Belo Monte, un barrage dans l’Amazonie

Manuel Marin, 2013

Cette fiche présente le cas d’un projet de barrage hydroélectrique, au Brésil, dans le cadre d’un accroissement toujours accru des besoins énergétiques, lié à la forte croissance économique de ce pays émergent. Cependant, les enjeux parfois antagonistes entre production et développement économique et préservation des ressources naturelles et culturelles, a engendré de nombreux conflits notamment entre les porteurs du projet et les populations indigènes riveraines du barrage.

La construction du barrage de Belo Monte a attiré beaucoup l’attention depuis son annonce dans les années 1980. Faisant partie d’un programme multimillionnaire de développement énergétique pour le Brésil, le projet a traversé plusieurs étapes et a fait partie de l’agenda de deux gouvernements successifs. Depuis le début, les environnementalistes ont critiqué le fait qu’il inonde plusieurs milliers d’hectares de territoire dans l’Amazonie, ce qui peut, d’après eux, provoquer une crise environnementale et sociale. Des études assez approfondies ont été élaborées et publiées sur le sujet, mais, peut-être plus remarquables sont les activités et les manifestations des peuples indigènes de la zone qui s’opposent fortement aux travaux. Encore une fois, il s’agit d’une option de développement énergétique qui prévaut parmi d’autres. La forte croissance économique du Brésil implique un programme énergétique capable de tenir le coup. Mais, comme l’a démontré l’écologie industrielle dans plusieurs exemples, le développement économique de grande échelle ne passe pas forcément par l’extraction excessive de ressources, mais par une utilisation systématique et intelligente des ressources disponibles, dans une chaîne où les déchets d’un processus sont la matière première d’un autre. Ce type de stratégie devient de plus en plus important, avec un accent sur les mécanismes de contrôle et de gestion. Il faudrait voir si le Brésil est capable d’atteindre ce type de performance avec les ressources naturelles qu’il possède. Spécifiquement la « gestion écologique » de l’Amazonie, un des principaux poumons de la planète, sujet de beaucoup d’études sur la façon de la traiter et de la conserver, est l’un des aspects le plus importants à considérer.

Les études du potentiel hydraulique de la rivière Xingu (un affluent de l’Amazonas) ont débuté en 1975, encadrés par l’entreprise Electronorte, filiale de Electrobras. Cinq ans plus tard, un premier bilan a été établi et sa conclusion était frappante : 19 GW de puissance pouvaient être installés grâce à l’inondation d’environ 18 000 kilomètres carrés de territoire indigène. Le barrage de Belo Monte, qui à ce moment était appelé Kararaô (le gouvernement brésilien a changé le nom en 1989, dans ce qui peut être considéré comme une stratégie communicationnelle) faisait partie du Parc électrique Altamira, ensemble de deux usines conçues pour héberger une puissance totale de 17,6 GW.

L’opposition des peuples indigènes de la zone a été immédiate. L’incident survenu dans la première rencontre des peuples indigènes du Xingu, en février 1989, reste toujours en mémoire et est considéré comme un symbole pérenne de la résistance indienne. Lors du discours du Président d’Electrobras de l’époque, M. José Antonio Muniz, sur la mise en place du projet Altamira, une des participantes à la conférence, représentante de l’ethnie Tuíra, a mis sa lance sur la face de M. Muniz. La scène a été capturée par les médias et reproduite dans plusieurs journaux faisant le tour du monde. Après cet incident, le gouvernement a changé le nom du projet et initié plusieurs démarches pour le rendre plus adapté aux contraintes environnementales et sociales. Une deuxième version du projet a été publiée en 1994, avec des modifications qui réduisaient la surface totale inondable par les travaux de 1.225 km2 à 400 km2, la zone indigène de Paquiçamba est de cette manière préservée. En 2001, le projet a été intégré dans le programme d’urgence d’augmentation de l’offre énergétique du Brésil et sa mise en place est devenue un point prioritaire dans l’agenda du gouvernement du Président Fernando Cardoso. A l’époque le candidat à la présidence Luiz Inácio da Silva divulgue un article intitulé « Le rôle de l’Amazonie dans le développement du Brésil », qui prévient des conséquences de l’hydroélectricité de grande échelle sur le bassin de l’Amazonas.

Le projet est arrêté et remis en marche par la justice brésilienne plusieurs fois entre 2001 et 2010. En 2003, le récemment nommé président d’Electronorte et physicien Luiz Pinguelli Rosa annonce que Belo Monte sera discuté et analysé en profondeur, afin de considérer des options de développement économique et social pour la région et peut-être réduire la puissance installée. En 2007, pendant la Rencontre « Xingu para Sempre », des incidents surviennent à nouveau entre les indiens et les autorités d’Electronorte, et un fonctionnaire de l’entreprise est blessé. Après l’événement, le mouvement indien publie la lettre « Xingu Vivo para Sempre », qui propose un programme de développement régional et demande au gouvernement de le mettre en œuvre. Le 1er février 2010, l’Ibama (Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles), organisme chargé de l’évaluation environnementale des projets comme Belo Monte, concède la licence environnementale pour sa construction qui mènera au concours du 20 avril de la même année. L’année suivante, le Consortium « Norte Energia » obtient les permis de construction de l’infrastructure qui précédera à l’usine.

