L’engagement des territoires dans le soutien aux investissements d’économie d’énergie et d’énergies renouvelables

Comment financer l’efficacité énergétique ?

Jose Lopez, 2012

Collection Passerelle

L’énergie est au cœur du développement économique et social des territoires. Elle conditionne le développement de toute activité humaine. Au carrefour de nombreux enjeux socio–économiques, environnementaux, urbanistiques et paysagers, cette problématique doit être traitée avec cohérence et au niveau territorial adapté.

Au delà des différences entre pays centralisés et pays décentralisés, le développement des politiques territoriales de l’énergie a été facilité par l’arrivée à maturité des technologies permettant de décentraliser la production (cogénération) et de valoriser au niveau local des ressources énergétiques renouvelables (biomasse, éolien, photovoltaïque, etc.).

La contrainte du changement climatique et les tensions sur le marché des énergies fossiles ont ainsi donné à la maîtrise de l’énergie (sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables), activité par nature territoriale et locale, une forte légitimité. L’échelon territorial s’impose comme une composante indispensable et prioritaire d’une politique énergétique nationale et européenne durable.

Ce faisant cette nouvelle responsabilité questionne aujourd’hui tant les modes que les moyens de l’intervention des régions et des autres collectivités territoriales.En effet, si les méthodes classiques d’intervention publique au travers des subventions demeurent pertinentes pour encourager l’expérimentation et l’animation de réseaux d’acteurs, elles se révèlent souvent insuffisantes pour accompagner le développement d’investissements dans les techniques d’utilisation rationnelle de l’énergie et de valorisation des énergies renouvelables avec un rythme et une ampleur à la hauteur des enjeux énergétiques et climatiques.

Revue des dispositifs de financement existants

La question du financement des investissements d’efficacité énergétique reste en effet le point faible de la mise en œuvre des politiques de maîtrise de l’énergie et de lutte contre le changement climatique. Les causes de ces difficultés ont été longuement analysées : elles proviennent en particulier de la dispersion des projets et du fait qu’ils ne constituent pas, de façon générale, la première préoccupation de ceux qui pourraient les porter. A rentabilité équivalente ou supérieure, il est, par ailleurs, beaucoup plus difficile de trouver des facilités de financement pour des investissements d’efficacité énergétique que pour des investissements de production d’énergie.

Les financements d’origine publique

Quelles que soient les orientations générales de leurs politiques économiques, tous les pays qui ont développé des politiques d’efficacité énergétique ont eu recours à des systèmes d’incitations financières sous des formes plus ou moins « sophistiquées », soit en direction des consommateurs pour soutenir leurs investissements, soit en direction des producteurs d’équipements.

La méthode la plus simple et longtemps la plus répandue a été la subvention directe aux investissements par des fonds publics, à partir du budget de l’État. La subvention pouvant être accordée en proportion du montant de l’investissement ou en fonction de la quantité d’énergie économisée, avec bien entendu des plafonds de subventions.

Nous savons que ces ressources en subvention, si elles sont bien adaptées pour apporter un soutien à l’expérimentation et aux démarches pilotes, le sont beaucoup moins dès lors qu’il s’agit d’accompagner la généralisation de bonnes pratiques. Ce mode de financement atteint rapidement deux limites : la limite des ressources budgétaires qui peuvent lui être affectées et la limite des capacités de financement complémentaire des entreprises industrielles ou tertiaires comme des administrations, des collectivités locales et des ménages pour la part de l’investissement net de subvention restant à leur charge.

