Paysages agricoles de l’après-pétrole.
Nouveaux designs agronomiques pour produire autrement et améliorer le cadre de vie
Régis AMBROISE et Baptiste SANSON, 2013
Cette fiche présente de nombreux exemples d’aménagement foncier pour la mise en place de politiques agroécologiques comme la ferme de Villarceaux.
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Fondé notamment sur la mécanisation et l’usage de ressources fossiles, le projet de modernisation de l’agriculture s’est accompagné, dans les années 1960, d’importants programmes d’aménagement foncier qui ont conduit à une modification radicale des paysages. Alors qu’une nouvelle orientation est aujourd’hui impulsée par le ministère de l’agriculture pour « Produire autrement », il serait nécessaire d’inscrire cette nouvelle donne agroécologique dans la cadre spatial qu’elle appelle et de prévoir, pour une telle politique de recomposition paysagère, la même constance obstinée et les mêmes moyens que ceux qui ont prévalu à l’avènement du modèle industriel d’après la guerre. Cette politique paysagère sera en effet indispensable pour faciliter la mise en œuvre de systèmes de production agroécologiques qui soient à la fois économes en intrants, productifs et capables de contribuer à améliorer la qualité du cadre de vie des populations. L’approche paysagère est très rarement la porte d’entrée choisie pour traiter de l’écologisation des pratiques agricoles. En conséquence, et tant qu’ils ne se préoccupent pas de changer le cadre spatial de l’agriculture, les efforts effectués pour allonger les rotations des cultures ou réduire les intrants trouvent très rapidement leurs limites. Pourtant, un certain nombre d’expériences menées par des agriculteurs motivés donne à imaginer ce que pourraient devenir les paysages ruraux de l’après pétrole. Cet article tente d’identifier certains des principes qui sous–tendraient une politique paysagère agroécologique, en lien avec les demandes de produits et d’espaces de qualité, ainsi que de mesurer le chemin qu’il reste à parcourir pour lui donner consistance.
Le projet agricole de l’après–guerre
Dans les années 1970, le rapport du recteur Vedel en France et le plan élaboré par Sicco Mansholt, alors président de la Commission Européenne, alertaient l’opinion sur la nécessité de réorganiser l’agriculture et ses territoires en France. Au nord d’une diagonale Bordeaux–Strasbourg, l’agriculture devait pouvoir se moderniser rapidement, contribuer à nourrir le pays et même l’enrichir par la vente de ses excédents. Au sud de cette ligne, les campagnes en partie désertifiées se verraient assigner pour vocation d’accueillir le tourisme de masse européen. Une génération plus tard, cette prévision s’est avérée globalement juste. Les paysages agricoles se sont en grande partie simplifiés et spécialisés : grandes cultures dans le Bassin parisien et ses marges, élevages intensifs dans le Grand Ouest, maraîchage sous serres et arboriculture le long de la Loire, viticulture sans partage dans les zones d’appellation. Simultanément, l’enrésinement et la friche ont uniformisé les paysages des régions moins dynamiques de moyenne montagne situées au sud de cette ligne. Les littoraux et les montagnes skiables accueillent des touristes venus de toute l’Europe… Cette partition de l’espace entre activités productives et activités récréatives s’est cependant complexifiée au fil du temps.
