Le paysage comme moteur de lien social
Thomas BOUCHER, 2013
Cette fiche s’intéresse aux différentes formes de la nature en ville et notamment à sa mise en scène sous la forme de parcs et de jardins, dans une analyse diachronique.
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Le paysage est le manifeste d’une utopie à laquelle certaines époques ont su donner corps. En Europe, le jardin, le parc et l’espace ouvert ont servi de terrain d’expérience pour tester les idées de nature et de progrès social. Le projet de paysage vise à donner une structure et une lisibilité à l’espace ouvert, dans la mesure du lieu et avec une attention pour les équilibres en présence. L’enjeu est de (re)donner un vrai sens au quotidien. Le travail sur le paysage permet de concilier des usages indissociables et qui ne cohabitent pas facilement ensemble aujourd’hui, par exemple l’habitat dense et métropolitain et les pratiques récréatives et agricoles. L’histoire des parcs et des jardins nous montre en effet les multiples modes de présence possibles de l’agriculture, à des échelles très variées et pour des populations très diverses. Structurant la ville et ses territoires, les parcs et jardins ont servi à fabriquer des lieux composites et accueillants. Aujourd’hui, le parc agricole est un modèle de cohabitation entre l’espace cultivé, l’espace de loisir et l’espace urbain. Il produit à la fois des produits alimentaires, du bien–être et une structure locale pour l’urbanisme.
Le parc comme modèle de cohabitation sur le territoire
Les parcs, leur géométrie et leurs usages ont souvent servi d’exemple et de laboratoire pour penser l’urbain. Ils sont des modèles pour projeter la ville, ainsi à Saint–Pétersbourg et à Washington, dont le plan s’est inspiré des tracés et de l’esprit de composition du parc de Versailles. Cette réflexion existe aussi dans les grands systèmes américains, à New–York ou Boston, et dans des projets de ceintures vertes, comme on le voit à Londres. Aujourd’hui, les parcs composites mêlent de multiples fonctions tout en restant accueillants à des pratiques nouvelles.
Les parcs composites
Nous analyserons deux de nos projets situés dans des contextes historiques et géographiques très différents : le domaine historique de Flaugergues à Montpellier et le centre–ville de la ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq, dans le nord de la France. Flaugergues n’est pas seulement un château, mais aussi et surtout un domaine. Il est la mémoire de l’histoire montpelliéraine des folies, ces demeures de villégiature et de production en limite de la ville, associées à des hôtels particuliers en centre–ville. Souvent les propriétés de campagne se sont fait rattraper par la ville. Bien que Flaugergues soit aujourd’hui entourée par l’urbanisation, la magnifique cohérence de ce domaine, dont les pièces forment un tout indissociable, permet aujourd’hui de continuer l’histoire de ce château en restituant la présence de ses dépendances, témoins d’une même histoire. Le projet consiste en effet à restructurer le domaine autour de trois grands espaces : le jardin, le petit parc et le grand parc. Cette hiérarchisation reprend la partition historique des grandes demeures françaises et intègre la dimension des parcours pour arriver jusqu’au château et les échelles du grand paysage au jardin plus intime, avec leurs différents usage et modes d’entretien. Le grand parc est un lieu constructible et géré par des techniques sylvicoles ou agricoles, tandis que le jardin est un lieu poétique et jardiné, lieu de culture et des savoirs. Le petit parc est un entre–deux, à la rencontre entre la nature domestiquée par l’agriculture et la nature métaphorique dans le jardin. Cette composition prend un nouveau sens dans la ville contemporaine, puisqu’elle inscrit le domaine dans un grand système de parcs depuis le cœur de la ville jusqu’au front de mer. A Villeneuve d’Ascq, l’étude a commencé par porter sur la restructuration et la programmation urbaine du centre–ville. Cette ville nouvelle, fondée à la fin des années 1950, développe