Introduction autour de la notion d’agglomération
Synthèse des échanges de la session 2003, La Chaux-de-Fonds
2003
Cette synthèse a été conçue à l’intention des participants de la plate-forme. Elle tente de dégager les principaux enseignements et questions issus des échanges entre participants. Tous les thèmes proposés dans le texte introductif de problématique n’ont pas été traités, faute de temps. C’est notamment le cas pour les missions et compétences ainsi que pour les ressources des agglomérations. Les échanges ont essentiellement porté sur:
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Les pratiques des responsables des projets d’agglomération
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Le rôle du contexte institutionnel et politique national pour les projets d’agglomération
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Le projet d’agglomération : c’est quoi?
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La régulation et la gouvernance des agglomérations
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Les facteurs du succès d’un projet d’agglomération
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Les appuis au processus d’apprentissage
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Les attentes des participants par rapport à la plate-forme
1. Les pratiques des responsables des projets d’agglomération
Selon Y. Hanin, la problématique de l’agglomération urbaine et du projet d’agglomération s’inscrit dans un contexte:
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métropolitain dominé par la mise en réseau des villes, en termes de concurrence et de complémentarité;
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d’étalement urbain avec ses conséquences en termes de ségrégation sociale et de mobilité spatiale;
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d’éclatement urbain, en termes de multifonctionnalité de l’espace.
Il en résulte un éclatement des territoires vécus par les acteurs (habitants, entreprises, etc.), une augmentation des coûts de l’urbanisation, la nécessité de rationaliser les services publics et de réexaminer les structures et les compétences des agglomérations.
C’est dans ce contexte que prennent place les pratiques des responsables de projets d’agglomération qui ont participé aux travaux de la plateforme. Ces pratiques sont relativement récentes; elles datent de quelques années, même si pour certaines d’entre elles, elles s’inscrivent dans une certaine continuité. Mais un nouveau contexte territorial et institutionnel exige de nouvelles démarches pour les agglomérations urbaines.
Chaque participant a eu l’occasion de présenter sa pratique et son questionnement. La synthèse ne vise pas à résumer ces contributions, d’autant plus qu’elles étaient plutôt liées aux différentes thématiques débattues. La pratique n’était pas «objet» de présentation, mais bien plus «prétexte» à questionner la problématique.
Chaque contexte urbain est spécifique avec ses enjeux territoriaux et sa constellation d’acteurs urbains. Mais par-delà ces spécificités, on peut parler, pour tous ces projets, d’un processus d’apprentissage pour les acteurs impliqués, notamment pour leurs responsables. Le processus a démarré. Le projet urbain ne se décrète pas, même si la législation fixe un cadre juridique. Concevoir, faire approuver et mettre en œuvre un projet d’agglomération demande imagination, créativité et volonté collectives. On tâtonne, on expérimente, mais le processus est irréversible. C’est l’un des objectifs de la plateforme de capitaliser et de valoriser les expériences en cours.
2. Le rôle du contexte institutionnel et politique national pour les projets d’agglomération
Rappel des thèses et postulats proposés à la plate-forme
La création et le fonctionnement des agglomérations sont largement conditionnés par le contexte politique et institutionnel prévalant au niveau national. Sur le plan politique, l’Etat central, les régions et les communes cherchent à maintenir leurs prérogatives; il n’y a pas une volonté de leur part de transférer aux agglomérations urbaines des compétences. Sans être préjudiciable, le contexte politique national n’a pas créé une dynamique forte en faveur des agglomérations
Sur le plan institutionnel, on peut constater deux situations contrastées: la France dispose de bases légales alors que la Suisse n’a pas légiféré au niveau national, laissant aux cantons le soin de le faire. La situation en Belgique est semblable à celle de la Suisse, les régions étant compétentes dans de nombreux domaines touchant les agglomérations urbaines. Mais il faudrait une réforme de la Constitution belge pour donner une reconnaissance légale aux communautés d’agglomération. Il convient donc de se demander quelles en sont les conséquences pour la mise en place des agglomérations.
