Quel paysage pour notre terre en 2050 ?
Philippe POINTEREAU, 2013
Cette fiche est une analyse prospective des paysages de demain, envisagés comme versant matériel du développement soutenable qui sera effectif sur les territoires. Elle prend pour exemple le scénario Afterre et les premiers résultats de ce programme.
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La fin des paysages ruraux ?
L’intensification de l’agriculture entamée dans les années 1960 est toujours à l’œuvre en France. Menée sous le signe d’une puissance mécanique sans limite, mais aussi des intrants (engrais et irrigation) et du drainage, elle a réussi à neutraliser la plupart des contraintes de sol, de pente et de fertilité. Effaçant la trace ancienne des bocages, les arbres isolés, les prés–vergers, les prairies naturelles, les terrasses et leurs murets, les marais et les mares, elle a simplifié les paysages. Les paysages ruraux encore épargnés aujourd’hui doivent souvent leur survie aux conditions pédoclimatiques qui rendent difficiles une telle évolution – ainsi les causses avec leurs sols superficiels ou les plaines alluviales avec les risques d’inondation. Certains de ces paysages sont menacés par un risque de déprise, d’autres ont réussi au contraire à tirer partie de leurs contraintes pour mettre en place des filières de qualité qui savent se raconter et faire image : les appellations d’origine contrôlées comme le vin de Collioure associé aux terrasses, le fromage Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) du Pays d’Auge et ses prés sur terres argileuses, les moutons de Barèges–Gavarnie avec ses prairies de fauche de montagne et ses estives. Heureusement pour nos paysages de moyenne et haute montagne, les prairies naturelles extensives persistent sur de vastes étendues parce qu’elles sont gérées par les herbivores. Ces territoires continuent de donner du sens au mot terroir, légitimant l’image que veut donner la France à l’étranger. Il est clair aujourd’hui que les contraintes qui ont freiné l’intensification sont devenues l’atout de demain pour ces territoires, dont les productions de qualité et d’origine sont de plus en plus appréciées par les consommateurs. Le processus de l’intensification se poursuit néanmoins partout. Il a réparti les fonctions en spécialisant toujours plus les fermes et les territoires : abandonnant la polyculture-élevage, de nombreuses régions ont perdu leurs ruminants tandis que, encore accélérée par la flambée du prix des céréales, une dominante toujours plus exclusive identifiait les régions céréalières. La taille des parcelles s’est accrue et les assolements se sont simplifiés avec la disparition de l’avoine, du seigle ou de la luzerne au profit d’une hégémonie du blé, du maïs, de l’orge et du colza. Dans la vallée de l’Adour, les Landes ou la plaine alsacienne, le maïs est devenu l’unique culture, seulement freinée en Poitou–Charentes par l’accès à l’eau. Les nouvelles cultures, lin, chanvre, protéagineux peinent à se développer. Cette agriculture qui pousse l’intensification à l’extrême et sait déjouer tous les interdits, comme l’obligation d’une rotation des cultures ou la qualité de l’eau, donne naissance à un paysage monotone de bassines et de pivots1. La monoculture du maïs engendre aussi un élevage hors sol de grande ampleur, enfermant les monogastriques dans des bâtiments et concentrant les risques de maladies comme la pollution. Les effets de la simplification se répandent à l’échelle mondiale. L’élevage hors sol nourrit les animaux avec un soja cultivé aujourd’hui en monoculture sur de vastes territoires, aux USA, au Brésil et en Argentine, à grand renfort d’OGM et d’herbicides en une sorte de sainte alliance entre deux continents et deux plantes pour l’élevage industriel des animaux. Où sont les néo-paysages de qualité de cette agriculture qui se vante de tous les superlatifs : dans les paysages virtuels des spots à la télé et sur les emballages alimentaires ? Les quelques milliers de kilomètres de haies nouvellement plantés çà et là compensent mal l’arrachage persistant des haies et les bosquets. Chez les intensifs, l’obsession d’exploiter toutes les surfaces les porte à protester quand on leur propose de vouer 5 % de cette surface agricole aux infrastructures agro-écologiques (IAE)2. « 4 % risquent