L’agriculture de montagne à l’avant–garde des réflexions sur le paysage et l’agriculture durable
Peu à peu, dans les zones promises à la déprise, des réactions s’organisent. Le dos au mur, certains agriculteurs de montagne ou de zones humides comprennent que le développement proposé, fondé sur l’intensification, ne peut convenir à la pente, à l’altitude, aux marais trop fragiles ou trop difficiles pour être mécanisés. Ils cherchent d’autres modèles et s’appliquent à les faire reconnaître à leurs collègues, agriculteurs des plaines, puis aux politiques. Suite au premier Congrès de la Montagne de Clermont–Ferrand en 1972, une« politique montagne » se met en place pour prendre en compte les caractéristiques particulières de l’agriculture de ces régions, et notamment son rôle favorable en matière d’environnement et de paysage. On peut dire que la première mesure paysagère en faveur de l’agriculture fut l’Indemnité Spéciale Montagne accordée aux agriculteurs en fonction de leur nombre d’animaux, qui préfigura nos actuelles mesures agri-environnementales. Maxime Viallet, président de la coopérative de Beaufort, fut pionnier pour impulser dans les montagnes françaises la politique qu’il mettait en œuvre dans sa vallée : valoriser les ressources fourragères locales et notamment les parcelles en pente, s’organiser en coopérative pour garantir la qualité du fromage et pas seulement en augmenter la quantité, maintenir le maximum d’agriculteurs double–actifs qui vivraient du revenu du lait de leurs animaux et de l’entretien apporté à la montagne par leur gestion. Aujourd’hui, le Beaufort est considéré comme le premier des gruyères français, la région de Beaufort jouit de la réputation d’être la Suisse de la France du fait de la qualité et du soin apportés à ses paysages. Grâce à ces dynamiques, l’évolution paysagère s’est faite sans rupture. Dans bien d’autres régions de montagne, comme dans les Vosges où les filatures qui employaient de nombreux ouvriers–paysans ont fermé, la prospective évoquée plus haut s’est réalisée brutalement. Les forêts ont progressivement envahi les vallées vidées de leurs habitants par l’exode rural. Dans ce contexte de crise, la prise de conscience, par les habitants, de la dégradation de leur paysage a été le déclencheur d’une relance de l’activité agricole autour du slogan « Redonner de la lumière aux vallées » comme dans la vallée de la Haut Bruche (département du Bas Rhin). Dans les années 1990, des élus et des propriétaires motivés ont coupé les épicéas plantés trente ans plus tôt pour installer de nouveaux agriculteurs ou conforter les rares paysans encore présents. Ces agriculteurs ont imaginé des systèmes de production valorisant l’herbe au maximum, qui s’avèrent très peu consommateurs en énergies fossiles. Ils ont inventé de nouveaux modes de transformation pour conserver la valeur ajoutée de leurs produits en s’appuyant sur des démarches de qualité et de circuits courts. Les collectivités, considérant ces actions d’intérêt public, ont joué un rôle essentiel pour les accompagner : recomposition des territoires pour offrir des continuités visuelles, mise en valeur des points de vue, dégagement des entrées de villages pour limiter l’ombre des épicéas qui les enserrent et accentuent l’impression d’abandon ressentie par les habitants. Par leur ténacité, élus, techniciens, associations, habitants de ces territoires de montagne ont réussi à convaincre l’Europe, l’Etat, les régions et les départements d’apporter les financements nécessaires à ce réaménagement foncier et à sa bonne gestion. Ils se sont mobilisés pour que leurs collectivités rénovent leurs communaux et les cèdent à bail, aident à l’installation de marchés locaux, construisent des fermes relais. En contrepartie, les agriculteurs et leurs animaux entretiennent les paysages grâce à la fauche et à la pâture des prairies, redonnant une diversité biologique et paysagère remarquable à ces territoires. La qualité et la beauté de ces espaces attire de nouvelles populations et le nouveau défi pour les collectivités consiste à aménager les friches industrielles pour préserver l’espace agricole reconquis et menacé par l’urbanisation1.Le pire n’est donc pas toujours inéluctable et d’autres trajectoires d’aménagement sont possibles pour concilier production agricole et diversité biologique et paysagère. En cinquante ans, un paysage rural entretenu de façon intensive et manuelle par de nombreux petits ouvriers–paysans était devenu un paysage forestier inhospitalier, il est redevenu aujourd’hui un nouveau paysage agricole humanisé et en pleine évolution. Présents à des degrés divers dans tous les massifs sous des formes chaque fois différentes, ces systèmes montagnards contemporains inspirent les réflexions actuelles sur une agriculture contribuant à un développement durable des territoires. L’approche paysagère, qui fut la porte d’entrée centrale de ces démarches2, mérite d’être remise à l’honneur. On peut apercevoir des parallèles entre les questionnements propres à ces systèmes de montagne et les questions que soulève la diversité des formes de l’agriculture périurbaine : à proximité des villes comme en montagne, la préoccupation d’aménagement du territoire invite à dépasser les formes standardisées de l’agriculture industrielle.
Agriculture des franges urbaines, de nouveaux paysages autour des villes ?