Enseignements de la plateforme
L’importance du contexte politique et institutionnel a été largement confirmée dans les échanges de la plate-forme. Les problèmes rencontrés par les agglomérations nécessitent des réponses politiques, mais delà à reconnaître les agglomérations comme partenaires politiques au sein de l’architecture institutionnelle nationale, il y a un pas que l’Etat central, les régions ou cantons, les communes n’ont pas franchi.
Les problèmes économiques et sociaux rencontrés par les agglomérations influencent les débats des parlements nationaux, régionaux ou cantonaux, notamment lors des discussions concernant les politiques sectorielles comme le logement, les transports, le développement économique, mais pas – encore – au point d’initier des changements institutionnels.
En Suisse, les initiatives prises par la Confédération ont permis d’accélérer la prise de conscience des problèmes des agglomérations. Elles ont donné naissance à des projets pilotes très divers dans leurs finalités et dans leurs modalités. Pour la majorité d’entre eux, ces projets pilotes poursuivent des objectifs régionaux en matière d’urbanisation et de transports. Ce sont les domaines dans lesquels la Confédération envisage d’apporter une aide financière. Il revient par contre aux cantons de prendre les initiatives institutionnelles. Fribourg l’a fait avec sa loi sur les agglomérations; le canton de Vaud a envisagé une loi sur les agglomérations; Neuchâtel a reconnu le rôle des agglomérations dans son programme de législature; Genève et Bâle forment déjà de fait des agglomérations urbaines, mais elles doivent innover pour intégrer la dimension transfrontalière de leurs problèmes.
En Belgique, des problématiques telles que le logement, le développement économique, l’aménagement du territoire ou l’environnement relèvent de la compétence des régions, l’Etat fédéral n’ayant que peu de compétences en matière d’aménagement et de développement territorial. Il n’y a pas de cadre légal ou institutionnel qui légitime la constitution de communautés d’agglomération excepté une loi de 1971 visant Bruxelles, Anvers, Gand, Liège et Charleroi qui est restée sans effets. Malgré une fusion des communes opérée dans les années 1970, la Wallonie connaît un décalage grandissant entre ses structures institutionnelles et les recompositions territoriales que l’on observe. En outre, certaines villes wallonnes subissent l’influence de pôles extérieurs (Lille, Luxembourg, Aix-la-Chapelle et Maastricht) et des partenariats transfrontaliers se développent.
De nombreuses associations intercommunales assurent des missions de service public (intercommunalité de gestion). Trois communautés urbaines se sont créées spontanément à l’initiative des communes concernées: Charleroi, La Louvière et Mons. Une quatrième, Liège, est en voie de constitution. Quant à Bruxelles, principale agglomération belge, elle polarise à la fois une partie des régions flamandes et wallonnes; les 19 communes centrales ont été reconnues dès 1980 comme région à part entière.
En Wallonie, on observe une bipolarisation région – communes. L’Etat et les régions disposent d’importants moyens financiers et humains, mais ont une relativement faible légitimité politique, alors que les communes manquent de moyens mais disposent d’une forte légitimité démocratique. Ce constat explique en partie les modes de relations entre les différents acteurs aux différentes échelles territoriales et institutionnelles.
