Production électrique et réseau intelligent, l’exemple de Perpignan

Manuel Marin, 2013

Cette fiche expose le cas de Perpignan, en passe de devenir une ville à énergie positive, c’est-à-dire ayant dépassé l’autosuffisance pour devenir excédentaire.

Le développement des énergies renouvelables en Languedoc-Roussillon a commencé il y a une trentaine d’années. La centrale à concentration solaire Thémis a été construite et fermée dans les années 1980. Dans les années 1990 et 2000, l’énergie hydraulique et l’éolienne ont gagné du terrain et aujourd’hui les efforts se concentrent à nouveau sur le solaire. Si tout se passe bien, la ville de Perpignan pourrait devenir une ville à énergie positive d’ici 2015, c’est-à-dire une ville qui produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme. Le défi est de maîtriser la distribution de l’énergie provenant de plusieurs sources réparties dans le territoire et cela pourrait être possible grâce aux technologies de l’information. Le problème est que les appareils électroniques et les ordinateurs consomment eux aussi beaucoup d’énergie, donc il faut trouver un équilibre. Finalement, l’adaptation des usagers aux nouvelles pratiques énergétiques est également un sujet à considérer.

Les conditions territoriales du Languedoc-Roussillon permettent d’envisager plusieurs alternatives de production d’énergie à source renouvelable. La Cerdagne, dans les Pyrénées Orientales, reçoit environ 2 400 heures de soleil par an. C’est ici que sur une pente de 12 degrés en moyenne et à 1 700 mètres d’altitude, se situe la Centrale Thémis ; 201 héliostats redirigent l’énergie solaire thermique vers une tour centrale où une turbine à vapeur est tournée pour produire de l’électricité. Mise en service en 1983, elle a été fermée par EDF 3 ans plus tard, suite à une série de difficultés techniques, économiques et politiques. Pendant 17 ans, le site et les installations de Thémis ont accueilli la recherche en astrophysique ; les héliostats, conçus pour suivre la trajectoire du soleil tout au long de la journée, ont servi à scanner le ciel en cherchant des rayons cosmiques. En 2004, un arrêt du Conseil Régional du Languedoc-Roussillon permet à Thémis de revenir à son propos d’origine. Plusieurs projets cohabitent actuellement sur le site de la centrale :

Thémis est l’un des nombreux exemples de développement des énergies renouvelables dans la région. En hydro-électricité, le Languedoc-Roussillon a plus de 650 MW de puissance installée dans 17 barrages, plus 50 MW apportés par des petits producteurs autonomes grâce à l’hydraulique de petite échelle. Quarante parcs éoliens en activité en avril 2010 assurent une puissance de 400 MW selon les chiffres de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL). En photovoltaïque, la puissance raccordée au réseau au mois de juillet 2010 était de 60,5 MW (la plus haute en France Métropolitaine), une partie provenant de centrales au sol, l’autre des installations individuelles soutenues par la région depuis 2006. Le bois-énergie est également présent avec 6,5 MW comptabilisés fin 2009. Le gouvernement régional encourage le développement de ces sources d’énergie ainsi que la géothermie, la marémotrice, la maîtrise de l’énergie et la construction des bâtiments basse consommation.

Le pôle de compétitivité Développement des Énergies Renouvelables dans le Bâtiment et l’Industrie (DERBI) a été créé en 2005 pour aider à la recherche et au développement en matière d’énergies renouvelables dans la région et ailleurs. Il est situé à Perpignan et réunit à présent plus de 150 grandes, moyennes et petites entreprises, centres de recherche, universités, fédérations professionnelles, collectivités territoriales, partenaires institutionnels et autres. Ses principaux axes de travail consistent en la production d’énergie par le bâtiment, le transport et le stockage de l’énergie à travers le réseau et la production d’énergie hors du bâtiment, par centrales électriques. Depuis sa création, le DERBI a labellisé 132 projets, dont 2 mentionnés ci-dessus : PEGASE et CENSOL-PV. La Conférence DERBI accueille tous les ans à Perpignan des représentants d’organismes nationaux et étrangers qui travaillent sur le secteur. Les principaux enjeux et les innovations sont mis en commun pendant 3 jours d’exposition, d’ateliers de discussion et d’échange d’expériences.