une utopie de « ville–parc » et sépare, pour ce faire, les flux automobiles et piétons. Il paraît nécessaire, cinquante ans après la création de la ville, de renouer avec son utopie fondatrice et de réactiver les usages de ce parc habité. On propose alors de fabriquer un parc composite de 45 hectares à partir des terrains aujourd’hui en friche ou au contraire travaillés, dans certaines enclaves, par une agriculture intensive. Au cœur de la métropole, ce parc établit un lien nouveau entre les trois communes de Hellemes, Lezennes et Villeneuve d’Ascq. Il est le support et le cadre d’activités multiples qui pourront être programmées et s’installer dans le temps. Le projet de ce parc assemble des activités agricoles et des parcelles boisées ou bien ouvertes que l’on met en cohérence pour former une infrastructure verte, agréable à vivre et à pratiquer. Des parcours doux, confortables et variés, relient ces espaces de nature. Pour commencer à fabriquer ce grand parc, des jardins familiaux, partagés et pédagogiques sont installés en tant qu’ « usages d’impulsion » et pour participer aussi à la gestion du grand parc. Le projet crée près de 500 jardins sur 4 hectares : une famille résidant en centre–ville vient travailler sa parcelle en location en traversant le parc public. Les zones jardinées constituent par ailleurs des lisières qui mettent à distance le bâti et les parcelles agricoles (type AMAP) en créant des zones de protection des cultures. Des chemins pour les vélos et les piétons desservent les jardins dans des paysages variés et évolutifs. L’agriculture, la petite agriculture joue un rôle important dans ce projet qui met en valeur l’imaginaire très fort qu’elles dégagent. Ces réflexions sur les parcs composites, récréatifs et agricoles s’enrichissent de toutes les formes nouvelles d’agriculture, – micro agriculture, jardinage partagé, agriculture biologique, circuits courts – qui foisonnent aujourd’hui. Le parc devient le cadre de référence pour pouvoir donner un nouveau statut à tous les lieux interstitiels qui composent la ville et sa banlieue.
Le jardin comme lieu d’expérimentation pour des pratiques
Le jardin est un lieu d’expérimentation où l’homme cherche à guider et à utiliser l’énergie et les formes de la nature à des fins esthétiques et productives. Dans l’art des jardins, les dimensions du beau et de l’utile sont complémentaires et indissociables : ainsi le Hameau de la Reine à Versailles associe-t-il une production à une mise en scène de l’agriculture. Il existe une grande tradition où le jardin d’utilité se voit compris et mis en scène dans le parc. Dans leurs différentes formes, on les a dénommés le jardin potager, maraîcher, la pépinière, le jardin fruitier, le jardin fleuriste, le jardin des plantes médicinales, la garenne, le jardin familial, le jardin des simples, le jardin bouquetier, le potager-fruitier, le légumier, les jardins à vignes. Outre cette tradition érudite des jardins d’utilités, il existe des « jardins des pauvres » ou « clos des pauvres » dont la tradition remonte au Moyen-âge mais qui prend l’essentiel de son essor au XIXe siècle sous la forme du jardin ouvrier, dont le terme fut inventé par l’abbé Lemire. Ces jardins se déclinent de multiples manières : jardin du cheminot au bord des voies ferrées, jardin familial, jardins militaires, jardins d’hôpitaux, jardins pour réfugiés, jardins scolaires, jardins de patronage, jardins pour anciens combattants… qui répondent à l’objectif d’une production alimentaire dans une vision hygiéniste et sociale du travail en commun et en plein air. A la fois terrains de jeux et parcelles cultivées, ces lieux alliaient l’enjeu de santé publique et de pédagogie, ils contribuaient au développement d’une conscience démocratique par l’autogestion et la responsabilisation individuelle. Avec la transition qui s’annonce, une cabane dans un jardin, un cadre communautaire pour cultiver les fruits et les légumes du jardin familial incarnent une autre dimension du jardin contemporain, inclus dans un cycle de production et d’usages partagés.
