Cohabitation Vélo - Tramway dans le centre-ville d’Orléans
Nacima Baron, 2014
Avec la volonté de réduire la part de l’automobile et d’accroître celles des modes actifs, de plus en plus de villes moyennes de France et d’Europe s’équipent en tramway. Les autorités organisatrices de transports sont alors confrontées à des questions techniques concernant la meilleure façon d’intégrer ce nouveau véhicule dans la circulation. Faut-il autoriser voire promouvoir la circulation des vélos sur les plateformes du tramway ? Faut-il au contraire prohiber cette cohabitation ? Malgré les interdictions en vigueur dans plusieurs villes, et en dépit de la menace d’amende et l’existence de revêtements parfois très inconfortables, des cyclistes, parfois nombreux, empruntent quotidiennement ces voies pour diverses raisons.
L’objet de cette fiche est de comprendre dans quels cas et sous quelles conditions s’organise la coprésence vélo-tram. La ville d’Orléans constitue le cadre de l’enquête car les autorités ont envisagé de rendre accessible la plateforme aux cyclistes, puis se sont ravisées sous la pression de l’exploitant qui a qualifié cette présence cycliste d’obstacle à la qualité du cadencement du service tramway et de source de danger. Le travail de terrain a permis d’interroger les différents protagonistes de ce dossier : les responsables publics, les associations de cyclistes, l’exploitant, les chercheurs du CEREMA.
1. Le contexte local des transports urbains à Orléans
Composée de 22 communes, l’agglomération d’Orléans comprend environ 270 000 habitants. L’exploitation du réseau de transport en commun (sous le nom de TAO) est confiée à Kéolis depuis 2012. Le tramway d’Orléans comporte deux lignes, la ligne A, sur l’axe nord-sud, ouverte depuis 2000 et la ligne B, sur l’axe est-ouest, mise en service en 2012. La fiche se concentre sur l’axe structurant nord-sud. En outre, l’agglomération affiche un total de 400 kilomètres d’itinéraires cyclables. Néanmoins, et ce depuis le renouveau du tram, le vélo n’a pas été une priorité pour les autorités politiques. L’absence d’interlocuteur associatif constitué et pérenne pourrait en partie expliquer ce manque d’intérêt des collectivités. Pourtant, la configuration du centre-ville s’adapte idéalement au rayon d’action optimal du vélo (environ 3 kilomètres).
Lors de notre étude terrain réalisée en décembre 2013, nous avons eu l’occasion de procéder à une enquête approfondie sur un tracé nord-sud d’environ 3 kilomètres. Certaines sections de ce parcours se sont révélées satisfaisantes pour la pratique du vélo. La rue de la République, principale artère commerçante de la ville et interdite à la circulation automobile depuis la mise en service du tram, peut apparaître comme exemplaire en matière de cohabitation des modes. Piétons et cyclistes empruntent les voies de trams et partagent la voirie sans difficulté majeure. La circulation à vélo est même officiellement autorisée sur la plateforme du tram par la présence d’une signalétique spécifique. De toutes façons, du fait d’une largeur de voirie trop faible, la création d’une piste ou d’une bande cyclable réservée au vélo n’est pas envisageable.
La rue de la gare, située dans un quartier plus résidentiel environ cinq cent mètres plus au nord, est également une section où la coprésence des modes est effective. Afin de laisser place à la plateforme tram, la circulation des automobiles a été réduite à une seule voie étroite en sens unique et la vitesse limitée à 30km/h. L’espace réservé au stationnement automobile a également été restreint. Bien qu’aucune signalétique n’autorise officiellement les cyclistes à emprunter la plateforme du tram, les vélos circulent quotidiennement en contresens et sans risque en direction de la gare et de l’hyper-centre. La plateforme est particulièrement prisée des postiers qui peuvent ainsi rejoindre un centre de tri situé à proximité.
Un point noir cependant apparaît pour la pratique du vélo : c’est la traversée de la Loire, notamment le franchissement du pont Georges V (ou Pont Royal) qui relie les deux parties historiques de la ville. Ce pont est emprunté par environ 3000 cyclistes quotidiennement. Ce pont n’est plus uniquement réservé au seul trafic automobile (qui est restreinte à deux voies). En effet, la partie centrale de la voirie sur ce pont a été réservée à la circulation du tram. Par contre, les autres modes de déplacement, marche et vélo, n’ont pas été suffisamment pris en compte. Un seul trottoir subsiste pour les piétons et deux bandes cyclables ont simplement été matérialisées sur la partie déjà étroite réservée aux voitures. Les automobiles ont ainsi l’obligation de mordre sur la voie de tram pour dépasser un cycliste. Quand la voirie est congestionnée matin et soir, il est quasiment impossible de circuler à vélo à droite des autos dans un sens comme dans l’autre. Enfin, si des sas réservés aux vélos ont bien été matérialisés aux feux de signalisation, les bandes cyclables disparaissent avant et après le pont.