Le bilan de l’Ibama inclut plus de 30 points sur les conséquences environnementales et sociales que pourraient entraîner la mise en place de l’usine de Belo Monte. Des menaces pour les eaux, le sol, la végétation et la faune, la population, le patrimoine archéologique, le paysage, l’aménagement du territoire, la tranquillité, etc., sont indiquées sur cette liste, ce qui montre, par ailleurs, la conscience que le gouvernement brésilien a des faiblesses du projet. Dans le bilan de l’Ibama on trouve des phrases telles que : « l’augmentation de la population et de l’occupation désordonnée du sol », « l’altération de la qualité de l’eau dans la rivière Xingu (…) et la perte des sources de revenu et de subsistance pour les communautés indigènes », « l’augmentation du bruit et de la poussière incommodant la population et la faune (…) », etc. Les aspects positifs, pourtant beaucoup moins nombreux, sont également soulignés : « l’amélioration des accès », « la dynamisation de l’économie dans la zone ».

La matrice énergétique du Brésil est déjà diversifiée au point d’intégrer dans la production énergétique du pays 46 % de renouvelables, notamment de l’hydroélectricité et de la biomasse à partir de la canne à sucre. C’est un chiffre considérable par rapport aux voisins d’Amérique Latine et à certaines puissances économiques mondiales, comme la France. 54 % est composé de sources fossiles, dont le pétrole est le plus important avec 37 % de la production énergétique totale orientée principalement vers l’industrie chimique. Récemment, la découverte de gisements pétroliers situés à grande profondeur dans le sous-sol brésilien menace de faire augmenter la production électrique thermique à base de ce combustible, dont le Brésil est relativement peu riche à l’heure actuelle.

Mais il y existe d’autres options. Par exemple, l’industrie de la biomasse est assez développée au Brésil, avec une production d’éthanol à partir de la canne à sucre qui sert actuellement à plusieurs activités industrielles. Il s’agit d’une technologie qui a fait ses preuves et qui présente un bilan parmi les plus favorables dans des processus de telle nature (rapport entre l’énergie consommée dans la fabrication du combustible et l’énergie obtenue de son utilisation). Encore mieux, les résidus de cette réaction sont utilisés pour la production d’électricité dans des usines thermiques. La canne à sucre pour ces applications est cultivée loin de l’Amazonie, dans les côtes tempérées du nord et sud du pays. Le soja, quelques palmacées et certaines huiles végétales pourraient aussi être consacrés à la production d’éthanol ou d’autres formes de biodiesel après la recherche et les investissements appropriés.

La biomasse est une ressource très connue de l’écologie industrielle, car elle incarne un de ses principes fondamentaux, à savoir, l’utilisation des résidus d’un processus productif comme ressource pour une autre, en diminuant la dépendance de l’environnement. Ce que l’on voit au Brésil est l’application de quelques pratiques de l’écologie industrielle en matière énergétique, mais, comme le Chili, où les projets hydrauliques de grande échelle coexistent avec les efforts pour mettre en place les énergies renouvelables, ces pratiques ne font pas partie d’une stratégie globale, mais elles ressemblent plutôt à des initiatives isolées et fortuites. Le Brésil a sans doute les ressources pour augmenter sa production énergétique en protégeant en même temps ses ressources, car il s’agit de renouvelables, mais c’est une question de savoir maîtriser sa croissance. Les dommages à l’environnement amenés par la mise en place de projet comme Belo Monte n’ont pas lieu dans des scénarios de planification globale où les principes de respect à l’environnement sont mis en œuvre. Le cas de Belo Monte est similaire au cas d’Hidroaysén au Chili : la mise en place d’une centrale hydraulique dans un endroit où les conditions techniques sont clairement favorables, mais les questions liées à l’environnement sont aussi, importantes. Ce type de projets énergétiques où les intérêts purement économiques sur l’utilisation d’une ressource prévalent sans considérer son environnement naturel et social seront toujours rejetés par la population qui habite la zone et par les organisations qui soutiennent le développement durable.

Sources

  • Moya C., Franco H., Rezende P., AHE Belo Monte, Evoluçao dos estudios, Comité Brasileiro de Barragens, XXVII Séminario Nacional de Grandes Barragens, Belém, 3-7 Juin 2007.

  • de Castro N., da Silva Leite A., de A. Dantas G. Análise comparativa entre Belo Monte e empreendimentos alternativos: impactos ambientais e competitividade econômica, Texto de Discussão do Setor Elétrico n.º 35, Rio de Janeiro, Juin 2012.

  • RIMA, Relatório de Impacto Ambiental – Aproveitamento Hidreléctrico Belo Monte, Eletrobrás, Ministério de Minas e Energia, Mai 2009.

  • Amazon Watch- Stop the Belo Monte Dam