Le jardin des expériences
Chacun de nos projets est l’occasion de tester une manière particulière de rendre le jardin convivial. Moteur d’histoires, le jardin est un lieu d’invention du quotidien. Entre voisins, entre copains, en famille, le jardin invite à des échanges dont il est le support ou le prétexte. Lieu pratiqué par tous quelle que soit son histoire, le jardin est un moteur, voire un activateur de lien social dans des lieux en transformation. Nous proposons d’installer un jardin de cueillette, un jardin des petits fruits, des herbes aromatiques ou de fleurs. Le jardin sera entièrement planté. Il pourra par la suite être déformé par les habitants en fonction des envies qui naissent. Il peut fonctionner comme un jardin décoratif qui évolue au fil des saisons, tout en associant à la découverte des plantes le plaisir de les manger et de les cuisiner. Dans les cages d’escalier, aux portes des maisons, au pied des garages, on entend les discussions sur les productions de l’année, la qualité des recettes, ou la façon de les adapter. En engageant la conversation, la communauté se soude. Les exemples, ci–dessous, montrent comment des projets de jardins peuvent stimuler des pratiques et devenir des moteurs d’échanges et de lien social.
A Rennes : le jardin des petits fruits
C’est un jardin collectif en cœur d’ilot, situé au nord de Rennes dans la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) Beauregard. Il s’agit d’un quartier en construction où quatre–vingt familles vont venir s’installer. Nous avons donné comme rôle à un jardin de cueillette de permettre d’initier échanges et rencontres entre les nouveaux habitants. S’inscrivant dans les traces bocagères de ce paysage breton, le jardin est un lieu de pédagogie et de partage. Dans une ancienne cité minière dont les habitants vivent des minima sociaux, ces jardins vont trouver un usage stimulant et participer à l’économie des familles : devant les maisons, il y a des fleurs à couper, à l’arrière des fruits à manger. Dans le nord, les mineurs cueillaient les fruits de leur jardins et en jetaient les trognons au pied des terrils : certains sont ainsi devenus des arboretum d’essences anciennes. Le projet propose que ces arbres retournent dans les jardins, associant mémoire des lieux et pratique contemporaine.
Euro–Nantes
Inscrit dans la géographie nantaise, le projet décrit les qualités du site au bord de la Loire par un parcours des bords de l’eau jusqu’au ciel. Du jardin privé au jardin collectif, l’enjeu est de donner la même qualité de parcours et d’usages à la ville verticale qu’à la ville horizontale.
En fonction des usages et des rapports au site, on peut ainsi distinguer quatre grands types de lieux dans ce parcours :
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En façade sur la Loire, les jardins privés sont situés en balcon et sur la terrasse belvédère.
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Les jardins collectifs sont autant de jardins d’aventure et sur la terrasse récréative.
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Les jardins de la tour appellent une pratique un micro–jardinage à usage domestique : potager et jardin fleuri.
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En toiture, les serres nous parlent du voyage et des plantes acclimatées dans une atmosphère exotique, elles rappellent l’histoire de ces bateaux nantais qui rapportaient des plantes inconnues des antipodes. Des jardins à tous les étages
Le jardin des Sauvières à Thorigny
Pour ce jardin collectif dans une résidence sociale, un dessin très simple réunit les plantes proposées dans un livre de recettes, qui a été fabriqué pour utiliser les plantes du jardin et impliquer les habitants : chacun est dépositaire d’une recette, ensemble ils deviennent le livre. Le projet établit un lien entre les habitants. Impliqué dans le débat, chacun amendera le jardin et le livre en fonction de ses envies et de ses affinités culinaires. Dans tous ces exemples, le jardin et l’installation sur le territoire concrétisent un geste, à un moment donné, pour articuler le rapport entre les hommes et le lien avec la nature. De façon pratiquée et aussi fantasmée, ces jardins mettent en scène un rêve de vivre ensemble. Tentatives incomplètes et maladroites qui cristallisent les désirs d’une époque, ces projets décrivent un état du monde et les aspirations d’une période de transition.