d’affamer le monde », prétendent–ils, oubliant les services écosystémiques comme la pollinisation ou la lutte biologique auxquels chacun doit ses récoltes. Le visage présenté au salon de l’agriculture est celui des terroirs, des animaux et des produits, tandis que les tracteurs surpuissants sont exposés à Villepinte. On utilise une évocation de la nature comme une image de marque, tandis que le système fonctionne en tournant le dos aux solidarités du milieu vivant. Le processus est toujours en marche. Chaque année, les tracteurs gagnent en puissance et les outils en largeur. Des dérogations sont demandées pour généraliser les traitements aériens de pesticides. Grâce aux puces électroniques, les robots de traite et de distribution d’aliments sont entrés dans les étables toujours plus grandes. Le zéro-pâturage s’amplifie pour les chèvres et les vaches laitières. En quelques décennies, la plus grande part de l’agriculture s’est spécialisée et concentrée, une partie de l’élevage s’est enfermée, engendrant autant de produits et d’usages alimentaires standardisés. La transformation des paysages tient de fait à l’évolution des habitudes alimentaires. Depuis 1950, la vigne a perdu 750 000 hectares du fait de la baisse de la consommation de vin. L’abandon de l’autoconsommation des fruits et de leur alcool a fait disparaître toutes les petites parcelles de vergers, autour des villages, dont l’impact paysager était fort. Associant herbe et fruits, les prés-vergers ont été remplacés par des vergers basse-tige aujourd’hui bien repérables par leur coupe réglée et leurs filets anti-grêle ou anti-insecte. L’âge d’une agriculture diversifiée et locale, avec ses paysages en mosaïque qui produisaient le lait, la viande bovine, de porc, les œufs, les légumes et les fruits dans presque tous les territoires, semble bien révolu. De fait, notre alimentation s’est simplifiée pendant cette même période. Le mot « bouffe » a remplacé celui de nourriture. Dans nos régimes alimentaires, la part de la viande et des produits laitiers est devenue dominante. Les fast food nous font gagner du temps. Avec les plats préparés, plus besoin de se mettre à la cuisine. L’intensification agricole et le changement des pratiques alimentaires sont un seul et même processus, que l’agriculture intensive, les industries agroalimentaires et la grande distribution ont su vendre à grand renfort de marketing et de fausses images sur les emballages. A tous les repas ou presque, de la viande et des produits laitiers, en particulier dans les cantines de nos écoles. Sur les emballages des plaquettes de beurre ou sur les packs de lait, aucune vache ne mange de l’ensilage de maïs et des tourteaux de soja OGM : les vaches pâturent près d’un pommier. Les marques ont capté et usurpé l’image des territoires. Il est temps de mettre fin à ces pratiques mensongères en protégeant juridiquement les terroirs d’exception par une AOC ou une IGP (Indication Géographique Protégée) et en restituant une meilleure transparence sur les processus de fabrication. La simplification, voire la destruction des paysages résulte du processus lui–même. Une bonne part des légumes et des fruits consommés en Europe et présents toute l’année sur nos étals, est importée de régions où, comme à Murcia ou en Andalousie, s’est généralisée la culture hors–sol sous serre. Le plus souvent, la non-qualité des paysages accompagne une dégradation des ressources naturelles, en particulier l’épuisement et la pollution des nappes phréatiques. Malgré tous les annonces et les règlements, aucune limite environnementale et sociale n’est venue s’imposer tandis que, devenue le maître mot, la traçabilité des marchandises alimentaires révélait autant de parcours sillonnant le monde dans une indifférence parfaite à la nature des produits comme au coût de leur transport. Quel temps sera nécessaire, quelles crises pour que le consommateur prenne conscience de son pouvoir et de l’impact sur les paysages, sur l’environnement et la vie des campagnes, de l’acte quotidien d’acheter et de manger ? Le bilan du système en place semble laisser peu de marge à la possibilité d’un changement vers une agriculture plus économe, plus diversifiée et plus locale, et créatrice de paysages typés. Mais il faut rêver pour construire le futur. En y regardant de plus près, on