Les contraintes budgétaires conduisent souvent à réduire l’utilisation de cet instrument d’intervention publique mais il ne faut pas perdre de vue que sa simplicité fait qu’il reste intéressant et parfois indispensable pour favoriser l’émergence de filières et d’un tissu d’acteurs professionnels. L’esprit en a été conservé dans un certain nombre de pays au travers de la création de Fonds extra–budgétaires alimentés par une taxe sur les consommations d’énergie. C’est, par exemple, le cas du Danemark qui a constitué un « Fonds pour les économies d’électricité », alimenté par un prélèvement sur la facture d’électricité des consommateurs, et consacré à des soutiens aux investissements d’économies d’électricité (et notamment à l’élimination du chauffage électrique). Cette ressource peut être utilisée pour des interventions non seulement en subvention, mais aussi au travers de produits et de mécanismes financiers dont l’effet de levier est plus important (lignes de crédit bonifié, avances remboursables, prêts participatifs, etc.). Il est important de souligner que la mobilisation d’une ressource extra–budgétaire via une taxe sur les consommations d’énergie présente en outre l’avantage d’assurer une meilleure stabilité (et donc visibilité pour les acteurs) des ressources d’intervention dans le temps, qualité dont ne peuvent se prévaloir les ressources budgétaires tant elles sont soumises aux fluctuations de la politique budgétaire. Dans une phase de lancement ou de relance d’une politique ambitieuse de maîtrise de l’énergie, où la mise en place des structures d’animation et d’intervention pérennes et de programmes d’intervention de moyen long terme est indispensable, on comprend tout l’intérêt et l’avantage que revêt une taxe dédiée par rapport à la dotation budgétaire.

Parmi les autres formes d’incitation aux investissements d’initiative publique, on peut également citer :

Ces derniers dispositifs d’incitation et de financement des investissements de maîtrise de l’énergie présentent un intérêt non négligeable mais leur efficacité suppose un certain nombre de pré–requis, notamment :

En outre, certains de ces dispositifs, parce qu’ils génèrent un déficit fiscal pour la collectivité, sont très fortement soumis aux aléas de la politique budgétaire des gouvernements. De notre point de vue, ces dispositifs doivent s’intégrer dans la palette des dispositifs d’incitation mais être précédés d’une évaluation attentive de leurs impacts macro–économiques et, pour certains, être limités dans leurs champs et durées d’application (taux de TVA réduit et crédit d’impôt notamment).

Les autres sources de financement classiques

Le financement d’un projet combine différentes ressources dans des proportions variables, en fonction de la nature, de la taille, de la rentabilité du projet et des risques associés :

Le bouclage financier du projet peut également mobiliser certaines aides (à la création d’entreprise, à l’innovation, etc.).

A l’exception des aides dont l’objet est souvent sectorisé, c’est–à–dire réservées à un certain type de projets et de certaines participations en capital (réalisées par des sociétés de capital à risque spécialisées dans le développement de projets à forte rentabilité dans des secteurs d’innovation), les sources de financement externes (emprunts et/ou capital) sont le plus souvent apportées par des établissements financiers généralistes.

La méconnaissance du marché de l’efficacité énergétique par les institutions financières généralistes est un fait largement avéré. Cette méconnaissance se trouve renforcée par la faiblesse de l’expertise technique et de montage financier de nombreux porteurs de projets (et en particulier des PME–PMI et des petites et moyennes collectivités territoriales), qui se traduit par l’incapacité à présenter et à expliquer l’intérêt de ces projets aux bailleurs de fonds. Il découle de cette situation que les conditions dans lesquelles les banques et autres institutions financières octroient des financements aux projets d’efficacité énergétique sont extrêmement contraignantes et peu attractives en termes de coûts d’accès, rendant l’économie de ces projets problématiques.

L’immense majorité des projets faisant appel à des financements externes sont des projets de développement (augmentation des capacités de production, modernisation des process, lancement d’une nouvelle gamme de produits et, ou de services). La réalisation de ces projets s’accompagne d’une augmentation du chiffre d’affaires et le financement de l’investissement (le remboursement des prêts et la rémunération des capitaux investis) découle des bénéfices réalisés sur ce chiffre d’affaires additionnel.L’économie des projets de maîtrise de l’énergie est différente puisque le retour sur investissement est assuré pour l’essentiel et dans la majorité des cas par les gains sur la facture énergétique et non pas par un accroissement du chiffre d’affaires. Pour les financeurs, cette différence est fondamentale et explique en grande partie leur difficulté à prendre en compte ce type de projet : culturellement, l’interlocuteur financier est formé pour « accompagner le développement » du porteur de projet, plus rarement pour prendre en considération des projets d’optimisation où la composante technique joue un rôle important dans la faisabilité et la rentabilité de l’opération.