De nombreuses collectivités prennent des initiatives pour maintenir une agriculture périurbaine menacée par la spéculation. Pour ces élus, l’agriculture devient une composante à part entière de l’aménagement du territoire et doit à ce titre remplir plusieurs fonctions – alimentation, eau, énergie, biodiversité, air, cadre de vie, loisirs – le tout sans abuser des ressources fossiles de la planète. Aborder le projet du territoire périurbain par le paysage permet de s’affranchir des habituels discours opposant les agriculteurs et les citadins pour s’appuyer au contraire sur la découverte des richesses communes que recèlent potentiellement ces territoires et en recherchant ensemble les meilleures solutions pour les valoriser. Des expériences nouvelles, présentées dans d’autres articles de cette Collection Passerelle3, montrent comment des agriculteurs peuvent travailler avec des paysagistes pour animer de tels projets et trouver de nouveaux partenaires techniques et financiers. En ce sens, ils expérimentent des formes paysagères de l’après pétrole car le projet de paysage, partie prenante du projet agricole, y devient une composante du projet urbain lui–même dans les nouveaux documents d’urbanisme comme dans les usages. Au–delà de l’évolution de ces espaces singuliers des territoires de montagne ou des franges périurbaines qui invitent les agriculteurs, dans ces zones, à changer leurs systèmes en imaginant de nouvelles formes paysagères, il importe de se demander en quoi l’approche paysagère peut avoir sa pertinence quand il s’agit du reste du territoire agricole, là où la préoccupation d’aménagement est moins forte. Si l’entrée est différente, nous montrerons que les démarches de paysage sont des outils qui peuvent être mobilisés désormais pour accompagner la transition vers des formes d’agriculture plus durable.
Les nouveaux paysages de l’agriculture intensive
Avec la diminution du nombre d’agriculteurs, la taille moyenne des exploitations française n’a cessé de s’agrandir. Plus inquiétant en termes agronomiques, la taille des blocs de culture continue de croître également dans le but affiché d’augmenter la compétitivité des exploitations : un tel mécanisme contrarie les efforts par lesquels on tente de limiter les dégâts environnementaux causés par les systèmes de culture spécialisés. Que deviendront ces territoires si le cours du pétrole et des autres ressources fossiles, qui constituent le moteur de ces systèmes de production agricole, augmente de façon radicale ? On peut imaginer qu’en défendant le rôle essentiel qu’ils jouent pour nourrir les populations, les agriculteurs parviennent à imposer leur exception à ce nouveau contexte pour pouvoir continuer à utiliser à bon prix carburant, engrais, pesticides, tous ces intrants dont les prix réels vont augmenter avec celui de l’énergie. Si ce cas de figure prévaut, les dommages environnementaux ne feront que s’aggraver malgré les programmes prévus pour limiter les pollutions. Les espaces agricoles de plus en plus uniformes, spécialisés et monofonctionnels, seront en confrontation directe avec les espaces destinés à assurer d’autres besoins essentiels. La logique de zonage, déjà observable aujourd’hui, serait alors poussée à l’extrême : zones de protection des captages d’eau, trames vertes et bleues pour maintenir la biodiversité, zones d’urbanisation, zones de loisirs, zones de production d’énergies… faudra-t-il aller jusqu’à protéger chacune de ces zones par des grillages ou des murs destinés à se prémunir des influences menaçantes et concurrentes des autres activités ? La population mondiale augmentant, il est probable que cette séparation spatiale des fonctions ne sera pas longtemps viable4 à moins d’amplifier les inégalités et le cortège de tensions qui les accompagnent. On ne peut donc se satisfaire d’une option qui consisterait à juxtaposer « l’agriculture productive nourricière » d’un côté et « l’agriculture extensive à vocation d’entretien de l’espace et de gestion des ressources naturelles » de l’autre. Il va falloir apprendre à intégrer ces différentes fonctions pour rechercher une performance globale et non plus monofactorielle (le rendement). L’écologisation des pratiques et la recherche d’une multifonctionnalité de l’espace sont un défi de taille que doivent relever toutes les formes d’agricultures, y compris celles qui obéissent aujourd’hui à une logique industrielle. Les agriculteurs qui choisissent de développer des alternatives à ce modèle industriel deviennent, consciemment ou non, des producteurs de formes paysagères nouvelles en même temps qu’ils font évoluer leurs pratiques. L’entrée par le paysage consiste à considérer que les caractéristiques agronomiques et territoriales sont à connaître et à valoriser comme autant de ressources qui vont remplacer les modèles fondés sur des intrants bon marché qui s’imposaient partout. Cette démarche paysagère constitue donc un gage de meilleure efficacité agroécologique et d’intégration des exploitations aux enjeux de leurs territoires. Les visites de terrain à plusieurs, l’usage des cartes, les atlas de paysage, les documents d’urbanisme sont, de ce point de vue, extrêmement utiles pour réfléchir à la façon de redessiner ou re-designer la forme des exploitations au service des nouvelles pratiques agronomiques et des nouvelles fonctions dans un monde qui ne disposerait plus du pétrole bon marché.