trouve des germes d’espoir pour ceux qui ne se satisfont pas d’une agriculture industrielle. Une autre agriculture, ou plutôt un autre système alimentaire, pourraient bientôt remplacer celui qui va avec l’intensification sans limite et basée sur les intrants et qui, sous couvert de nourrir le monde, le détruit en asséchant les rivières, en polluant les nappes, en détruisant les abeilles et en rasant la forêt tropicale. Cette agriculture qui se vante d’exporter grâce à ses hauts rendements omet d’inscrire dans son passif les produits qu’elle importe, le soja, les fruits, les légumes, le coton ou les produits tropicaux3. Le sentiment que ces échanges mondialisés ont un coût alimente de fait de nouvelles tendances, germes de changements futurs. En mettant en place des circuits courts, les consommateurs et les producteurs s’organisent en faisant naître de nouvelles solidarités. Même si la France est à la traîne en Europe, l’agriculture biologique gagne du terrain. Les filières AOC se renforcent et adaptent leur cahier des charges : le camembert au lait cru reste minoritaire (7 % de la production), mais il attend son heure. Celle où le consommateur, sachant se représenter la différence entre le paysage d’un camembert au lait cru de Normandie et celui d’un camembert au lait pasteurisé d’origine inconnue, préférera l’herbe au maïs ensilage, les normandes aux Holstein, le pâturage au hors sol et plus d’oméga 3 en exigeant « au lait cru sinon rien ». Clef de leur qualité, le site internet de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité4 (INAO) donne le détail du cahier des charges de la fabrication de tous les fromages AOC, livarot, comté, Beaufort ou Laguiole. Les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) ont vu le jour en 2001. Les marchés de producteurs sont à la mode : les français aiment encore cuisiner, rester à table et bien manger. Le modèle alimentaire français résiste. Il s’agit là d’une chance pour notre agriculture, que certains pays ont perdue. Le plaisir de déguster porte à s’intéresser à l’agriculture, à aller au devant des paysans qui savent tirer de chaque terroir des produits différenciés et de grande qualité. Slow food décrit cette tendance, et le plaisir de consommer les produits locaux et de saison.
La règle des 5 P
En 1992, le Ministère de l’écologie avait lancé une opération de « label paysage » qui avait soutenu 100 projets fondés sur le principe pays–paysan–paysage (3P). La plupart de ces territoires sont devenus des territoires AOC qui mettent désormais en relation le produit et les plats en montrant comment, de l’agriculture à la cuisine, un même art de vivre est la clef de la qualité d’un territoire comme de son identité. Pays–Paysan–Produit–Plat–Paysage : la règle des 5P remet de la cohérence et permet de prendre congé du paysage virtuel des médias. Elle met en valeur tous les savoirs paysans qui auront réussi un produit de qualité et tous les savoirs culinaires qui se sont accumulés et transmis de génération en génération. La production de viande de vache d’Aubrac ou de Salers a permis de conserver les grands pâturages d’altitude, cintrés de murs de pierres sèches, des monts du Cantal et de l’Aubrac. Même si la plus grande part de l’huile d’olive que nous consommons vient d’Espagne, le retour de l’huile a sauvé les oliveraies françaises. Boire le cidre fermier du pays d’Auge ou le poiré du Domfrontais conforte le paysage des prés–vergers de haute tige, sublimé lors de la floraison des arbres. Le kirsch de Fougerolles appelle les cerisiers, les AOC fromagères5conditionnent le maintien de l’herbe, du pâturage et souvent d’une race tout en limitant la production laitière par vache. Vous aimez le paysage des prés–vergers ? Buvez le cidre du pays d’Auge. Vous aimez les paysages herbagers de moyenne montagne ? Choisissez les fromages AOC dont le prix est, certes, plus élevé mais le goût plus intense. Choisissez une nourriture goûteuse et voyagez à chaque repas. Porcs enfermés, ou porc noir gascon, charcuterie corse, porc du pays basque ou limousin ? Poulets en batterie, ou œufs nés du plein air ? Notre assiette procède de notre agriculture. Si l’on change de menu, on transforme le visage de l’agriculture. Animaux, produits et territoires ont souvent le même nom, un nom qui porte en lui un paysage.