Ce frein « culturel » à la prise en compte de projets d’efficacité énergétique par les apporteurs de financements classiques se double d’un problème d’attractivité « financière » : le temps de retour des investissements d’efficacité énergétique est en moyenne plus long que celui des projets de développement. Il s’ensuit un problème d’adéquation entre le coût (taux d’intérêt) et la durée des financements externes et la rentabilité (capacité de remboursement des financements externes) des projets.

Enfin, les projets d’efficacité énergétique sont rarement des projets qui relèvent des investissements de cœur de métier. A ce titre, ils ne constituent pas une priorité de premier rang pour les porteurs de projets dans le secteur industriel comme dans le secteur tertiaire (la situation est similaire au niveau des ménages). En conséquence, la part de l’autofinancement disponible pour ces projets est souvent minime et atteint rarement le niveau permettant de crédibiliser financièrement le projet et donc d’attirer les financements externes (bancaires) dans des conditions de coût acceptables.

Les méthodes innovantes de financement public–privé

Face à ces constats (limites du financement public et imperfection des outils et pratiques de financement classiques), la principale innovation de ces dernières années en matière de soutien aux investissements d’efficacité énergétique, observée au niveau international, a été de mieux articuler l’effort public sous toutes ses formes (réglementaire ou incitative) avec les ressources du secteur privé, ou, plus généralement, des secteurs économiques (les banques ou les entreprises publiques faisant partie de cette catégorie). L’objectif des pouvoirs publics a alors été d’obtenir un effet de levier par la mobilisation de moyens supplémentaires d’origine privée et de faire entrer l’utilisation rationnelle de l’énergie dans les mécanismes normaux du marché.

Cela a pu se faire de différentes façons, parfois complémentaires :

Au travers de ces dispositifs, les gouvernements et collectivités territoriales mobilisent ainsi des ressources financières privées pour la poursuite d’objectifs publics. Outre l’intérêt financier de ces formules innovantes, le fait de confier la gestion des mécanismes de financement à des entités dont c’est le métier a été considéré comme un moyen d’améliorer en général le fonctionnement du système (gestion des dossiers de prêts par les banques par exemple). En corollaire, il était cependant essentiel que les institutions en charge de la maîtrise de l’énergie se dotent d’une compétence financière pour dialoguer avec les organismes financiers et qu’elles leur assurent le soutien technique et l’expérience du sujet.

Tout au long des années 2000, on a pu assister au niveau international, dans des pays du sud, en transition et ou industrialisés à l’émergence de tels outils : Fonds Vert Municipal au Canada à l’initiative du gouvernement et de la fédération des municipalités canadiens ; Fonds Rotatif Thaïlandais, alimenté par une taxe sur l’énergie et distribué sous forme de prêt bonifié par des banques nationales en direction des entreprises tertiaires et du bâtiment désignés par la loi comme devant procéder à une mise à niveau énergétique ; Fonds d’Investissement de la Maîtrise de l’Energie (FIDEME) et de Fonds de Garantie de la Maîtrise de l’Energie (FOGIME) à l’initiative de l’ADEME en France ; Fonds d’Investissement Régional FONDELEC sur fonds de la BERD2 et d’investisseurs financiers internationaux, dédiée au financement d’entreprises et de projets de maîtrise de l’énergie en Europe de l’Est, etc.

Le fait d’impliquer les institutions et opérateurs financiers, dans ces dispositifs, présente un double intérêt :

Ces initiatives ont permis des avancées significative

Effet d’échelle :

Sur le plan des volumes d’opérations engagées on a pu observer des changements d’échelle significatifs dans le nombre d’opérations enclenchées comparativement aux dispositifs traditionnels d’intervention en subvention. A titre d’illustration, la Région Picardie, en France, a mis en place un dispositif de prêt à taux zéro destiné à soutenir les investissements en économie d’énergie et en énergies renouvelables des ménages picards. Sur trois ans, environ 10 000 prêts ont été accordé pour un volume d’investissement total avoisinant les 95 millions d’euros. Les services de la Région, à effectif constant de personnel, n’auraient jamais été en capacité d’instruire directement un nombre équivalent de dossiers de subvention sur la période.

