Vieilles pierres et rénovation, nos immeubles peuvent–ils muer ?
Yann Françoise, 2013
Cette fiche aborde la question de l’après-pétrole à l’aune de la réhabilitation et de la transition énergétique du bâti.
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Le cœur historique des villes européennes a été l’objet de multiples transformations ces dernières décennies, en ce qui concerne principalement les circulations, l’aménagement de zones piétonnes, la progression des modes doux de déplacement. La réhabilitation des quartiers anciens a valorisé la dimension patrimoniale de leur paysage historique : on a restauré avec soin le bâti de nos immeubles anciens, les traces du patrimoine culturel et les monuments historiques. Et si tout cela changeait dans les trente prochaines années ? La transition énergétique ne va–t–elle pas accélérer de nécessaires évolutions ? D’autant que d’autres priorités viendront sans doute justifier ces mises en chantier.
Comment conjuguer ville patrimoniale et ville moderne ?
Les villes européennes sont confrontées à des défis permanents : elles doivent assurer l’attractivité économique et sociale de leur territoire et améliorer en permanence la qualité de vie de leurs habitants tout en préservant l’équilibre de leurs ressources financières. En dépit de cet idéal que l’on affiche, des crises financières, environnementales et énergétiques affectent actuellement ces villes. Une telle situation pourra entraîner une redoutable explosion sociale, ou bien constituer une formidable opportunité pour construire l’avenir. Les solutions ne pourront pas être uniques ni ne répondre qu’à une seule dimension de ces crises ou de ces défis, alors que nous sommes souvent tentés d’imaginer des situations binaires comme vieilles pierres et/ou isolation par l’extérieur, ou d’en rester à des clichés comme la rénovation énergétique des bâtiments anciens massacrera le cœur de nos cités. Il faudra lever de telles oppositions. Du fait de leur densité d’activités et de populations, les villes sont fortement consommatrices d’énergie et constituent la source principale de pollution atmosphérique par les voitures. L’importante émission de gaz à effet de serre qui en procède (pollution globale, écosystème en danger), les problèmes qui en résultent en matière de qualité de l’air, de santé, de pollution locale ne pourront à terme que grever les budgets de la collectivité, ses commerces et chaque citoyen (crise sociale).C’est pourquoi la réduction des consommations énergétiques de leur territoire est un des enjeux prioritaires pour les villes actuelles car il s’agit de trouver des solutions pour des problèmes d’environnement ou de préservation de la santé publique, mais aussi d’éviter une crise sociale à court terme. Les prix de l’énergie sont contenus volontairement par les gouvernements, en particulier celui de l’électricité en France. Depuis des décennies, ces gouvernements reculent devant le nécessaire ajustement de ce prix. D’ici 2015, le coût de l’énergie aura augmenté de 30 % et de 50 % d’ici 2020. Si aucune politique soutenue de sobriété énergétique n’est menée conjointement, un grand nombre de foyers français viendront rejoindre les populations condamnées à la précarité énergétique, soit les quelque 4,4 millions de Français qui consacrent plus de 10 % de leurs revenus en dépenses de ce type.De nombreuses grandes villes européennes l’ont compris et s’inscrivent parmi les leaders mondiaux de la lutte contre le changement climatique, bien au–delà de ce que les Etats sont capables de promettre actuellement.
Penser un immeuble avec son écosystème
42 % de la consommation énergétique de la France sont affectés aux besoins de nos bâtiments (logements, bureaux, commerces…) : plus de 30 milliards d’euros partent en fumée chaque année pour chauffer et éclairer nos immeubles. Un défi de plus en plus pressant est d’arriver à réduire de manière importante la consommation énergétique des bâtiments anciens dans les villes. De fait, s’il est aisé de construire des quartiers neufs faiblement consommateurs en énergie, appelés écoquartiers en France, réhabiliter de manière ambitieuse des immeubles habités se révèle plus délicat, en particulier s’ils possèdent un caractère patrimonial ou se trouvent placés à proximité d’un bâtiment historique, auquel cas leur rénovation devient une véritable gageure. Avant de mener à bien des grands travaux structurels, on doit prendre le temps d’analyser le comportement d’un immeuble et de ses habitants face à l’énergie. Selon son mode de construction, chaque immeuble aura tel ou tel niveau de performance énergétique : comme pour les machines à laver, en France, on doit publier l’étiquette énergétique de chaque appartement, lors des mutations, qui va de la classe A (très performant) à G (épave thermique). Mais dans la réalité, on peut habiter un appartement de classe A et présenter une consommation énergétique annuelle de classe D. Inversement, une passoire thermique (classe G) peut engendrer de telles factures que leurs occupants ne se chauffent plus, ils ne consomment plus d’énergie mais la précarité leur fait courir des risques sanitaires importants. Il est donc nécessaire de considérer la rénovation dans son ensemble, habitants et comportements compris, et d’analyser les équipements dont chacun dispose. En France, la consommation d’électricité spécifique (éclairage, informatique, audiovisuel, électroménager…), à CSP (Catégorie socio–professionnelle) équivalente, est d’environ 27 % supérieure à celle d’un Allemand. Nous devons nous interroger sur nos usages, nos choix d’équipements. A terme, nous serons prochainement obligés aussi de nous interroger sur l’usage de l’électricité dans la journée, quand la production d’électricité solaire est disponible. Une fois notre comportement devenu vertueux, quelles sont donc les marges de manœuvre pour améliorer l’efficacité énergétique de chaque appartement et de chaque immeuble ? On s’attaque alors au dur, à l’enveloppe du bâtiment et à ses équipements thermiques et de ventilation1.