En France, le dispositif constitué par les trois lois s’inscrit dans un contexte de rationalisation qui reconnaît aux agglomérations un rôle prééminent : l’agglomération est d’abord un territoire pluri-communal dessiné par l’extension de l’urbanisation. Ce territoire pertinent d’un point de vue fonctionnel doit s’organiser politiquement en se dotant d’une structure de coopération d’agglomération. C’est dans ce cadre que s’élabore le projet d’agglomération qui définit les grandes orientations stratégiques et les priorités de développement et sur cette base que peut s’engager la négociation entre partenaires publics pour aboutir au contrat d’agglomération. Enfin, le projet doit orienter les schémas de cohérence territoriale (SCOT) en traduisant sur le plan spatial les principales dispositions. Les trois lois reconnaissent aux agglomérations une identité fonctionnelle; elles leur permettent d’émerger sur la scène publique comme un interlocuteur légitime des autres acteurs mais il leur manque « juste » une vraie personnalité politique, faute d’une assemblée élue au suffrage universel direct. Elles sont sous influence d’élus communaux ou de responsables politiques qui tirent leur légitimité d’autres scènes politiques. En résumé, l’agglomération française est un territoire pertinent avec une fonctionnalité (Loi Voynet) ayant une structure de coopération intercommunale (Loi Chevènement), mais sans personnalité politique avec des élus directs. Mais du point de vue politique c’est une vision « hors sol » de l’agglomération.
Une des questions centrales pour l’avenir des communautés d’agglomérations et des communautés urbaines est alors : seront-elles reconnues comme entité au sein de l’architecture institutionnelle nationale, disposant de ressources et de compétences, avec leurs propres dirigeants politiques directement élus par les citoyens de l’agglomération?
La France a fait un pas dans ce sens avec l’octroi de compétences et de ressources, ce qui n’est pas le cas pour la Suisse et la Wallonie.
Aujourd’hui, les problèmes et les réponses concernant les agglomérations se posent d’abord en termes de territoire fonctionnel à gérer dans le cadre politique et institutionnel existant au niveau national. Le processus d’apprentissage collectif devra composer avec ce contexte qui définit les marges de manœuvre des agglomérations. Ces processus ont le caractère de pratiques innovantes, à la marge des institutions existantes (intercommunales, région d’aménagement et de développement, etc.).
Nouvelle institution ou institution s’inscrivant dans l’architecture institutionnelle en place? Il est trop tôt pour donner une réponse à cette question.
3. Le projet d’agglomération: c’est quoi?
Le texte introductif de la problématique a été peu explicite sur la notion de projet d’agglomération. Les participants ont rapidement souhaité préciser cette notion. À partir des avis exprimés dans les débats, on peut dire qu’un projet d’agglomération est un projet de collectivités situées en territoire urbain, en vue de relever les défis de la société actuelle, en dépassant les frontières et les modes de fonctionnement institutionnels et administratifs traditionnels.
Tout projet d’agglomération est à la fois:
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Un produit et un processus
Le projet se définit par une vision stratégique du développement (avec des objectifs et des principes) qui oriente les actions concrètes; c’est le volet «produit». Il est aussi une démarche d’élaboration et de mise en œuvre qui associe les acteurs concernés; c’est le volet «processus».
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Un acte politique et un acte technocratique
Des obligations légales ou des opportunités de financement, la pression de problèmes communs à résoudre sont des facteurs explicatifs à l’origine d’un projet d’agglomération; mais rien n’est possible sans la volonté des responsables politiques des communes de l’agglomération. Sans cette volonté, il y aura au mieux un projet «alibi» pour satisfaire le législateur ou pour solliciter des subventions.
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Une phase d’élaboration et une phase de mise en œuvre
L’élaboration est souvent un temps fort pour mobiliser les acteurs; c’est un peu le temps où l’on fabrique du rêve (boîte à rêves); la mise en œuvre, c’est le temps de l’appropriation par les acteurs du projet afin qu’il soit concrètement traduit par des actions et des réalisations.
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Une démarche formelle et un processus collectif d’apprentissage
La conception du projet ainsi que sa mise en œuvre s’inscrivent dans un contexte légal; il y a des procédures à respecter mais la démarche s’apparente beaucoup plus à un processus d’apprentissage collectif réunissant des acteurs qui doivent apprendre à travailler ensemble, à rechercher des solutions de manière négociée, à inventer des procédures de consultation et d’information des acteurs urbains.