Agroécologie territorialisée, l’affaire de tous
D’autres voies sont ainsi possibles, il suffit de constater que des agriculteurs, souvent à contre-courant de leurs voisins, les mettent déjà en place jusque dans des régions considérées comme les plus intensives. Dans le Grand Ouest, depuis de longues années, à la suite de l’éleveur André Pochon, des agriculteurs font la preuve qu’il est possible de produire du lait ou de la viande de façon rentable en revenant à des systèmes herbagers qui n’utilisent que peu de cultures fourragères consommatrices en intrants et refusent les aliments importés pour le bétail. Des néo-bocages aux mailles plus larges se reconstituent au milieu desquels les animaux trouvent leur nourriture et des abris contre le vent ou le soleil. En fonction de la portance des sols, certains agriculteurs laissent même leurs troupeaux en plein-air intégral, chacun pouvant observer toute l’année la présence d’animaux dans ces paysages. Dans les zones de grandes cultures, d’autres agriculteurs cherchent à économiser fortement l’usage d’engrais chimiques et de traitements phytosanitaires pour limiter leurs dépenses et les impacts négatifs de ces produits sur l’environnement. Pour aller suffisamment loin dans cette logique sans voir leurs rendements s’effondrer, il leur faut s’appuyer en préalable sur deux principes agronomiques complémentaires :
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Augmenter le nombre et la diversité des productions annuelles (cultures d’été ou d’hiver, cultures dérobées, mixtes) ou pluriannuelles (prairies permanentes, arbres fruitiers ou à bois, arbustes à petits fruits, vigne), voire installer un atelier animal. Cette diversité permet de résoudre des problèmes agronomiques : les légumineuses captent l’azote de l’air et enrichissent le sol pour les cultures suivantes. Le fumier des animaux restitue au sol les éléments pris par les cultures, de même que les feuilles et les racines des arbres. Les rotations évitent l’installation de parasites inféodés à une seule culture. L’association des arbres aux cultures sur ces parcelles apporte une productivité globale supérieure à celle des champs seulement cultivés.
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Restructurer le parcellaire de façon à renforcer les effets positifs potentiels apportés par cette diversité de cultures. Ainsi les agriculteurs diminuent-ils la taille de leurs parcelles et adaptent-ils leur forme pour faire en sorte que le maximum de l’espace de production puisse être colonisé par les auxiliaires des cultures tout en restant mécanisable. Les alignements d’arbres ou les haies, les murets, les bandes enherbées qui bordent ou traversent les cultures servent d’abri à ces auxiliaires et sont localisés de façon à régler en même temps d’autres problèmes agroécologiques (érosion, hydraulique, climat…) tout en améliorant la productivité globale5. Pour imaginer cette restructuration de l’espace, les agriculteurs s’appuient sur des approches paysagères fondées sur une bonne connaissance de la singularité de chaque territoire, son histoire, sa géographie, ses potentiels agronomiques. Ce faisant, ils se préoccupent également de ce que leur espace de production améliore l’environnement, la qualité du cadre de vie, l’ouverture de l’espace au public. Dans ces espaces ouverts à deux dimensions, l’arbre champêtre, bien localisé, choisi et entretenu, apporte du volume, accentue les effets de perspective et offre de nouvelles formes à l’échelle d’un grand paysage que s’approprient les agriculteurs.
Les Plans de Développement Durable en agriculture
Un bilan de cette expérimentation qui avait concerné 1 200 agriculteurs de 1993 à 1998, présenté lors des journées du Pradel en 2010 dans le domaine d’Olivier de Serres, montrait que les agriculteurs qui avaient été le plus loin dans des démarches de développement durable, tout en étant très économes en intrant et ouverts sur les besoins de la société, avaient tous augmenté la diversité de leurs productions, réaménagé leur parcellaire et réintroduit l’arbre d’une manière ou d’une autre dans leur système. La qualité du paysage ainsi obtenue signait pour eux et pour les visiteurs l’orientation nouvelle donnée à leur exploitation qui trouvait sa rentabilité sans dépendre de nouvelles aides.
