Ville et vélo, dans une société de l’après-pétrole
Eric CHTOURBINE, 2013
Cette fiche aborde la question de l’après-pétrole sous l’angle de la mobilité et les apports de la bicyclette à venir mais aussi ceux passés.
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Après avoir recensés les atouts décisifs de la bicyclette (chapitre 1), j’insiste sur ceux qui le rendent selon moi incontournables dans une société de l’énergie « rare et chère » (chapitre 2). Dans un second temps, partant de la considération que les mobilités et les formes urbaines et paysagères se nourrissent mutuellement, j’esquisse, sur la base des orientations prises par certaines collectivités, quelques déterminants d’une ville cyclable de l’après-pétrole. Ville de la « courte-distance » favorable aux modes de proximité (chapitre 3) et néanmoins reliée par des modes de transport massifiés pour les plus longues distances (chapitre 4), ville apaisée et à vivre enfin (chapitre 5).
Chapitre 1 : « le vélo, des atouts décisifs »
Le vélo est un mode dont, bizarrement, la pertinence a longtemps été déniée. Signe des temps, alors que le modèle tout automobile s’essouffle, on en redécouvre les vertus.
Un vélo pour un déplacement rapide garanti
Valeur cardinale de notre société du flux-tendu, il sera bien temps dans la suite de l’exposé de se demander si cela constitue toujours une priorité dans la société de l’après-pétrole. La vitesse moyenne des voitures en ville se situe entre 16 et 18 km/h (et même 15,2 km/h sur Paris intra–muros)1. A cela se rajoute un temps de recherche de place de stationnement à destination, variable mais jamais inférieur à 10 minutes. Le vélo revendique quant à lui un temps de parcours moyen constaté de 14 km/h (en respectant le code de la route). Ainsi en définitive, vélo et voiture évoluent sensiblement à la même vitesse, avec un léger avantage au vélo sur les distances courtes (<5–6 km). Mais au–delà de ces calculs d’apothicaire, la principale qualité du vélo est sans doute la fiabilité de ce mode qui permet une précieuse « garantie ponctualité », se jouant des congestions routières. Rien de surprenant, donc, que tant de livreurs aient basculé vers ce mode ces dernières années.
Des vélos, des usages
Il est souvent avancé que le vélo n’est pas aussi polyvalent que l’automobile. Cela est de moins en moins vrai. Nous assistons désormais à une explosion des propositions qui permettent enfin de dire qu’à chaque usage ou presque, il existe une réponse-vélo. Des vélos-cargos qui permettent le transport de charges et accessoirement de sa progéniture, aux vélos à assistance électrique qui permettent de se jouer des reliefs et des distances, en passant par les vélos adaptés aux personnes ayant des troubles de l’équilibre, la liste s’étoffe tous les jours.
Vélo et plaisir
Le vélo en ville est une expérience de la liberté. Liberté des contraintes horaires, liberté des trajectoires dans un contexte où les villes s’ouvrent de plus en plus aux vélos (autorisation de la circulation dans les zones piétonnes, montée en puissance des double-sens cyclables, cédez-le-passage aux feux cyclistes, …). Le vélo, c’est la grande conquête d’autonomie de l’enfant, aussi importante sans doute que l’apprentissage de la position debout. Le vélo, cela a été aussi le grand vecteur de l’émancipation de la femme (sujet encore au combien d’actualité) qui faisait dire à la grande suffragette féministe Susan B. Anthony que « la bicyclette a fait plus pour l’émancipation de la femme que n’importe quelle autre chose ».
Chapitre 2 : « Le vélo, un mode incontournable dans un contexte d’énergie rare et chère»
L’accaparement pendant deux générations de gigantesques réserves d’énergie fossile constituées au prix de millions d’années a permis le déploiement d’une société virtuellement affranchie des contraintes énergétiques. Alors que cette page se tourne, l’homme redécouvre le conditionnement énergétique qui s’impose à toute forme de vie sur terre. Dans ce contexte, le vélo a des atouts à faire valoir.