Effet de levier :

Par exemple,les 9 millions d’euros de subvention régionale dirigés vers la bonification des prêts bancaires portés par les banques partenaires de la Région Picardie ont permis de générer un montant d’investissement de 95 millions d’euros. Ce levier de 10 est à comparer avec l’effet de levier moyen des subventions à l’investissement qui se situe autour de 3. Mais elles ont également mis en lumière certaines difficultés et insuffisances confirmant que l’efficacité énergétique est encore loin d’être une pure activité de marché ou que l’ingénierie financière seule, fut–elle le fruit d’une coopération du public et du privé, ne constitue qu’une réponse, certes importante, mais partielle au besoin des porteurs de projets et plus largement à l’ensemble des acteurs économiques impliqués dans la réalisation d’opérations d’efficacité énergétique.

Stratégie de niche et effet d’éviction :

Les gestionnaires des dispositifs, pour optimiser leur rémunération (minimisation des coûts de transaction, du risque) mais aussi par simple commodité de gestion (simplicité du mode de diffusion du dispositif) ont eu trop souvent tendance à orienter des dispositifs, à l’origine ouverts à différentes cibles (par exemple les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique) vers les filières les plus rentables et les projets de grandes tailles, cette pratique débouchant, notamment pour les fonds d’investissements, sur des portefeuilles peu diversifiés, pauvres en opérations d’efficacité énergétique et avec un nombre d’opérations limité. L’additionnalité de l’intervention publique a pu dans ces cas être questionnée dans la mesure où seules des cibles que le secteur financier privé était déjà en capacité de toucher ont été traitées.

Effet d’aubaine :

En raison de critères d’éligibilité inadaptés et ou d’une mauvaise application de ces derniers, certains dispositifs ont permis des comportement opportunistes de la part de porteurs de projets et/ou d’équipementiers : remplacement d’équipements obsolètes, en fin de vie, par des équipements neufs mais n’apportant pas de réelle amélioration de l’efficacité énergétique par rapport à la performance moyenne des équipements présents sur le marché, ou bien utilisation des dispositifs comme les prêts bonifiés pour renforcer l’agressivité commerciale de certaines entreprises spécialisées dans la diffusion de matériel ou d’équipements aux ménages en dehors de toute rationalité technique ou économique (double vitrage, chaudières, pompes à chaleur, etc.).

Positionnement inadéquat de certains dispositifs :

A l’inverse, des critères trop restrictifs sur les technologies éligibles, des exigences trop fortes de rentabilité attendus des fonds investis ou des coûts d’accès aux dispositifs trop élevés peuvent avoir pour conséquence un non–déboursement des ressources affectées (exemple du Renewable Energy & Energy efficiency Fund de l’IFC – filiale du groupe Banque mondiale, lancé au début des années 2000). Dans un autre registre, le positionnement de certains dispositifs à un niveau « macro », à l’échelle d’une région du monde ou d’un pays, a conduit à privilégier les seuls secteurs et filières en capacité d’offrir des projets de taille importante, projets d’un coût minimum de 3 à 5 millions d’euros, évinçant ainsi les projets à plus faible investissement, de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’euros, qui représentent pourtant l’essentiel du marché de l’efficacité énergétique.

Durée de vie limitée des dispositifs :

Assis sur des ressources non pérennes, surtout des ressources budgétaires de l’État ou des collectivités territoriales, les dispositifs d’initiatives publiques présentent des durées de vie souvent trop limitées pour permettre à leur gestionnaires et aux bénéficiaires potentiels de ces financements de se familiariser avec toute la palette des configurations techniques et organisationnelles de l’efficacité énergétique dans l’ensemble des secteurs consommateurs. Il existe ainsi de nombreux exemples de non reconduction de lignes de crédits ou de fonds d’investissement créés à l’initiative de pays, régions ou bailleurs de fonds internationaux.

Les pistes pour demain : adéquation, gestion, territorialisation des financements dédiés

Au moment où s’engagent dans de nombreux pays des réflexions et des travaux sur le financement de la transition énergétique, ces retours d’expériences doivent aider à la définition des outils permettant d’assurer un essor du marché de l’efficacité énergétique en cohérence avec les engagements nationaux et internationaux.

S’il fallait citer trois pistes de réflexion pour ce travail, nous proposerions de retenir :

1 Fréquemment appelée ESCO (Energy Service Company).

2 BERD : Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

3 Réduction d’un facteur 4 des émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à leur niveau de 1990

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