Dans un projet d’agglomération, il s’agit de concilier une ambition politique avec le respect démocratique, en proposant à la fois une vision et des projets concrets répondant aux besoins des acteurs concernés et des habitants en général. Il implique un difficile équilibre entre des positions apparemment dichotomiques. Mais la pratique de l’agglomération relève beaucoup plus d’une logique du «et» que du «ou» pour construire ce projet. Une question centrale est de savoir comment s’opèrent les arbitrages nécessaires au projet (au sein et entre les agglomérations urbaines).
En quoi ces caractéristiques sont-elles spécifiques à un projet d’agglomération? Ne sont-elles pas inhérentes à tout projet territorial, par exemple en milieu rural? Les échanges entre participants de la plate-forme n’ont pas permis d’expliciter les dimensions spécifiques du projet d’agglomération. Mais on peut avancer quelques hypothèses qui demanderont vérification lors des prochaines éditions de la plate-forme. Ne peut-on pas dire qu’un projet d’agglomération se concrétise dans un contexte territorial et institutionnel spécifique?
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des mutations économiques profondes et rapides associées à l’évolution vers une société de services et de l’information, la mise en concurrence entre entreprises et entre villes pour attirer ou maintenir des habitants et des emplois;
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une mobilité spatiale croissante des habitants appartenant à plusieurs territoires qui dépassent les frontières des territoires institutionnels; ces acteurs (entreprises, habitants) appartiennent d’ailleurs à des territoires qui ne sont pas toujours contigus au sein de l’agglomération; on peut parler de territoires connectés;
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un étalement urbain qui se traduit par une urbanisation éclatée et non maîtrisée avec les conséquences que cela signifie pour les coûts d’infrastructure et pour la gestion des services publics (notamment en matière de transports);
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une interdépendance entre les échelles territoriales (internationale, nationale, régionale et locale), ce qui entraîne des problèmes de gouvernance territoriale spécifique en termes de coordination horizontale et verticale ainsi que d’arbitrage et de pilotage dans les agglomérations urbaines.
Il n’y aurait donc pas de spécificités du projet d’agglomération, mais bien plus des spécificités du territoire urbain dans lequel se conçoit et se met en œuvre un projet territorial. De ce point de vue, la conception d’un projet d’agglomération (modalités, objectifs, propositions d’actions) devrait être assez différente selon que l’on se trouve dans une agglomération en déclin ou en expansion, au centre ou à la périphérie d’un réseau urbain national ou international, dans une agglomération en milieu industriel ou orientée vers les activités de services.
4. La régulation et la gouvernance des agglomérations
Cette problématique de la régulation a été sous-jacente aux débats de la plateforme, sans être abordée de manière spécifique. Quelles sont les règles d’arbitrage présidant à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un projet d’agglomération? Quels sont les acteurs exclus? Comment s’exercent les solidarités au sein et entre les agglomérations urbaines?
Dans le texte introductif de la plateforme, les différents aspects de la problématique et de l’agglomération urbaines ont été examinés à la lumière de deux critères:
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celui de l’efficacité qui fait référence à la relation entre le coût et la qualité des prestations offertes par l’agglomération et
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celui de la légitimité qui renvoie à la qualité de la démocratie locale, c’est-à-dire à la qualité de participation du citoyen, à l’élaboration et à la mise en œuvre du projet d’agglomération.
Tout projet d’agglomération doit prendre en compte ces deux critères, mais ils n’ont pas le même poids selon les projets et les problématiques traitées. Le critère «efficacité» est certainement plus lié aux dimensions fonctionnelles et organisationnelles d’une agglomération alors que la légitimité est associée aux dimensions politiques de l’agglomération.
