La Plateforme renouvelable Atacama
Transformer un désert chilien en pôle de recherche et de développement d’énergies renouvelables
Manuel Marin, 2013
Cette fiche présente l’expérience chilienne en matière de développement de fermes photovoltaïque dans le désert d’Atacama, ou comment transformer un espace vide d’hommes et d’activités en pôle de compétitivité à la pointe des énergies renouvelables.
Le développement des énergies renouvelables au Chili est assez bas par rapport à son potentiel selon les études commandées par le gouvernement chilien et publiées fin 2009. Au nord du Chili, dans les régions d’Antofagasta et d’Atacama, on trouve le désert le plus aride du monde, où la radiation solaire dépasse 300 watts le mètre carré. La fondation Chile dirige depuis 2008, en partenariat avec Codelco Chile (la Corporation du cuivre) et le Gouvernement régional d’Atacama, un ambitieux projet pour mettre en œuvre un ensemble de fermes solaires photovoltaïques et solaires, de parcs éoliens et de centrales de biogaz, sous le nom de « Plateforme solaire Atacama ». L’objectif à long terme est de transformer ce désert en pôle de recherche et de développement sur l’énergie solaire et d’autres énergies renouvelables au niveau mondial, en promouvant le transfert de technologies avec des pays industrialisés. Le projet a été conçu en mettant en pratique les principes de l’écologie industrielle, c’est à dire l’intégration des réseaux et l’optimisation des flux de matière et d’énergie. Un outil de gestion de réseau, ou « Centrale électrique virtuelle », pourrait être mis en œuvre dès que les installations seront connectées entre elles ou pour prévoir leur interconnexion. Il reste à considérer les contraintes liées au coût de l’énergie dans un pays en cours de développement qui s’approvisionne fondamentalement avec du fossile et de l’hydroélectricité.
Le potentiel énergétique renouvelable au Chili est vaste comme sa géographie, comportant plus de 4 200 kilomètres de long. Une étude encadrée par la Commission nationale de l’énergie (CNE, Chili) en partenariat avec la Société pour la coopération technique (GTZ, Allemagne) et publiée en octobre 2009, montre la possibilité d’y développer l’énergie solaire, l’éolienne, et le biogaz, entre autres. Dans cette étude, des chercheurs de la Faculté de Géophysique de l’Université du Chili proposent un modèle mathématique pour estimer la radiation solaire et la vitesse du vent au nord du territoire, grâce auxquels il serait possible d’identifier les points où la ressource est la plus abondante, afin de projeter l’implantation des installations.
Jusqu’à présent, ces opportunités ont été très peu valorisées, la capacité électrique installée dans le secteur des renouvelables reste inférieure à 5 % de la totale nationale. Le Chili produit son énergie principalement à partir du gaz naturel, du charbon, du pétrole diesel et de l’hydraulique de grande échelle ; toutes sont des technologies assez efficaces mais incompatibles avec la durabilité, l’écologie et l’autonomie. La plupart du gaz naturel, principale source de l’approvisionnement énergétique du pays, est importée depuis l’Argentine (à travers un gazoduc) ou sous la forme de gaz liquide par bateau ; la construction de barrages au sud du Chili menace les communautés autochtones. La diversification de la matrice énergétique fait partie des priorités du gouvernement actuel, qui prétend faire décoller les énergies renouvelables mais lance également de recherches en énergie nucléaire.
Du côté des énergies renouvelables, le désert d’Atacama, très aride et étendu sur les régions d’Antofagasta et d’Atacama, reçoit 3000 heures de soleil par an. Il apparaît donc comme la pièce fondamentale d’une réelle stratégie de développement durable. Les gisements abondants d’énergie solaire, la proximité des sources énergétiques aux pôles de consommation, l’activité minière présente dans la zone (susceptible de générer des synergies), la basse pression foncière (qui peut favoriser les cultures énergétiques), sont des conditions repérées par les observateurs des différents secteurs : état, investisseurs, chercheurs, ONGs, associations, etc.
La Fondation Chile, organisation à but non lucratif créée en 1976 par le gouvernement chilien et l’entreprise américaine ITT, est en tête des efforts pour matérialiser tous ces avantages et transformer le désert d’Atacama en pôle de développement de l’énergie solaire et d’autres formes d’énergie renouvelable. En partenariat avec Codelco Chile et le gouvernement régional d’Atacama, ils ont lancé le projet « Atacama, une Plateforme solaire pour le Chili », dont l’objectif est justement de mettre ce territoire à la pointe de la recherche mondiale en la matière. L’initiative, qualifiée d’ambitieuse par ses propres créateurs, a été divisée en trois étapes :
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« plan stratégique », pour la période 2008-2010 ;
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« infrastructure technologique, projets pilotes et attraction d’investissement », pour la période 2011-2016 ;
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«développement du pôle et son internationalisation », pour la période 2017-2018.
