Le crédit mutuel et les monnaies interentreprises
Séquence 4.1 du MOOC
Wojtek Kalinowski, novembre 2017
L’Institut Veblen pour les réformes économiques (Veblen)
Nous nous intéressons aux monnaies complémentaires utilisées par les entreprises dans leurs échanges avec d’autres entreprises. Nous partons de trois exemples concrets pour développer le fonctionnement des crédits mutuels et les monnaies interentreprises : le WIR en Suisse, le Sardex en Sardaigne ou encore le Sonantes à Nantes et son bassin de vie.
À télécharger : 4.1_mc_en_pratique_credit_mut_et_intere.pdf (340 Kio)
Pour désigner ces dispositifs, on parle parfois des « plate-formes d’échanges interentreprises ». Ce terme un peu technique exprime bien la nature du projet. Il s’agit en effet d’une plate-forme numérique où les entreprises échangent à l’aide d’une monnaie interne, propre à la plate-forme elle-même. Plus souvent, on utilise le terme anglais « barter », qui s’est imposé d’autant plus que ces dispositifs sont plus connus et plus utilisés dans les pays anglo-saxons.
De quoi s’agit-il exactement ? Le principe est très simple : l’entreprise adhère à un réseau d’échange pour vendre et acheter des biens et services à d’autres entreprises. Au moment où il faut régler une transaction, l’acheteur ne débourse pas le cash : il achète plutôt à crédit, un crédit que les entreprises s’accordent entre elles. Il n’y a donc pas besoin d’engager la trésorerie pour participer aux échanges du réseau. C’est la raison pour laquelle ce modèle intéresse souvent les PME et les TPE, qui sont régulièrement confrontées aux problèmes de liquidité et à l’insuffisance des lignes de crédit bancaire. Mais ce n’est pas la seule motivation des porteurs de projet : l’idée est tout autant d’identifier de nouvelles relations commerciales, de fidéliser les clients et de renforcer le tissu économique local.
Echelles de circulation
Comme avec les monnaies locales, ces réseaux d’échange peuvent opérer à différentes échelles : le Sonantes s’adresse aux entreprises installées dans le département de Loire-Atlantique, le Sardex opère à l’échelle d’une île italienne, la Sardaigne, tandis que le WIR a commencé dans certains cantons suisses pour s’étendre progressivement sur l’ensemble du pays : c’est donc aujourd’hui une monnaie complémentaire nationale.
Précisons aussi qu’il existe bien d’autres barters que ces trois exemples. Leur logique est similaire mais ils s’adressent d’emblée à l’échelle internationale, de sorte que le rapport au territoire devient flou voire inexistant. Ici, nous nous concentrerons sur des projets visant à dynamiser l’économie territoriale et réservés aux petites et moyennes entreprises.
Le principe du crédit mutuel
Contrairement aux monnaies locales, les barters proposent une véritable création monétaire : la monnaie est créée sous forme de crédit. C’est donc une monnaie de crédit comme la monnaie bancaire, mais avec une différence de taille : c’est un crédit mutuel. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Dans le cas du crédit bancaire classique, vous empruntez d’abord à votre banque, ensuite vous utilisez cet argent pour régler vos dépenses. C’est donc la banque qui crée la monnaie au moment même où elle vous accorde le prêt. Alors que dans le cas du crédit mutuel, ces sont les membres du réseau eux-mêmes qui créent la monnaie, au moment où deux parties s’engagent dans un échange.
Le principe du crédit mutuel est très ancien : pendant des siècles, les sociétés locales formaient des tissus d’échange réciproque où chaque membre pouvait être à la fois créditeur et créancier. Aujourd’hui, le crédit est devenu l’affaire exclusive des banques. Le crédit mutuel a quasiment disparu des échanges entre particuliers, mais nous allons le retrouver plus loin au sujet des banques de temps. Et de plus en plus d’entreprises s’y intéressent, surtout depuis la crise financière de 2008.
Le principe de compensation
Maintenant, comment ça marche en pratique ? Le cœur du barter est la chambre de compensation qui enregistre toutes les transactions, et où chaque membre possède un compte. La chambre de compensation crée la confiance entre les membres, qui savent que les produits payés seront réellement livrés et que les dettes seront remboursées.