La rupture et la transition
Aujourd’hui, les composantes d’un changement de grande ampleur sont réunies. Le paysage de la campagne française de 2050 va dépendre de deux facteurs : de la façon dont nous nous alimenterons et nous approvisionnerons, et de la façon dont s’aménageront de bonnes relations entre la ville et la campagne. Décrivons l’avenir : alors même que l’agriculture intensive, les grandes firmes agroalimentaires et la grande distribution pouvaient croire pérenne leur domination, un autre système alimentaire se mettait en place par l’organisation de circuits courts (marché paysan, AMAP, livraison de colis et de paniers, magasins paysans, distributeurs de produits frais). A l’image de Biovallée dans la Drôme, du parc naturel régional du Lubéron, du pays basque ou de l’Aubrac, les territoires ont su relayer ces démarches en favorisant l’usage des produits bio et locaux dans la restauration collective et sur la carte des restaurateurs. Déjouant les règles des appels d’offre pour favoriser les circuits courts et les emplois locaux, ils ont souvent acquis leurs propres fermes6 pour alimenter les cantines. Une économie circulaire s’est développée, intégrant le tourisme et l’artisanat. Cette nouvelle façon de produire et de consommer s’est amplifiée en ville comme dans les campagnes entre 2000 et 2010 grâce à ces consommateurs, agriculteurs, cuisiniers et élus qui ont amorcé la transition malgré la résistance des circuits dits « traditionnels ». Les consommateurs ont voulu rencontrer les paysans qui les nourrissent. Les crises alimentaires sont survenues. Les consommateurs ont changé leurs motivations en privilégiant l’emploi dans les campagnes, la santé, la qualité des produits, de l’environnement et les paysages. Beaucoup habitaient la campagne, qui était leur cadre de vie. Beaucoup y revenaient, et modifiaient en profondeur leur régime alimentaire en consommant moins de viande et de produits laitiers au profit des céréales, des légumineuses et des légumes. Moins de viande et de fromage mais de meilleure qualité (bio, AOC, à l’herbe, de plein air, au lait cru). La ville est–elle la seule façon d’habiter en France? Depuis la fin des Trente Glorieuses, les aménagements ont renforcé l’hégémonie des villes en développant les autoroutes, les rocades, les TGV et les aéroports. La ville s’est étalée sur la campagne comme s’il s’agissait d’une simple réserve foncière. Le paysage de 2050 dépendra du rythme auquel va s’effectuer cette rupture. En 2013, le réseau TGV continue de s’étendre, l’aéroport Notre–Dame des Landes7 est au cœur des débats, ultime obstination contre un inéluctable et indispensable changement de paradigme. Le paysage de 2050 sera d’autant plus radieux que notre sobriété se renforcera. La sobriété, l’usage économe et mesuré est au cœur du débat : manger moins mais mieux, consommer moins d’espace pour habiter et se déplacer, ménager la terre agricole et la part de la nature. Se déplacer en vélo plutôt qu’en voiture, voire se déplacer moins. Epargner la consommation d’énergie afin de pouvoir abandonner le nucléaire et éviter une catastrophe qui pourrait rayer de la carte un département entier. Les zones commerciales, fleurons des villes françaises avec leurs hypermarchés, leurs fast food et leurs grandes surfaces sont toujours là. Mais qui dit que, réconciliée avec la ville, la campagne de 2050 n’aura pas retrouvé ses points d’appui car la ville de l’avenir renoncera sans doute à croire qu’elle peut, à elle seule, absorber le développement de façon harmonieuse. Des chartes, des partenariats se mettront en place pour stopper les flux migratoires journaliers. On réinventera, entre la ville et la campagne, un tissu riche et dense de petites exploitations diversifiées, aptes à répondre à la demande des consommateurs et à offrir un cadre de vie de qualité. Tout le monde s’impliquera. Les élus auront protégé le foncier, relayés par des associations comme Terre de Liens8 qui mobilisent l’épargne privée pour faire de la terre agricole un bien public inaliénable. Le maraîchage et la production fruitière se rapprocheront à nouveau des villes. Les urbains entreront dans les fermes pour acheter mais aussi pour y travailler et produire en apportant un complément de main d’œuvre dans les périodes de chauffe. Ils y installeront parfois leur propre