Début 2008, la communauté d’agglomération Perpignan-Méditerranée et la ville de Perpignan ont souscrit avec l’état français une convention pour que Perpignan devienne une ville à énergie positive à l’horizon 2015 ; cela signifie que la production locale d’énergie sera supérieure aux besoins des consommateurs résidentiels. Aujourd’hui, la consommation résidentielle de la ville est estimée en 436 GWh par an. Suite à la construction d’un parc de centrales éoliennes et solaires, ainsi qu’à la mise en place d’un nombre important de toitures solaires et d’un réseau de récupération de la chaleur, la ville pourrait produire 440 GWh par an ; ces actions seront complétées par un plan d’efficacité énergétique qui diminuera la consommation de 10 %. Les installations seront placées à Calce (un parc éolien et un réseau de chaleur), à Torreille, à Pézilla la Rivière, à Saint Laurent de la Salanque (trois fermes photovoltaïques), au marché Saint Charles et à Perpignan même (des toitures solaires).

La région est consciente de la décentralisation des sources de production, de l’intermittence associée à certaines d’entre elles (notamment l’éolienne et la photovoltaïque) et de la subséquente nécessité d’adapter le réseau de transport de l’énergie : le réseau doit devenir intelligent. Les réseaux électriques intelligents sont sujets de recherche aux niveaux régional et international ; le laboratoire ELIAUS (Électronique, Informatique, Automatisation et Systèmes) de l’Université de Perpignan travaille dans le développement d’une « centrale électrique virtuelle », outil informatique pour la gestion des réseaux électriques intégrant les énergies renouvelables. Des développements similaires ont été effectués en Allemagne avec un succès relatif. La « centrale électrique virtuelle » doit pouvoir recevoir en temps réel - par internet, radio, téléphone, etc. - des informations provenant du service météorologique, des centres de production, de l’administrateur du réseau de transport, des opérateurs du marché énergétique et d’autres participants, concernant les conditions atmosphériques, l’état du ciel, la vitesse du vent, la disponibilité des unités de production, le niveau d’utilisation des lignes de transmission et de distribution, la demande instantanée en électricité et tout autre paramètre influent, afin de résoudre le problème de la répartition de l’énergie à chaque moment de la journée. Au niveau actuel d’avancement des technologies de l’information un outil avec ces caractéristiques pourrait être conçu (ou développé). La thèse soutenue en septembre 2010 par Van Giang Tran, doctorant au Laboratoire ELIAUS, encadré par les professeurs Monique Polit et Stéphane Grieu, présente les équations et les modèles mathématiques qui devraient s’implanter comme logiciel afin d’atteindre l’objectif recherché. La recherche s’appuie sur des modèles de prédiction à court terme d’une série de variables, construits à partir de données historiques collectées pour la ville de Perpignan.

La question se pose sur les besoins en approvisionnement d’énergie des machines qui accompliraient la tâche, et dans quelle mesure ces besoins, à force de devenir tellement exigeants, peuvent rendre impossible la solution. Ce paradoxe a été mis en relief par Monique Polit, directeur du Laboratoire ELIAUS, qui a abordé le sujet à l’occasion de la conférence DERBI 2009. Pour elle, signaler cette contrainte est à la base de tout projet de développement des énergies renouvelables qui prétend utiliser des technologies de l’information. Installations de monitorage, routeurs, serveurs d’applications et d’autres appareils allumés jour et nuit, selon M. Polit, peuvent épuiser ce qui a été gagné par l’efficacité énergétique et, après avoir mis en place toute une série de nouvelles pratiques et de changements au niveau de l’énergie, on risque de revenir au point de départ.

Le sujet de la « centrale électrique virtuelle » devient plus complexe lorsqu’on considère la dimension humaine du phénomène d’approvisionnement énergétique. Pour Stéphane Grieu, chercheur au Laboratoire ELIAUS, l’outil de gestion des nouveaux réseaux énergétiques de l’avenir doit tenir compte non seulement des contraintes techniques, telles que le rendement du capteur ou l’efficacité des unités de stockage, et climatiques, telles que les niveaux d’irradiation solaire directe ou la vitesse moyenne du vent ; mais aussi des contraintes démographiques, politiques, économiques, culturelles et comportementales. Pour lui, la « centrale électrique virtuelle » doit être un outil évolutif, dans le sens de modeler des scénarios changeants de production et de consommation énergétique ; et, au futur, être utilisée aussi bien pour la gestion des systèmes énergétiques, que pour le dimensionnement des nouveaux systèmes énergétiques susceptibles d’être implantés dans un territoire, en tenant compte de ses caractéristiques géophysiques, ses taux de croissance économique, démographique, le tempérament de ses gens, etc.

Ce défi est toujours d’actualité à Perpignan.

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