L’exemple de la Bergerie de Villarceaux6 : les 370 ha de la ferme de la Bergerie de Villarceaux (95) ont subi une profonde transformation spatiale, préalablement à sa conversion à l’Agriculture Biologique entre les années 1995–2000, afin de constituer un agro-écosystème équilibré propice à ce nouveau mode de production. Les parcelles, dont la plus grande atteignait 64 ha, ont été découpées pour arriver à une taille moyenne inférieure à 8 ha, une taille compatible avec une agriculture mécanisée et productive, au–delà de laquelle les économies d’échelle s’amenuisent parce qu’il n’est plus possible de profiter des ressources agroécologiques. Les parcelles de forme allongée (100 m sur 800) sont bordées latéralement par des haies ou des bandes enherbées, infrastructures semi-naturelles volontairement intégrées dans la structure de la ferme pour servir d’habitat aux insectes auxiliaires des cultures. Ces haies replantées (plus de 10 km au total) constituent un élément nouveau qui ressort fortement dans ce paysage céréalier ouvert. De même, les parcelles de la Bergerie sont-elles clôturées car le passage à l’agriculture biologique s’est accompagnée d’un rééquilibrage progressif entre les surfaces en cultures et les surfaces en prairies temporaires et permanentes. Les prairies sont valorisées par un troupeau bovin allaitant de vache Salers, introduit également, et un troupeau ovin de race mixte à base Suffolk. L’intégration des arbres et des cultures est complétée par des plantations en agroforesterie : aux haies périphériques aux parcelles s’ajoutent désormais des alignements d’arbres intra parcellaires depuis 2011. La faisabilité technique de ce modèle est aujourd’hui démontrée. Ces nouvelles pratiques ont aussi engendré des usages nouveaux du territoire : le redécoupage du parcellaire, la plantation de près de 10 km de haies, l’introduction de l’élevage ont façonné un territoire rural attractif et ouvert grâce à de nombreux chemins d’exploitation. Ces chemins sont partagés entre salariés de la ferme, randonneurs, chasseurs, naturalistes, VTTistes… Pour répondre à la demande des visiteurs de la ferme, une coopérative de consommateurs a été créée qui commercialise en vente directe les produits de la ferme. Si ces exemples se généralisaient, les espaces agricoles de ces régions deviendraient ainsi des espaces naturels aménagés pour produire principalement une pluralité de ressources primaires renouvelables tout en offrant des aménités environnementales et paysagères. Un tel projet ne pourra cependant pas se réaliser sans une réorientation des soutiens à l’agriculture par le biais d’investissements et de politiques qui encourageraient les agriculteurs à choisir ce type d’alternative plutôt qu’à s’arcbouter sur des modèles qui risquent de conduire à des impasses ou à des confrontations violentes, mais qui ont fort bien réussi jusqu’à présent à ceux qui sont aujourd’hui en place. Alors qu’il n’est pas possible qu’une agriculture réellement durable puisse se développer dans un cadre spatial structuré pendant quarante ans au service d’une agriculture industrielle avec l’appui de nombreux soutiens publics, le message des géoagronomes a du mal à percer et peu d’agents de développement poussent les agriculteurs à réfléchir à la recomposition de leur espace de production. De même le thème de l’aménagement foncier agrocécologique ne fait-il pas l’objet d’une incitation claire des administrations. A l’époque du « Produire Autrement », il s’agit d’un oubli qui pourrait faire prendre beaucoup de retard dans la résolution des problèmes. Difficile donc d’être aussi affirmatif que l’étaient Messieurs Vedel et Mansholt dans les années 1970 et de prédire ce que seront d’ici 2050 les paysages agricoles de ces grandes zones d’agriculture intensive. Le pire n’est pas toujours évitable. Les portions de paysage que nous offrent les agriculteurs qui expérimentent ces nouvelles orientations serviront à coup sûr à mobiliser une diversité d’acteurs pour les promouvoir.