Actuellement, l’agglomération est dans les mains d’élus «indirects»; elle souffre donc forcément d’un déficit de légitimité politique face à ses habitants. En l’absence d’une légitimité politique reconnue, le projet d’agglomération ne risque-t-il pas d’être perçu comme une réponse technocratique pour organiser l’aménagement et le développement territorial et non comme une réponse politique pour «mieux vivre ensemble»? Ce sera l’affaire de quelques responsables politiques, d’experts, de fonctionnaires. Peut-on escompter qu’une démarche ouverte, associant le citoyen à l’élaboration du projet, peut lui donner une légitimité sociale et garantisse le processus d’appropriation par les acteurs urbains ? Y a-t-il une demande du citoyen, de la société civile en général, pour faire naître politiquement des communautés urbaines? Peut-on parler d’un décalage entre la pratique des habitants au sein d’une agglomération et les pratiques des élus, plus soucieux de leur assise électorale?
Les compétences et les ressources financières reconnues aux agglomérations sont octroyées ou déléguées par les élus indirects; c’est le cas actuellement jusqu’à ce que l’architecture constitutionnelle des trois pays reconnaissent aux agglomérations une légitimité propre. Au sujet des compétences, elles sont souvent définies de manière générale, ce qui permet aux agglomérations de les assumer en les adaptant à leurs spécificités. Les premières expériences françaises ont révélé que les compétences octroyées par le législateur n’étaient pas nécessairement prises en charge par toutes les agglomérations.
La pratique montre également que les champs d’activité et les compétences envisagés pour les agglomérations urbaines sont déjà exercés en partie par des intercommunales ou syndicats de communes, organisés pour gérer des tâches sectorielles (eau, déchets, aide sociale, etc.). N’y a-t-il pas risque de mise en concurrence? Ou alors l’agglomération ne devrait-elle pas être l’institution qui coordonne ces tâches sectorielles, un lieu de partenariat public-public à partir d’une vision d’ensemble, et en leur donnant une dimension démocratique?
En outre, l’agglomération urbaine est également reconnue comme lieu pertinent de négociation entre les acteurs publics et privés, surtout pour la mise en œuvre des propositions d’action et projets concrets. Cette affirmation doit être débattue et vérifiée à la lumière des pratiques actuelles du partenariat public-privé dans les agglomérations.
Peut-on répondre à la complexité urbaine par une gouvernance plus rationnelle et plus fonctionnelle? Ne doit-on pas plutôt admettre qu’à réalité complexe s’apparentent des institutions complexes? La question a été posée sans être débattue. Tout habitant est multi-appartenant (plus ou moins sans doute selon son rang social). À l’heure des territoires connectés ou reliés, n’est-il pas illusoire d’organiser la gouvernance autour de territoires contigus? Il y a pluralité de territoires et les modes de régulation doivent accepter cette ambiguïté. À territoires instables et complexes, il faut des institutions stables, ce qui garantit légitimité et lisibilité pour le citoyen, tant pour la gestion administrative que pour le débat démocratique.
5. Les facteurs du succès d’un projet d’agglomération
On peut s’interroger sur ce qui est propre à tout projet territorial et sur ce qui est spécifique au projet d’agglomération
La volonté politique affirmée de travailler ensemble constitue LE facteur clé du succès. Cette volonté est nécessaire pour faire émerger une conscience collective capable de mobiliser l’ensemble des acteurs de l’agglomération; elle est souvent le fait de quelques leaders politiques qui «portent» le projet dans un premier temps.
Cette motivation acquise, il faut que le relai soit pris par la mise en place d’une institutionnalisation de la démarche et son organisation sous la forme d’un management articulant un pilotage politique et un pilotage technique du projet d’agglomération. Ce management doit générer des compétences pour comprendre et gérer la complexité, pour faire travailler ensemble des acteurs aux perceptions et aux intérêts différents. Il ne doit pas être réservé aux experts et fonctionnaires. Il doit veiller à associer la société civile (habitants, entreprises, monde associatif, etc.), nécessaire à l’appropriation du projet urbain.