Vélo, un usage énergétique optimal
En 1973, déjà, alors que le choc pétrolier bousculait les certitudes d’une énergie éternellement de bon marché, Ivan Illich dans « Energie et équité » nous aidait à penser la révolution copernicienne qu’avait constituée selon lui l’invention de la bicyclette. « Pour transporter chaque gramme de son corps sur un kilomètre en dix minutes, l’être humain dépense 0,75 calorie. A bicyclette, l’homme va de trois à quatre fois plus vite qu’à pied, tout en dépensant cinq fois moins d’énergie. En terrain plat, il lui suffit alors de dépenser 0,15 calorie pour transporter un gramme de son corps sur un kilomètre. Ainsi outillé, l’homme dépasse le rendement de toutes les machines et celui de tous les animaux. ». Difficile d’imaginer que l’humanité puisse longtemps se passer de l’outil thermodynamique le plus performant qu’il lui ait été donné d’inventer !
Vélo, un mode bon marché
Le vélo n’est pas seulement efficace, il ne coûte pas cher. Vélocité, en 2008, fixait les idées en estimant un budget annuel raisonnable automobile à 5 360 euros/an contre 870 euros pour un vélo l’année d’acquisition, 6 fois moins donc, et de 135 euros les années suivantes, près de 40 fois moins ! Assurément, le vélo saura s’imposer dans un contexte de contraintes économique, rappelons que d’ores et déjà les déplacements constituent le deuxième poste de dépense des ménages2.
Vélo, le mode des crises
Une autre qualité fondamentale du vélo est son extrême simplicité, véritable appendice du corps humain, qui le rend si peu dépendant de toute logistique et infrastructure. Dans un monde, que l’on nous prédit, « chahuté » (compétition pour les ressources, catastrophes climatiques), le vélo saura répondre présent même quand tout le reste aura été désorganisé. Pensons à ces images récentes du Japon endeuillé par le raz–de–marée, le vélo continue d’être présent accompagnant les survivants.
Chapitre 3 : « ville à velo : ville des courtes–distances…»
Les mobilités et les formes urbaines et paysagères se nourrissent mutuellement. L’automobile aura été le support historique qui rendait possible l’étalement des villes en « tache d’huile » et l’hyperspécialisation des territoires, porté par l’idéal de la maison pavillonnaire pour tous, la recherche d’un foncier moins contraint et plus abordable, les avantages de la ville à la campagne. Cette approche, fondée sur le postulat d’une énergie à coût négligeable s’est fracassée sur les réalités physiques. A contrario, la ville du vélo, et a fortiori de la marche à pied, modes « actifs » par excellence, assume pleinement le coût énergétique des déplacements. La densité d’interactions, fondement de l’urbanité, y est préservée par la réduction des distances du quotidien que permet le rapprochement des fonctions (logements, activités, commerces, coulées vertes …), dans une recherche de densité et de mixité. Des outils comme Walkscore.com et Walkshed.org3 se proposent de mesurer et cartographier la « marchabilité » des villes en recensant les commerces et services de votre quartier. La mutation des tissus urbains s’opère par une densification sélective autour de centralités fédératrices, d’autres tissus moins stratégiques ou affirmés étant progressivement abandonnés ou reconvertis pour des usages moins intensifs, fonctions agricoles ou réserves de biodiversité. Ainsi s’affirme une structure urbaine non plus uniforme, ni radiale, mais « polycentrique ».
Chapitre 4 : « ville à velo : … ville connectée »
La ville des courtes distances ne fait cependant pas l’économie de solutions de mobilité à des échelles supérieures. La mise en réseau est assurée par des transports collectifs performants, capacitaires et peu énergivores comme le train, le métro, le tramway, les bus à haut niveau de service. L’usage combiné du vélo et des transports collectifs s’impose par son efficacité. Parallèlement, le vélo est utilisé sur des distances toujours croissantes : de 10 à 15 km en se jouant des contraintes.