jardin. Ce tissu agricole vivrier mettra fin aux zones commerciales anonymes dévoreuses d’espace en instaurant une zone tampon réconciliant ville et campagne. Les pelouses urbaines seront dorénavant fauchées et pâturées. Les moutons reviendront dans la ville. Les jardins familiaux et associatifs se multiplieront, favorisant et accélérant cette transition par l’échange de savoir–faire. Les clubs de cuisine seront légion, où les vieux apprendront aux jeunes comment cuisiner. Le compostage et la production de biogaz seront devenus la norme d’une véritable industrie. Plus aucune matière organique ne se trouvera perdue. Véritable signe des temps, le cycle de la fertilité sera à nouveau rétabli et les éléments minéraux contenus dans nos aliments retourneront à la terre. Il suffira de trier. Ce recyclage accompagnera l’agriculture biologique et la forte réduction de l’utilisation des engrais chimiques. Les campagnes auront aussi fait leur transition. Elles se seront adaptées une nouvelle fois aux demandes des consommateurs qui préféreront manger mieux. On peut l’annoncer. La concentration de l’agriculture s’est progressivement arrêtée au début des années 2020. Une vague d’installations s’est produite à cette époque, portée par la demande de qualité de vie et la nécessité de pourvoir à l’emploi. Le nombre de ferme est remonté à un million. L’agriculture est redevenue une des principales sources de création d’emplois. Les agriculteurs se sont mis à transformer et commercialiser leurs produits en circuits courts, seuls ou en petites coopératives, à l’image des fruitières du fromage Comté dont le lait ne vient jamais de plus de 25 km. Certains ont misé sur une agriculture vivrière. Beaucoup produisent aussi de l’énergie – plaquettes de bois de haie, biogaz à partir des déjections d’élevage et des cultures intermédiaires, toiture photovoltaïque, huile brute – et alimentent des réseaux de chaleur. De nombreux territoires ruraux sont ainsi devenus à énergie positive.
Afterres 2050 : un scénario rêvé
Ce scénario qui vient d’être décrit, nous sommes nombreux à le rêver et, je l’espère, de plus en plus à y croire. Le scenario Afterres 2050 auquel nous travaillons (cf. l’encadré) montre qu’une transition radicale est possible pour autant que nous soyons capables de changer la composition et le volume de notre assiette. Moins de calories, moins de sucre, moins de protéines, moins de protéines animales, telle est la base de ce scénario qui respecte mieux l’exigence de santé publique. Côté agricole, il met en œuvre les pratiques de l’agro–écologie en développant une agriculture à bas niveau d’intrant, majoritairement biologique et diversifiée, en renforçant l’élevage à l’herbe et en diminuant fortement l’usage de concentrés9. Le scenario Afterres 2050 donne réalité à la feuille de route écrite par l’Etat français et l’Union Européenne pour répondre aux principaux défis environnementaux : la restauration de la qualité de l’eau et de la biodiversité, la réduction des émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) et des pesticides. Ces nouvelles pratiques agricoles donneront-elles jour à de beaux paysages ? La fertilité renouvelée de nos sols sera-t-elle perceptible à l’œil ? Si nous voyons les cultures associées sur les parcelles, le retour du bleuet et de la nielle dans les champs de blé demande plus d’acuité visuelle. Mais l’eau dépolluée de ses nitrates et de ses pesticides n’en sera pas pour autant plus claire. Le plus important dans ce paysage de demain sera-t-il ce que l’on voit ou ce qui se cache? Saurons-nous détecter le retour des abeilles sauvages et des papillons, du saumon, des oiseaux spécialistes, des chauves–souris, du grand hamster et de l’ours brun? Aurons-nous de nouveaux marqueurs de nos paysages alimentaires ? Les paysages sonores où la nature s’entend et où les cloches des vaches incarnent un mode d’élevage, seront-ils à nouveau écoutés ? Les gens redécouvriront-ils les senteurs de la nature comme ils redécouvriront les goûts alimentaires ?Même en étant moins nombreux, les animaux de ferme seront plus visibles car plus souvent dehors. Afterres prévoit avant tout une « recomplexification » du paysage que nous observons aujourd’hui. Mais ne rêvons pas, le paysage de demain est celui que nous dessinons aujourd’hui. Lents à pousser, les arbres