2. Les conditions d’une circulation vélo sur les voies du tramway
Comment améliorer la coexistence des modes de transport et traiter des points difficiles comme le passage des ponts ? Une possibilité est de développer la circulation des vélos sur la plateforme du tramway. Il faut pour cela que la vitesse commerciale du tramway reste relativement faible. Afin de ne perturber ni la vitesse de pointe ni la régularité de ce mode de transport public, tolérer les cyclistes sur la plateforme ne pourra avoir lieu que dans des secteurs de circulations autour de 20 km/h. Cette vitesse, que l’on observe principalement dans des zones denses et animées des villes – en particulier en hyper-centre où la présence piétonnière est forte – est proche de celle d’un cycliste confirmé. Dans ces secteurs, souvent caractérisés par ailleurs par des distances interstations faibles, les chauffeurs de tramway sont forcés d’avancer avec prudence. On peut donc penser que la présence de bicyclettes n’aura pas d’impact sur l’exploitation.
En outre, il paraît primordial de mettre en place des aménagements spécifiques de sécurité, de visibilité, de signalétique. En particulier il faut identifier les points d’accès et de sortie sur la plateforme pour le cycliste. Alors que le revêtement sur ces plateformes est aujourd’hui parfois constitué de verdure ou de pavés pour décourager les cyclistes de l’emprunter, un aménagement au sol spécifique doit être proposé pour rendre le trajet confortable. Aussi, en sortie de plateforme, il serait pertinent de proposer des facilités dans l’accès à d’autres aménagements vélos pour assurer une certaine continuité. Une attention particulière au jalonnement doit aussi être portée. Des règles de sécurité doivent être discutées entre acteurs, tant du côté conducteur de tramways que cyclistes : sens et aires de circulation des vélos, conditions de dépassements, gestion des feux aux carrefours, etc. La sensibilisation des usagers est en effet une condition déterminante pour garantir une sécurité optimale.
3. Orléans : Quelques propositions de réaménagements ponctuels
Deux conditions majeures apparaissent donc pour diminuer la vulnérabilité des cyclistes, assurer la continuité du parcours en traitant soigneusement les entrées et sorties d’aménagement, et chercher à accroître la part modale du vélo pour bénéficier d’un effet de visibilité afin d’assurer une sécurité par le nombre. Dans les cas étudiés à Orléans, la contrainte spatiale ou architecturale impose un choix : autoriser sur ces sections l’usage de la plateforme tramway par les cyclistes ou bien diminuer la place de la voiture pour pouvoir intégrer un double sens cyclable. Sachant que le pont Georges V est un monument historique et un axe stratégique d’accès au cœur historique de la ville, la fermeture d’au moins un des deux sens de circulation automobile ne peut s’envisager sans étude préalable de trafic et analyse des reports de trafic sur les autres ponts.
En outre, un aménagement en amont de la station de tramway est nécessaire pour les cyclistes voulant s’engager sur le pont. Un marquage au sol pourrait signifier une zone de transition, où les voitures seraient contraintes de ralentir et où les cyclistes pourraient s’insérer sur la plateforme. La longueur de cette zone serait de quelques dizaines de mètres pour permettre aux cyclistes de traverser la voie automobile sans à coups. Ensuite, la simplicité d’usage et la sécurité militeraient en faveur d’une utilisation continue de la plateforme de tramway tout le long de la rue Dauphine, ce qui entraînerait une plus grande fluidité sur la place piétonne du Martroi.
On voit donc que la généralisation de la coprésence entre cyclistes et tramway n’est pas souhaitable sur l’ensemble des sections du tramway, notamment du fait d’un différentiel de vitesse trop important qui aggraverait la vulnérabilité des cyclistes et créerait un trop grand handicap pour l’exploitation des lignes de tram. En revanche, dans un certain nombre d’espaces centraux, cette cohabitation semble pertinente et permettrait aux communes de faciliter les déplacements cyclistes sans investir massivement. Ainsi, si un cycliste peut sembler a priori vulnérable sur une plateforme de tramway, nous pensons, à l’image de la cohabitation bus-vélo en site propre, qu’elle pourrait se dérouler sans heurt et apporter une valeur ajoutée. Cette manière de circuler est actuellement autorisée sur certains tronçons dans quelques villes en France - Le Mans et Strasbourg par exemple - et pratiquée « naturellement » dans bien d’autres (Montpellier …). Le propos n’est pas ici de vouloir généraliser cet accès à l’ensemble des lignes de tramway mais de déterminer quelles conditions a minima doivent être respectées pour que cette cohabitation soit possible.
Références
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Journées Transports & Déplacements du RST 2013 ATELIER N° 8 - vélo
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Jérôme Cassagnes - Interaction vélos / tramways dans les réseaux français, CETE Méditerranée/ALR 21 juin 2013 – BRON
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PCI Interface transports collectifs Voirie CETE Mediterranée Agence L/R
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Entretien des étudiants Cédric Perrot et David Sayyagh avec Jérome Cassagnes ingénieur d’études au CETE Mediterranée – 26.12.13
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Sortie de terrain du Lundi 16 décembre 2013, avec microttrotoir.