Le vélo se combine aux transports collectifs
Des parkings vélos sécurisés capacitaires favorisent l’intermodalité en gares. Les technologies initialement imaginées pour l’automobile y sont déployées : aide à la recherche de places libre, pré-réservation à distance, etc. Des vélostations, véritables centrales de mobilité anticipent les besoins des usagers (réparation de vélo « matin–déposé–soir-réparé », café, pressing …).En gare centrale d’Amsterdam, près de 40 % des voyageurs commencent ou finissent leur trajet à vélo. Près de 10 000 places de stationnement vélos sont mis à disposition. Le taux d’occupation y est de 136 % ! Le vélo, lorsqu’il est pliant, est aussi largement embarqué avec soi dans les transports collectifs, car il permet de s’affranchir d’une offre de stationnement toujours insuffisante. Cette pratique s’est développée au rythme que la gamme a su offrir un confort accru pour un poids toujours moindre. Les transporteurs évaluent très bien l’enjeu que représente le vélo pliant. Les abonnés du réseau TEC (réseau de car interurbain en Wallonie) peuvent ainsi bénéficier d’un vélo pliant sur mesure. En France, plusieurs régions proposent aux abonnés TER des aides financières pour l’acquisition de vélos pliants. Ailleurs, ce sont les transports collectifs qui s’adaptent pour pouvoir accueillir sous conditions quelques vélos : accessibilité dans les tramways hors horaires d’affluence, mise en œuvre de remorques vélos à certains cars. Au Canada, des racks permettent d’arrimer des vélos au front des bus de plusieurs provinces.
Le rayon d’action du vélo s’accroit
La population désormais rôdée par une pratique quotidienne du vélo, avale bien plus facilement les kilomètres, s’aventure sur des trajets toujours longs. Aux Pays–Bas, 15 % des déplacements entre 7,5 et 15 km sont effectués à vélo (chiffres 2009). L’évolution technologique contribue aussi à ce résultat :
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le Vélo à Assistance Electrique V.A.E., permettant d’évoluer sans effort à 25 km/h, permet d’envisager sereinement des trajets de 10 à 15 km, en restant fondamentalement durable (1 V.A.E. consomme 1 kWh/100 km, soit 50 fois moins qu’une voiture performante4). Le VAE dispose d’un potentiel de développement très important : une étude du canton de Genève a estimé que 10 % de la population pourrait être des utilisateurs de VAE à horizon 2030. Aux Pays–Bas, prêt de 180 000 VAE se sont vendus en 2011 (population : 16 millions d’habitants).
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le « vélo couché », appelé aussi vélo horizontal, dont la pénétration dans l’air est optimisée, peu commode en territoire urbain du fait de sa position surbaissée et de sa moindre visibilité, trouve pleinement à s’exprimer dans ses trajets plus longs dans des territoires moins denses. Pour mémoire le vélo couché a été inventé par le constructeur français Charles Mochet. En 1933, alors que le record de l’heure venait d’être pulvérisé, l’Union Cycliste Internationale (UCI) déclara que ce type de vélo n’était pas acceptable pour les courses. Ce vélo fut alors interdit dans les compétitions de l’UCI, gelant l’histoire. En 2012, Francesco Russo établit un nouveau record du monde de l’heure en vélo couché : 91, 556 km dans l’heure ! Pour que tous ces nouveaux outils parviennent à s’exprimer, les réseaux cyclables s’adaptent, des radiales cyclables à haut niveau de service s’adressent désormais également aux déplacements pendulaires de longue distance en leur offrant confort et vitesse garantie jusqu’au centre urbain. Les voies ont 4 ou 5m de largeur, l’éclairage dynamique à détection est généralisé, les intersections sont limitées au maximum par la réalisation de tunnels, de passerelles ou de carrefours régulés par des « ondes vertes vélos » assurant le « feu vert » au cycliste évoluant à une vitesse de 25 km/h. Les services hivernaux assurent un déneigement prioritaire et la qualité du revêtement est supervisée périodiquement par des véhicules dotés d’enregistreurs-laser. Des parkings-relais, très en amont des villes, permettent aux pendulaires d’anticiper les congestions et de finir leurs trajets à vélo sur ces infrastructures. Ces réalisations très coûteuses sont financées par l’Etat au titre de sa politique de santé publique, démonstration ayant été faite que les économies en termes de dépense de santé du fait d’une activité physique accrue de la population, amortissent