Dans ce système, la « compensation » est une façon de régler la transaction. Elle vous permet de payer votre dette vis-à-vis d’un membre avec la créance que vous détenez sur d’autres membres. Schématiquement, ce qui se passe concrètement :
Lorsque A vend un produit à B pour 10€, la chambre de compensation enregistre un avoir de 10€ sur le compte de A, et une dette du même montant sur le compte de B. B s’est donc vu octroyer un crédit sans taux d’intérêt, mais c’est un crédit à court terme qu’il faudra bientôt rembourser. Il n’y a qu’une seule façon pour le rembourser : B devra à son tour vendre un produit ou un service au sein du réseau. Dans notre exemple, il vend ainsi un service à C, qui devient aussitôt débiteur vis-à-vis de la chambre de compensation. Tandis que A dépense ses 10€ en achetant un produit à C.
Ainsi, à tout moment, la somme des dettes et des créances est par définition zéro au sein du système. Et à aucun moment, ces échanges n’ont nécessité des transferts d’argent entre les parties prenantes. Tout passe par la chambre de compensation, où les dettes sont compensées par les créances.
Nous avons vu plus tôt qu’une monnaie c’est d’abord et surtout une unité de compte. Elle permet de mesurer la valeur des choses, et, par conséquent, de comparer les biens et services sur une même échelle. C’est bien cette fonction de la monnaie que nous retrouvons dans les barters : la monnaie fonctionne uniquement comme une unité de compte.
L’exemple du WIR
Prenons, pour terminer, l’exemple du WIR, qui est la plus ancienne monnaie de ce type parmi celles qui existent aujourd’hui, puisque elle a été créée au début des années 1930.
Le WIR est utilisé actuellement par quelques 50 000 PME suisses présentes dans tous les secteurs de l’économie, soit 20% de toutes les PME du pays. Le volume des transactions s’élève à quelques 2 milliards de francs suisses équivalents. L’utilité du système pour les PME se révèle à l’usage : quand le crédit bancaire devient rare et cher, les PME suisses tendent à augmenter leurs transactions en WIR ; lorsque les conditions de crédit s’améliorent, elles reviennent au franc suisse. Autrement dit, le WIR possède un effet contra-cyclique qui permet d’adoucir les cycles économiques – contrairement au crédit bancaire qui les aggrave.
Concrètement, entre 20% et 50% du montant d’une transaction peut être payé en WIR – la part est décidée par le vendeur en fonction des montants de WIR qu’il pense pouvoir écouler à son tour au sein le réseau. Cette fraction de la transaction payée en WIR peut être comparée au crédit interentreprises traditionnel, mais avec deux différences de taille.
Premièrement, le vendeur n’est pas obligé d’attendre 30 jours, il reçoit les WIR immédiatement et peut les utiliser aussitôt pour acheter d’autres biens et services au sein du réseau.
Deuxièmement, le prêt est accordé par le cercle d’échange lui-même : entre l’acheteur et le vendeur, la chambre de compensation est un intermédiaire qui enregistre toutes les transactions, mutualise les risques de défaut et crée la confiance entre les membres.
Du point de vue d’une entreprise individuelle, ce système s’apparente donc à une ligne de crédit classique, avec des débits et des crédits et un dépassement autorisé. Au niveau du cercle dans son ensemble en revanche, la somme des crédits et des débits est toujours zéro : contrairement au crédit bancaire qui peut croître à l’infini.
En guise de conclusion
En résumé, un barter permet de poursuivre les objectifs suivants :
-
dynamiser les échanges entre les membres
-
offrir une ligne de crédit supplémentaire
-
réduire le besoin de trésorerie des entreprises
-
nouer de nouvelles relations commerciales au sein du circuit
Pour qu’un tel système fonctionne, plusieurs conditions doivent être réunies :
-
tous les participants doivent être en mesure de vendre et d’acheter au sein du réseau ;
-
un tissu d’entreprises local doit déjà exister : sur un territoire désert, un circuit monétaire local n’aidera pas ;
-
la monnaie interne du barter ne doit pas être convertible en euro ;
-
les prestataires doivent décident eux-mêmes quel part de paiement ils acceptent dans la monnaie interne du barter.
Références
Alternatives Economiques, 2016, Réinventons la monnaie, Dossier d’Alternatives Economiques en partenariat avec l’Institut Veblen. Accès au dossier
Amato M., 2016, « Sardex, plus qu’une monnaie pour les PME ! », Dossier d’Alternatives Economiques. Accès au dossier