Une démarche de projet s’inscrit dans un contexte territorial spécifique: la pression et l’urgence de problèmes à résoudre, la nécessité de mobiliser des ressources au-delà des frontières communales, l’opportunité d’accéder à des financements nationaux ou européens. Ce sont autant d’éléments qui peuvent faciliter, orienter ou freiner les réflexions, les initiatives et les actions concrètes. Ces facteurs «conjoncturels» ou extérieurs sont utiles, en particulier pour le démarrage d’un projet d’agglomération, mais celui-ci doit s’inscrire dans la durée, avec la mise en place d’un processus articulé autour d’une vision commune et de projets concrets nécessaires à la construction de la confiance et au développement de la coopération (promotion de la coopé-action).
Le projet d’agglomération est une démarche qui exige du temps pour consolider ses premiers résultats et ainsi faire ses preuves. Aussi une stratégie de communication s’avère-t-elle indispensable pour mobiliser les énergies et trouver les moyens de répondre aux attentes suscitées auprès des acteurs. La communication doit donner «lisibilité et sens» au projet d’agglomération.
Et la «spécificité urbaine» de ces facteurs de succès? N’est-elle pas à rechercher plutôt dans la capacité de la démarche à prendre en compte les caractéristiques du territoire urbain et à associer les multiples acteurs œuvrant en milieu urbain ?
Tout projet d’agglomération est assimilable à une aventure humaine faite de «hauts» et de «bas». Il y a les moments forts, car mobilisateur de ressources et d’engagement des acteurs; c’est par exemple les phases d’élaboration du projet. Il y a le temps de la gestion au quotidien, plus discret, qui peut faire douter de la volonté collective. Un projet est toujours la mise en forme d’une volonté collective articulée autour d’objectifs partagés et d’actions à entreprendre pour développer le territoire urbain. Mais ce développement est également fait d’opportunités qu’il s’agit de saisir, en fabriquant des convergences d’intérêts entre acteurs. La capacité d’un projet à s’adapter à ces opportunités sera aussi une des conditions de son succès.
Le projet d’agglomération est d’actualité. S’agit-il d’une tendance lourde, d’une nouvelle réponse sociale et politique à l’organisation urbaine de notre territoire? Ou bien s’agit-il d’un effet de mode induit par l’opportunité d’accéder à des subventions, par une manière de repenser le développement territorial? La gouvernance urbaine comme réponse à l’affaiblissement de l’Etat central?
6. Les appuis au processus d’apprentissage
Pour les participants de la plateforme, le projet d’agglomération est perçu avant tout comme un processus d’apprentissage pour les acteurs impliqués. Sur la base des avis émis, on devine les défis ainsi que les ambitions que chacun associe à cette démarche de projet.
L’un des domaines prioritaires est celui de la participation et de la concertation avec ses dimensions de la communication et de l’information des élus, des techniciens, de la population en général. Cette préoccupation témoigne de la volonté de concevoir et de concrétiser une démarche d’agglomération de manière large, ouverte et transparente.
Le projet est clairement identifié comme une démarche créatrice, permettant de dépasser les fonctionnements habituels et qui soit à même d’initier de nouvelles modalités de création et de redistribution de ressources (financières, savoir-faire, etc.), de rapprochement des différentes cultures composant l’agglomération, tout en prenant en compte les divers intérêts et valeurs. Le projet est donc considéré comme une opportunité de repenser la ville pour dynamiser les territoires urbains.
La mise en place des agglomérations nécessite une capacité de compréhension et d’ingénierie des problèmes et des solutions aux différentes échelles spatiales; cela passe sans doute par des appuis à la formation (apprentissage, mise à niveau, etc.) des élus mais aussi des experts et responsables administratifs. L’une des difficultés est de concilier les outils opérationnels avec les contraintes institutionnelles et d’inscrire les projets dans des mécanismes de gestion qui apparaissent souvent bien complexes. Mais on peut également y voir une chance pour dynamiser, par exemple, une politique du logement, tout en recherchant des solutions aux dilemmes d’une fiscalité complexe. L’intégration d’une agglomération dans un réseau hiérarchique urbain international peut être perçue comme une mise en concurrence dangereuse, mais aussi comme une opportunité pour trouver de nouvelles synergies avec d’autres agglomérations.