largement les investissements consentis. Ce n’est pas de la science–fiction, toutes ces évolutions existent déjà ! Dans des villes comme Copenhague, Londres et un peut partout en Hollande émergent ainsi des « autoroutes à vélo », « bicycle highways » ou « fiestnelwegen » proposant des niveaux de service très supérieurs et visant explicitement à séduire les « pendulaires lointains ».Des expérimentations encore plus poussées ont été lancées autour de Tubes Grandes Vitesses (appelés aussi vélotrains) mettant en ligne entre 5 et 10 « cyclistes ». Le TGV/vélotrain est au vélo ce que le plus rapide des bateaux à rames (le huit) est… à la barque : à 4 on roule 1,3 fois plus vite qu’à 1 (65 km/h), à 10 1,6 fois plus (80 km/h), et ce pour un effort correspondant à 30 km/h sur route lisse et plate avec un vélo. Ainsi, le « TGV » met 1h20 environ (en comptant les arrêts) entre deux villes distantes de 100 km, par la seule énergie musculaire. La forme de tube, très aérodynamique et le rail sont si rentables que ce système, avec une puissance rapportée à son poids de 1 à 2 watts/kg peut atteindre 100 km/h. Un système de tampon d’énergie assure, dans certains modèles en zone vallonnées, le franchissement des pentes et le non gaspillage en descente. Mécaniquement, le TGV demande, en énergie, par personne 1 à 1,5 w.h/km contre 4 w.h/km pour un vélo non caréné, 15 w.h/km pour un marcheur, 45 w.h/kmpour le « TGV » (Train Grande vitesse) qui au 21ème siècle roulait à 300 km/h de moyenne. Les TGV sont aménagés sur d’anciennes voies nationales reconverties. Des gares spécifiques sont distribués en moyenne tous les 5 km. Si l’expérience s’avère concluante, des abonnements pour ce nouveau type de transport collectif seront proposés5.
Chapitre 5 : « ville à velo : … ville apaisée, ville à vivre »
L’exception est devenue la règle, la vitesse maximale autorisée est généralisée à 30 km/h, ou moins, sur l’essentiel des rues. Cette mesure, s’est avérée décisive, pour réorienter les pratiques anciennes de mobilité. Réduisant le différentiel de vitesse entre les véhicules, la collectivité a ainsi clairement signifié que le vélo était un mode désirable, qui avait vocation à fixer désormais le « tempo » de la circulation. Progressivement, la population s’est autorisée à ressortir les vélos des garages, les timides incursions dans le quartier se sont rapidement transformées en expériences plus hardies. Hors des territoires urbanisés, aussi, les vitesses maximales autorisées ont également été réduites à 70 km/h pour limiter l’étalement urbain ainsi que pour sécuriser les déplacements cyclables entre communes proches à moindre coût, sur une forte demande des riverains désireux de reproduire à la campagne leurs expériences enthousiastes du vélo dans les grandes villes. La réduction des vitesses, la diminution/canalisation du trafic motorisé et de l’accidentologie grands corollaires, rendent désormais obsolètes les aménagements cyclables sur la plupart des axes urbains, les cyclistes évoluant désormais sur la chaussée en toute sécurité. Dans les configurations les plus favorables, l’affirmation de « priorités cyclables » encouragent même les vélos à évoluer au centre de la chaussée, le dépassement automobile étant interdit ! Les rues à priorité cyclables fietstrass/fahrradstrasse sont des dispositifs du code de la rue hollandais et allemands qui affirment l’interdiction aux automobilistes de dépasser les vélos. Des contraintes techniques en précisent les conditions de mise en œuvre. Elles s’avèrent très précieuses pour assurer la continuité des grands itinéraires cyclables dans les tissus urbanisés, où les contraintes foncières ne permettent pas toujours sereinement la réalisation d’aménagements cyclables dédiés. D’une façon plus générale, l’apaisement des vitesses a aussi été un révélateur qui a permis de redécouvrir que la rue ne pouvait se résumer à sa fonction « circulatoire », mais qu’elle était aussi le lieu de l’accumulation, du faire, de l’échange, bref le lieu où s’opérait l’alchimie urbaine. Le flâneur devant y trouver un plaisir à se promener, les enfants à s’improviser des jeux, les nombreuses assises improvisées, terrasses, vitrines et spectacles à inviter à la détente. Bref, une ville à vivre.
1 Source Ville de Paris, bilan des déplacements 2010.
2 A savoir 17% selon l’INSEE en 2007.
3 www.walkscore.com et www.walkshed.org
4 Source : Umweltnutzen von E–Scooter, EMPA, Wiedmer & Gauch, [2008].