Dépasser la notion culturelle de préservation du patrimoine
Pourquoi est–il si délicat d’envisager les rénovations thermiques dans le cœur des villes historiques ? En France, où l’on dispose depuis longtemps de la pierre de construction pour édifier les bâtiments, on tend à penser qu’un immeuble est immuable. L’immobilier semble une valeur sûre, synonyme de durabilité ad vitam aeternam. Cette notion est moins claire dans des pays où les maisons sont construites en structures légères comme le bois. A l’origine, un immeuble est construit pour une certaine fonction : logements, bureaux, commerces… Au fil des décennies, il change parfois d’attribution : de bureau, il devient logement ou inversement. Sa disposition intérieure change, ses façades demeurent généralement, mais est–il toujours viable ? Est–il encore apte à assurer sa fonction sans mettre en péril la qualité de vie de ses habitants ? Cette question légitime est rarement posée lors de réaménagements, sauf en cas de déclaration d’insalubrité. Mais pourquoi maintenir des populations dans des passoires thermiques dont la consommation moyenne est 7 à 10 fois supérieure à la réglementation actuelle des 50 kWh/m²/an ? Quelle ancienneté peut le justifier ? Revenons à la définition latine et grecque du mot architecture : art de construire les maisons et art de clore et de couvrir des lieux. Dans les deux cas apparaît la notion de protection des habitants face à l’extérieur, et de qualité inventive dans les solutions pratiques (art). Il est nécessaire de retrouver ces principes fondamentaux et de ne pas limiter la définition d’un bâtiment à la seule vue de sa façade. Un immeuble est un lieu pour des vies ou des activités qu’il abrite et protège. L’architecture ne construit pas seulement des décors, témoins d’une époque qui devrait traverser le temps. Ce serait mépriser cet art de l’agencement des lieux de l’humanité. La rénovation lourde de bâtiments anciens fait souvent envisager l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) et aussi de l’isolation des toits. Eternels débats de l’isolation thermique par l’intérieur (ITI) face à l’ITE. Dans la majorité des cas, l’ITI serait à proscrire car elle peut engendrer de très lourdes pathologies du bâtiment dont elle empêche la respiration, être inefficace en période caniculaire parce qu’elle retient la chaleur à l’intérieur de l’appartement, et amputer parfois la valeur foncière de l’appartement dont elle a réduit la superficie. L’ITE n’est pas adaptable à tous les bâtiments, en particulier ceux qui comportent des décorations importantes, mais tous les bâtiments n’en ont pas nécessairement besoin. Un immeuble en pierre de taille peut avoir une très bonne isolation naturelle. A chaque cas, il ne faut rien s’interdire, ni s’autocensurer parce que le projet risque d’être refusé. Maires de ville, il faut que vous osiez autoriser, dans vos plans locaux d’urbanisme, le dépassement des gabarits en vertical et en horizontal pour permette des isolations importantes des parois (plus de 25cm) et des toits (50cm). Les nombreuses victimes de la canicule 2003 vivaient souvent sous des toits de zinc non isolés. Avec la réglementation actuelle, un propriétaire qui isolerait correctement un toit verrait son appartement transformé en comble (<1,80 mètres de plafond) : il faut donc l’autoriser à sortir du gabarit. L’ITE peut être une opportunité pour redonner une homogénéité aux façades d’un ensemble d’immeubles quand, au fil du temps, certaines libertés ont été prises, en particulier dans les faubourgs de certaines villes, engendrant ainsi un paysage urbain de meilleure qualité. Par ailleurs, les solutions que nous apportons aujourd’hui doivent pouvoir être réversibles et modifiables d’ici trente ans. C’est un défi de recherche et développement. La durée de vie d’un matériau d’isolation est entre 20 et 40 ans. Connaissez–vous des immeubles de la fin des années 1970 qui, lors de leur ravalement, ont arraché leur éventuelle isolation par l’extérieur (polystyrène, laine de roche) ou refait tout leur aménagement intérieur pour changer d’isolant ? Il n’en existe quasiment aucun. Ne faisons pas les mêmes erreurs et créons des solutions mutables d’ici 30 ans. Ainsi, nos successeurs pourront les enlever aisément et les adapter au climat de 2050. A cette époque, il sera peut–être nécessaire de trouver plus de solutions de rafraîchissement que de protection au froid. Dès aujourd’hui, imaginons nos immeubles en perpétuelle mutation, capables d’une évolution selon les nécessités de chaque époque tout en préservant le charme des cités. Il s’agit d’un grand défi, créateur d’emplois locaux dans le secteur du bâtiment, qui peut redonner ses lettres de noblesse à l’architecture.
1 Retrouvez des exemples d’efficacité énergétique dans le bâtiment dans le numéro 8 de la Collection Passerelle, L’efficacité énergétique, à travers le monde, sur le chemin de la transition. Vous pouvez le télécharger gratuitement en ligne