de panneaux photovoltaïques sur les toits, de systèmes de traitement écologique des eaux usées Living machine (Machine vivante), de jardins sur les toits, etc. permet aux structures existantes de contribuer en diminuant leur dépendance à l’égard des ressources en combustibles fossiles, réduisant par là leurs émissions de carbone. De nombreuses options, améliorant l’efficacité énergétique, n’impliquent pas un lourd investissement et engendrent des bénéfices substantiels. Les appareils ménagers les plus courants d’aujourd’hui – dont les lampes, ventilateurs, réfrigérateurs, télévisions, machines à laver, chauffe–eaux et ordinateurs – sont toujours plus ou moins énergivores et consomment davantage d’énergie que celle strictement nécessaire à leur fonctionnement.
L’accès à une énergie qui soit à la fois fiable et abordable, pour l’électricité, la cuisine, le transport et la production est nécessaire aux besoins fondamentaux et à un développement économique durable en Asie. A cette fin, les gouvernements devraient promouvoir des politiques énergétiques qui tendent à réduire les émissions de carbone. Il est tout aussi important de ne pas seulement mettre l’accent sur l’augmentation proportionnelle du versant production, mais de traiter également des pertes d’énergie lors de son acheminement, ainsi que d’aborder le problème des modes de consommation gourmands des utilisateurs finaux, et ce grâce à des interventions politiques adaptées. La formulation d’une politique de long terme pour le développement énergétique est indispensable. Son objectif affiché serait une société à faible émission de carbone.
Des politiques mixtes, telles que celles alliant encouragements pour le développement d’énergies renouvelables et programmes de sensibilisation, ont prouvé leur efficacité. Plutôt que d’investir dans de nouvelles centrales électriques et d’augmenter l’offre, les gouvernements gagneraient davantage à aider leurs populations pour l’achat d’appareils économes en énergie, tels que des ampoules fluocompactes (AFC), des modèles de ventilateurs plus aérodynamiques, des réfrigérateurs correctement isolés et équipés de compresseurs efficaces, et d’autres technologies à haute efficacité énergétique, présentant des émissions de carbone réduites – mais un investissement de départ plus conséquent.
2 Gaz à Effet de Serre, ndt.
3 Néologisme issu de la contraction de production + consommation, « prosumption » en anglais, ndt.
4 Pour un exemple concret de prosommation, cf. dans ce numéro, Un petit pas vers la modestie énergétique et la « prosommation » de Brahmanand Mohanty, p. 152
To go further
Lien vers le numéro de la revue Passerelle en PDF