A Londres, les habitants participent à l’élaboration des indicateurs de qualité de vie

Ina Ranson, 2000

Cette fiche dresse le bilan d’une recherche-action ayant permis une meilleure planification participative dans le cadre de la rénovation urbaine de deux quartiers londoniens. Le travail des résidents locaux sur les indicateurs de qualité de vie permet de définir une stratégie plus claire de développement des quartiers. Il n’amène pas seulement à une meilleure connaissance des problèmes, mais il peut aussi provoquer un changement des comportements individuels et inciter à participer à la gestion des affaires de l’entourage

La définition d’indicateurs du développement durable, recommandée par le chapitre 40 de l’Agenda 21 est un travail complexe confié à de nombreux experts attitrés. Mais quand il s’agit de préciser ce qui est important pour la qualité de vie dans une ville - ne faut-il pas s’adresser d’abord à tous les habitants ?

Pour le projet de recherche-action Local Indicators to Monitor Urban Sustainability (LITMUS), il ne s’agit pas en premier lieu de développer des indicateurs techniques, mais d’aider les habitants à s’exprimer sur ce qui leur importe pour vivre mieux chez eux et à les aider à s’impliquer par cette réflexion même dans une gestion durable de leur quartier.

LITMUS a été lancé en 1997 par l’arrondissement de Southwark, un des onze arrondissements de Londres qui présente des grands contrastes de prospérité au nord et au sud et de pauvreté et de carences sociales dans les quartiers du centre. Le conseil municipal de Southwark a élaboré une stratégie de développement durable et un Agenda 21. Deux quartiers de l’arrondissement, Walworth et Peckham, sont actuellement sujets à un des plus importants programmes nationaux de régénération urbaine. L’ambition est d’adopter une approche intégrée face aux multiples problèmes de l’emploi, de la sécurité, de l’éducation, des loisirs et de la réhabilitation physique. LITMUS doit aider à définir une stratégie claire de rénovation et de réhabilitation.

A côté du financement national, le projet a reçu des financements de la DG XI et de LIFE. D’autres soutiens viennent de la New Economics Foundation (NEF).

LITMUS s’est concentré sur Peckham et une partie de Walworth (Aylesbury Plus). Ces quartiers qui continuent d’accueillir un nombre important de nouveaux immigrés sont très cosmopolites. Plus des deux tiers des foyers sont d’origine africaine ou d’une minorité ethnique.

Un des premiers problèmes qui empêche les habitants à prendre en main des projets ou à participer à des actions communes est le manque d’information. Les habitants ne savent pas comment ils pourraient faire changer les choses - et les autorités locales ignorent ce que les gens considèrent comme des problèmes prioritaires. LITMUS cherche à surmonter ces obstacles pour que « l’énergie et l’expertise des communautés locales contribuent à entreprendre la tâche de régénération ».

Impliquer les résidents locaux

La mise au point des indicateurs de durabilité s’est fait dans un processus qui comprend cinq phases souvent liées les unes aux autres ou même se chevauchant :

  1. démarches en vue de provoquer une prise de conscience des problèmes d’environnement et de durabilité ;

  2. une phase de consultation des habitants et des associations leur permettant d’exprimer les valeurs communes et les problèmes ressentis comme particulièrement virulents dans les quartiers concernés ;

  3. une phase d’élaboration d’indicateurs locaux par les habitants ;

  4. une phase d’application des indicateurs avec les habitants ;

  5. une phase d’évaluations et d’actions sur la base des indicateurs.

Une multitude de méthodes de consultation et d’animation ont été utilisées, pour remplir des questionnaires, inviter à des groupes de réflexion, créer des évènements qui suscitaient l’attention… Après de nombreuses consultations, les habitants et les animateurs se réunissaient pour trouver un consensus sur les problèmes identifiés et les grouper par thèmes. Ceci permettait de comprendre les liens entre différents maux. Par exemple un phénomène aussi banal que la quantité de crottes de chien était liée aux thèmes de comportement anti-social, de la santé publique, de la qualité de l’environnement et de la prévention des crimes.

Une fois le consensus établi, des équipes spécifiques formées par les résidants locaux étaient formées pour identifier des indicateurs clé, sur la base des connaissances déjà disponibles et en vue d’enquêtes supplémentaires.

Pour impliquer un plus grand nombre de jeunes, les animateurs de LITMUS ont préparé, ensemble avec les écoles sur place et des enseignants qui les conseillaient, un dossier pédagogique pour les instituteurs et les professeurs.

Pour aider des résidents locaux à réfléchir plus en profondeur, LITMUS prêtait à certains une caméra pour qu’ils filment, pendant deux mois, les moments les plus importants de leur vie quotidienne. L’équipe de LITMUS fournit de l’aide tout au long du tournage. Certains journaux vidéo ont été intégrés dans la vidéo de diffusion du projet LITMUS. Mais ils servent aussi par exemple dans les ateliers de réflexion, aussi bien avec les habitants qu’avec les fonctionnaires municipaux.

Une autre façon de travailler sur les indicateurs a été de confier à des petits groupes spécifiques l’exploration de certains problèmes: par exemple les moyens de transport pour les élèves, la propreté, les places publiques, les jardins publics et privés… Les groupes étaient composés de résidents locaux, de membres d’associations et de fonctionnaires municipaux. Ils pouvaient aussi élaborer des projets et demander des subventions pour leur réalisation.

Grâce au soutien de la NEF dont l’objectif est d’améliorer les méthodes de participation des communautés, les animateurs de LITMUS ont pu recruter sur place six résidents locaux pour les former et les intégrer dans leur équipe. Leurs compétences étaient très précieuses pour toutes les enquêtes et recherches et une grande variété d’autres activités : organisation d’ateliers de qualité de vie, préparation de spectacles, de fêtes populaires, de sorties en vélo…

Le projet LITMUS : un exemple pour d’autres villes

Une commission internationale, constituée pour suivre et pour conseiller la poursuite de LITMUS a formulé, après deux ans d’observation, un jugement très favorable sur les résultats du projet. Il souligne en particulier que le projet a permis de renforcer la confiance entre les autorités municipales et les citoyens, ce qui en soi est un indicateur précieux pour le développement durable. Comme les problèmes à Southwark ressemblent à ceux de beaucoup d’autres villes en Europe, le projet LITMUS pourra inspirer de projets analogues là où les collectivités locales cherchent des méthodes permettant de lutter de façon efficace contre l’exclusion sociale et d’impliquer la population dans les démarches pour un Agenda 21.

Parmi les nombreuses recherches sur les indicateurs d’un développement durable, LITMUS se rapproche le mieux de l’idéal d’une participation de ceux qui sont concernés. L’approche « du bas vers le haut " recommandée par l’Agenda 21, est respectée. Il est vrai que des indicateurs locaux ainsi définis ne remplacent pas les mesures des experts techniques. Soulignons qu’ils sont au moins d’une importance égale, et bien plus utiles pour impliquer tout un chacun dans le processus de développement durable. Il sera très important, dans les prochaines années, de créer plus de ponts entre les démarches « d’en haut » (top down) impliquant « décideurs », scientifiques et techniciens, et les initiatives d’en bas (bottom up) impliquant tout un chacun !

Sources

Cette fiche est inspirée de la troisième Conférence du réseau des villes durables, en février 2000 à Hanovre