que l’on plante en 2013 n’auront que 37 ans en 2050, ce qui est l’adolescence pour un arbre de haut jet. Tout se joue dès à présent. Toute terre agricole perdue, tout arbre abattu et non remplacé aujourd’hui hypothèquent notre avenir. Il faudra s’appuyer sur les structures paysagères existantes pour donner un sens et une forme à cette nouvelle agriculture, ou les retrouver par l’analyse des sols et du régime hydrologique du bassin versant. Ce nouveau paysage se construira dans chaque territoire avec ses différents acteurs, mais aussi dans chaque ferme. Il engendrera autant d’identités propres et sera porteur d’un projet plus solidaire. Notre agriculture et nos paysages auront aussi à affronter les conséquences du changement climatique, des sécheresses et des écarts de température plus prononcés, des tempêtes plus violentes. Elle devra être donc plus résiliente. Afterres 2050 n’est pas inspiré par la nostalgie des paysages anciens. Il est au contraire porteur d’un nouveau paradigme de développement qui ne se fonde plus sur l’exploitation des ressources rares, des énergies fossiles au sable qui sert à faire le béton, mais utilise les ressources abondantes du monde biologique, du solaire et du vent. Tout en sachant que les ressources biologiques ont aussi leurs limites, déjà dépassées pour la pêche en mer. La sobriété sera le maître mot. Aussi certains paysages de 2050 ressembleront-ils aux paysages d’avant parce que ces derniers avaient déjà intégrés les principes de rareté des ressources et de spécificité des terroirs. A l’image de la vallée du Douro, de la plaine napolitaine ou des huertas, le mariage réussi de la ville et de la campagne aura créé des paysages denses, habités, riches, peuplés, beaux, diversifiés. Ce nouveau paysage sera vécu d’une manière nouvelle car il sera partagé. Les gens seront redevenus acteurs du paysage où ils vivent.
1 En Poitou–Charentes, le manque d’eau, l’été, pour irriguer le maïs a entraîné la construction de stockages d’eau en terrain plat en créant des digues surélevées. Ces ouvrages à fort impact environnemental et paysager sont appelés « bassines ».
2 Les IAE englobent les haies, les bosquets, les arbres épars, les lisières de bois, les jachères fleuries, les bandes enherbées, les prairies extensives, les mares et les murets. En France, l’accès aux aides directes est conditionné à la présence de 4% de la SAU (Surface Agricole Utile) en surfaces d’éléments topographiques (SET). Les SET sont des surfaces d’IAE pondérées par des coefficients – 100 m de large par exemple pour la haie et la lisière. Ce coefficient multiplicateur rend le dispositif totalement inefficace. L’Europe propose actuellement 7% de la SAU mais en surface réelle. Les négociations s’annoncent donc difficiles.
3 En fait, la France est déficitaire de 1,4 millions d’hectares en terme de surfaces. Cela veut dire que les surfaces nécessaires à produire la biomasse des produits que nous importons est supérieure de 1,4 millions d’ha à celles utilisées en France pour les cultures qui sont exportées (majoritairement des céréales).
5 Avec des produits comme l’aligot à base tome fraiche de Laguiole et de pomme de terre ou la
fondue à base de Comté ou de Beaufort.
6 Avec des produits comme l’aligot à base tome fraiche de Laguiole et de pomme de terre ou la fondue à base de Comté ou de Beaufort.
7 A l’image de la commune de Mouans–Sartoux dans le Var.
8 Une des raisons de ce projet d’aéroport est de libérer un important espace près de Nantes, à l’emplacement de l’actuel aéroport, pour continuer l’urbanisation de cette métropole.
10 Les consommateurs oublient trop vite que les ruminants consomment aussi beaucoup de céréales et de tourteaux pour accroître la production unitaire. Ainsi une vache laitière consomme en moyenne 200g de concentrés par litre de lait et la production d’agneau utilise en moyenne 5 kg de concentrés par kg de carcasse produit. La majorité des systèmes laitiers de l’ouest est basée sur une alimentation à base de maïs ensilage et de tourteaux de soja.
Sources
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Rouanet M.,Mémoires du goût. Editions Albin Michel, 2004.
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Petrini C.,Slow Food, manifeste pour le goût et la biodiversité. La malbouffe ne passera pas ! Editions Yves Michel, 2005.