La vision du projet d’agglomération qui s’impose est donc celle d’un processus complexe, riche d’une diversité d’acteurs et de situations territoriales. Dans une telle optique, il convient d’innover, de dépasser les modes de gestion administrative et les structures actuelles sectorielles et cloisonnées; de nouvelles modalités de fonctionnement et de négociation entre acteurs sont impératives. C’est un paradigme qui est exigeant pour les tous les acteurs. On peut parler d’un processus de changement avec la nécessité de nouvelles règles à découvrir progressivement. Cette complexité liée à ce processus de changement fait que les démarches et projets d’agglomération peuvent apparaître comme disparates et brouillons, sans fil conducteur évident.
Dans ce contexte de changement et de complexité, aucun mode d’emploi universel ne s’impose. Néanmoins, les multiples dimensions à prendre en compte, la nature des problèmes à traiter ainsi que les défis à relever sont quasiment identiques dans toutes les agglomérations, et cela quel que soit le contexte institutionnel national. C’est sans doute cette complexité, imposée par la prise en compte des différentes échelles géographiques et institutionnelles, qui illustre le mieux l’ampleur de la démarche visant à créer et faire fonctionner l’agglomération urbaine, du double point de vue de sa légitimité et de son efficacité.
7. Les attentes des participants par rapport à la plateforme
À partir des domaines et thèmes d’appui identifiés, les participants ont exprimé les attentes suivantes :
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Débattre à partir des études de cas, y compris avec visites in situ et rencontres d’acteurs.
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S’intéresser aux processus de régulation sociale et politique (les exclus et les inclus).
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S’intéresser à l’ingénierie des processus d’apprentissage (capitalisation et valorisation des pratiques d’agglomération) y compris les processus participatifs, le montage de projets d’agglomération.
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Analyser et débattre la problématique des agglomérations transfrontalières + associer le Québec + l’Union européenne.
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S’intéresser aux instruments : financiers, marketing urbain, autres instruments + articulation aménagement – environnement – transport et liens avec les intercommunalités.
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Contribuer à la formation des experts, des animateurs, des politiques en charge de projets d’agglomération.
8. Autres enseignements et questions en suspens
Le fonctionnement de la plateforme
Les participants ont formulé une évaluation très positive des modalités de travail et des résultats de la plateforme. La possibilité de débattre rapidement à partir d’une problématique introductive et d’un questionnement est appréciée. Pour les prochaines éditions, il s’agit de réfléchir à la finalité et aux modalités de contributions théoriques et de synthèse partielles au cours des travaux.
Les «praticiens» n’ont pas présenté leurs pratiques. Celles-ci ne faisaient pas l’objet d’une présentation, mais ont été prétexte à débattre autour d’une problématique ou d’un questionnement. Doit-on prévoir des textes et des temps de présentation? Le bilan de la plateforme ne plaide pas en faveur d’une telle solution. Mais que peut-on améliorer?
La place et le rôle des scientifiques méritent d’être explicités. Soit ils sont associés en qualité de chercheurs portant un regard critique sur les pratiques ou élargissant la problématique des agglomérations urbaines (aider à poser les bonnes questions); soit ils sont associés pour appuyer les praticiens à définir et à mettre en œuvre les démarches et projets d’agglomérations (approche en termes d’implémentation). Les deux rôles ne sont pas contradictoires, mais ils doivent être explicités pour les participants de la plate-forme.
Les thèmes de la 2e édition
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La problématique des agglomérations urbaines transfrontalières
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La pertinence des agglomérations urbaines comme territoire de solidarité entre habitants
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Les modes de régulation, les formes de gouvernance urbaine
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Les domaines d’action des agglomérations: logement, transport, aménagement, etc.
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Les méthodologies d’évaluation des résultats des communautés d’agglomération dans les trois pays sur la base de critères négociés ensemble.