1 Voir L’exemple de Wesserling: l’apport d’une démarche paysagère dans la recomposition d’un site industriel en pôle culturel et économique
2 Le message de la vallée de la Bruche, exemple remarquable en la matière, est toujours : « le paysage au service d’un développement durable de notre territoire ».
3 Voir l’article de M. Toublanc, S. Bonin, B. Sanson, Le paysage, « ça regarde » l’agriculture…Réflexions autour d’une expérience pédagogique pluridisciplinaire entre Vexin et ville nouvelle
4 Le concept d’empreinte écologique a déjà popularisé l’idée que le mode de vie occidental réclamerait, s’il était étendu à toute la population terrestre, de disposer de plusieurs fois lesressources terrestres.
5 Les experts en écologie du paysage observent que les auxiliaires des cultures ne peuvent en moyenne aller au–delà de 60 m de leur aire de refuge composée d’élements fixes du paysage (haies, arbres, bosquets, bandes enherbées, murets, mares, etc.). Il est de ce fait illusoire de vouloir remplacer l’usage des traitements phytosanitaires par des auxiliaires de cultures dans des parcelles de trop grande surface tout en maintenant des rendements suffisants. De ce point de vue la recomposition du parcellaire est indispensable pour « produire autrement », « produire de façon agrocéologiement intensive ».
6 Ce territoire rural, propriété de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH) est composé de forêts, d’un ancien corps de ferme reconverti en centre de séminaire et d’une ferme de 400 ha en polyculture, élevage et agroforesterie biologique. C’est un lieu engagé dans la transition écologique et sociale depuis plus de 20 ans, à la croisée entre recherche agronomique, animation de réseaux, découverte et diffusion des idées qui concourent à la construction de territoires ruraux plus durables.
Sources
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Vision paysagée, vision partagée, plaquette et CD sur lavallée de la Bruche 2013
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Dessine–moi un paysage bio, film de Lamia Otthofer, Nathalie Arroyo, Lionel Goupil, Bergerie Nationale, 2012.
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Quel devenir pour le pavillonaire dans le monde rural et périrural ? – in Espace rural et projet spatial, vol n°3, sous la direction de Xavier Guillot, Saint–Etienne, Publications de l’université de Saint–Etienne, 2012.
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L’arbre champêtre dans la nouvelle PAC propositions de l’AFAHC , 2011
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Territoire agricole : après l’industrie ? le jardin ! – Matthieu Calame, in Les Cahiers de l’Ecole de Blois n°9, Paris, Editions de la Villette, 2011.
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Insertion paysagère du switchgrass et du miscanthus en région Centre,mémoire de Géraldine Fy, Institut national Horticulture et Paysage, Angers, 2011.
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Le paysage clé d’entrée pour un développement durable des territoires,fiches actions présentées lors des rencontres du collectif paysage(s) 2010
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L’agriculteur, l’architecte et le paysage, in revue D’Architectures, n° 188, février 2010.
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Paysage et aménagement foncier, agricole et forestier – François Bonneaud, Thomas Schmutz, guide méthodologique de 72 pages publié par le Ministère de l’agriculture, décembre 2010.
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Agriculture et Paysage, présentation des outils APPORT 8 plaquettes, 4 cours ppt… 2009,
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Les entretiens du Pradel,2009,
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Principes d’Aménagement et de gestion des Exploitations par des Structures paysagères Arborées 2009
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Pays et Paysages de France, Jean Cabanel, 2006, Editions du Rouergue.
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Paysages en Herbe, le paysage et la formation à l’agriculture durable, Monique Toublanc, Educagri–éditions, 2004.
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L’agriculture et la forêt dans le paysage, ministère de l’agriculture, 2002,
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Agriculteurs et Paysages, dix exemples de projets de paysage en agriculture, Régis Ambroise, François Bonneaud, Véronique Brunet–Vinck, 2000, Educagri–éditions.
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La prairie temporaire à base de trèfle blanc, André Pochon, Editions Cedapa, Plérin, première édition 1981, régulièrement mise à jour depuis.
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Pays, paysans, paysages dans les Vosges du Sud. Les pratiques agricoles et la transformation de l’espace INRA–ENSSAA (Groupe de recherche), Paris, INRA, 1977.
To go further
Pointereau P., Les campagnes arborées de demain, Signé PAP, n°20, avril 2018.