Selon Marcela Angulo, directrice du Département d’énergie et environnement de la Fondation Chile et ingénieur chimiste, la mise en place d’une « infrastructure technologique » est essentielle pour le décollage du projet. Il s’agit de constituer une équipe de spécialistes travaillant sur le terrain et munis d’outils adaptés aux tâches de prototypage et de testing afin d’appuyer le démarrage des trois projets pilotes, à savoir : une usine de dessalement d’eau à base d’énergie solaire ; un aqueduc avec une pompe d’eau à énergie solaire; une application de l’énergie solaire au processus de raffinement du cuivre. Si les deux premiers, fortement interconnectés, fonctionnent bien, la Fondation Chile cherchera à encourager la mise en place d’unités de dessalement additionnelles, connectées en série par l’ensemble aqueduc-pompe solaire, opérant de façon à ce que chaque station de la chaîne produise de l’eau de moins en moins salée. L’eau disponible à chaque étape servirait, par exemple, à l’activité minière pour l’eau la plus salée, au rinçage de cultures énergétiques pour l’eau moyennement salée, à la consommation humaine pour l’eau complètement dessalée.
Cette manière de lier les projets favorise le développement de nouveaux produits et la multiplication de bénéfices associés à l’ensemble. C’est le résultat de la proximité et de la compatibilité entre les différentes installations qui le composent -ce qu’en écologie industrielle est appelé les « biocénoses industrielles ». Les « Plateformes solaires » se développent aujourd’hui partout dans le monde, notamment au Sahara, en Almería et au Nevada. Le rôle de l’écologie industrielle, en tant que discipline en forte croissance, pourrait bien contribuer à apporter une nouvelle perspective d’analyse pour ce type de projets, en les concevant comme des parcs éco-industriels, où le flux de matière et d’énergie peut être optimisé en utilisant les outils appropriés. Par exemple, l’outil de « Centrale électrique virtuelle », conçu pour la gestion et le contrôle de systèmes électriques hybrides et décentralisés, pourrait au futur s’adapter et servir à la gestion d’un parc comme la « Plateforme solaire Atacama ».
Les outils de gestion de réseau s’orientent actuellement vers l’intégration de nouvelles sources aux réseaux d’approvisionnement énergétique. Des versions assez développées de ce type de logiciel sont élaborées en Allemagne, en France, aux États-unis et au Japon par des laboratoires spécialisés dans le domaine des « réseaux intelligents ». En modelant des phénomènes tels que la demande en électricité, la performance des générateurs, la saturation des lignes, les conditions météorologiques, l’évolution des habitudes de consommation, les ingénieurs sont capables de programmer ces outils pour une gestion optimale des systèmes énergétiques qui intègrent les énergies renouvelables. Les réseaux deviennent intelligents et les possibilités de développement et d’intégration de différentes technologies augmentent.
Au Chili, les énergies renouvelables doivent gagner leur place à coté de sources beaucoup moins chères et mieux développées. A la différence de quelques pays d’Europe, d’Asie et de quelques états aux États-unis, où les aides financières publiques permettent aux investisseurs de rentabiliser leurs installations, au Chili tout ce qu’on trouve pour le moment dans la réglementation est une norme selon laquelle les entreprises génératrices doivent produire au moins 5 % à partir des sources renouvelables. Le chiffre montera à 8 % dans les prochaines années.
Pour Marcela Angulo, un changement de ces politiques de gestion est nécessaire et doit voir le jour afin de donner au secteur des énergies renouvelables des instruments économiques plus avantageux, leur permettant de devenir compétitifs à court terme. Mais, au-delà, signale-t-elle, la contribution de la « Plateforme solaire Atacama » doit se mesurer en termes du développement social qu’elle entraîne, de l’investissement qu’elle attire sur la province de Chañaral et la ville de El Salvador, de la création de postes de travail et de la possibilité de formation professionnelle permanente pour les ouvriers du cuivre. C’est l’ensemble de ces éléments qui témoigneront du succès de cette activité dans les dix prochaines années.
Sources
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Commission Nationale de l’energie (CNE), Modelación del recurso solar y eólico en el norte de Chile, Gouvernement du Chili, Santiago , Mai 2009.
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Interview avec Marcela Angulo – Matrice énergétique chilienne