Le logement aidé, l’accession à la propriété
2012
Alors que le logement social est issu historiquement du souci du patronat et des philanthropes d’aider une main d’œuvre récemment urbanisée à s’installer en ville, l’accession à la propriété découle d’initiatives gouvernementales. Le souci est alors de développer l’industrie de la construction en tant que pourvoyeuse de nombreux emplois peu qualifiés et donc d’aider la forte demande de logement à se satisfaire sur le marché.
Le soutien au développement du marché se fait au moyen d’exemptions fiscales et de bonifications de taux d’intérêt. La première expérience de masse se développe à partir de 1934 aux États–Unis dans le cadre du New Deal de Roosevelt ; c’est pour l’encadrer qu’est créée l’administration fédérale du logement. Par la suite, tous les pays européens adoptent des programmes du même type pour leur reconstruction après la seconde guerre mondiale.
En Europe de l’Ouest, le développement de la propriété du logement s’est accéléré à partir des années 1960. Les régimes autoritaires du sud de l’Europe ont développé massivement le logement aidé en accession à la propriété ; dans ces pays la propriété du logement est le modèle dominant1. Dans les pays anciennement socialistes, le parc de logements, qui était propriété publique avant 1989, a été presque entièrement privatisé. Alors qu’au total un Européen sur dix vit dans un logement social (mais plus de 17 % en France, Royaume-Uni, Danemark, Finlande, Suède, Autriche, Pays-Bas), les deux-tiers des Européens, en moyenne, sont propriétaires de leur logement. Plus précisément, en Europe de l’Ouest, la moitié des propriétaires sont en fait accédants à la propriété, endettés, c’est-à-dire dans le devoir de maintenir leur niveau de revenu pour garder leur logement. Mais lorsque la croissance n’est plus au rendez-vous, cette contrainte peut devenir insoutenable, alors que la propriété du logement tend à devenir la norme dans l’Union européenne : dans certains pays comme le Danemark et les Pays-Bas, le locatif n’existe que dans le secteur social, pour les ménages aux revenus inférieurs à la moyenne ; le locatif privé devient alors résiduel. Le modèle social devient forcément dualiste.
Cette évolution vers la propriété privée du logement généralisée n’est pas sans conséquence sur l’endettement immobilier des pays européens qui a augmenté globalement de 20 % du Produit intérieur brut (PIB), mais a dépassé 100 % du PIB aux Pays-Bas et au Danemark, dépasse 80 % du PIB en Suède, au Royaume-Uni, en Irlande et avoisine les deux-tiers du PIB à Chypre, au Portugal et en Espagne2. L’emballement de la dette immobilière privée tient à une politique de relance économique traditionnelle, par la relance de l’industrie de la construction. Mais les derniers venus sur le marché de l’accession sont les premières victimes d’une telle politique, puisqu’il leur reste les prêts de la plus longue durée au moment du retournement de la conjoncture.
Histoire rapide de l’accession aidée en France
La loi Loucheur (1928) en France avait déjà esquissé une timide démarche en faveur de l’accession et des classes moyennes : des prêts à taux réduit étaient consentis aux accédants à condition qu’ils laissent contrôler la qualité technique et architecturale de leur réalisation et qu’ils obéissent sinon à un plan-type, du moins à un catalogue de prescriptions. L’essentiel de l’effort public concernait cependant les Habitations à bon marché (HBM)3 locatives. La loi du 1er septembre 1948, connue surtout pour ses effets de blocage des loyers anciens, inaugure l’aide à l’investissement privé dans la construction de logements : liberté des loyers pour les constructions neuves et dégrèvements fiscaux pour stimuler la construction. Le texte de la loi et les discussions qui l’ont accompagnée montrent qu’elle est pensée pour des propriétaires bailleurs. Elle est, avant tout, un encouragement à la construction pour la location privée. Mais les facilités fiscales sont surtout utilisées par des accédants à la propriété et le nombre de logements construits ainsi reste limité.
La loi du 21 juillet 1950 met en place le secteur « aidé » de la construction à côté du secteur social et du secteur libre. Une prime de 600 francs (90 euros) par m2 construit et de 1000 francs (150 euros) dans le cas du programme Logéco4, mis en place en 1953, est accompagnée d’un prêt spécial, garanti par l’État et accordé par le Crédit foncier de France. Contrairement aux prêts HLM, le montant des prêts spéciaux n’est pas soumis au Parlement n’a pas de montant limité et ne pèse pas sur les finances publiques5. Pendant les cinq premières années, il s’agit de crédits à moyen terme, réescomptables à la Banque de France. Ces prêts qui financent 60 % de l’acquisition et des travaux ne sont utilisables que par ceux qui disposent d’un apport personnel, c’est-à-dire par les ménages appartenant aux classes moyennes. Ces ménages utilisent le dispositif pour acheter un logement qu’ils vont occuper (et non pas mettre en location), alors que le législateur continue de s’intéresser aux propriétaires-bailleurs potentiels, pour qui le logement a une valeur économique.
Accession ou location, il s’agit pour le gouvernement de faire augmenter le taux d’effort des habitants pour le logement6 et de rentabiliser le capital immobilier. Mais les Logécos, immeubles collectifs en accession à la propriété construits à partir de 1947, ne sont définis que par des normes techniques et financières sans critères sociaux ; ces logements aidés totalisent 44 % de la production des années 1947 à 1975. Dès 1954, la SCIC77 arrive à faire prévaloir le locatif comme moyen de traiter la crise du logement, d’abord par sa capacité d’organisation industrielle, puis grâce à la mise en place d’un foncier bon marché dans les Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP)8 en 1958 où elle préside à la construction des grands ensembles, et enfin par la débudgétisation des prêts HLM financés sur le fonds d’épargne, lui–même constitué par la centralisation des dépôts sur le livret A9. Le locatif social, par sa dynamique, devient la référence du secteur du logement, même s’il reste minoritaire en termes de logements réalisés.
Le système des logements aidés pose problème aux finances publiques du fait de son succès. Le réescompte des effets de la construction auprès de la Banque de France est inflationniste, puisque sans limite. L’ensemble des aides à l’accession apportées par l’État coûte aussi cher aux finances publiques que le logement social. Il faut donc trouver de nouvelles ressources pour continuer : revaloriser les loyers ne suffit évidemment pas, puisque le système est utilisé d’abord par les accédants-occupants. C’est ainsi qu’on en est finalement venu à la réforme du financement du logement de 1977 qui remplace, en tendance, l’aide à la pierre10 par l’aide à la personne, et permet ainsi de « solvabiliser », de rendre le coût du logement supportable aussi bien au locataire qu’à l’accédant, pour le paiement du loyer comme pour le remboursement de la banque. La souscription d’un prêt en accession à la propriété auprès d’une des banques conventionnées avec l’État permet de déduire l’aide personnalisée au logement de ses mensualités de remboursement. L’habitant est mis ainsi devant le choix du meilleur dispositif pour lui, choix très relatif puisque la clef réside dans les moyens dont il dispose pour constituer son apport personnel. Il n’y a réellement choix que pour celui qui a des moyens suffisants, ou quelquefois, qui est très bien conseillé.
Le dispositif de l’accession sociale à la propriété en France aujourd’hui
Le diagnostic reste toujours le même : les efforts considérables faits par les HLM pour le locatif ne suffisent pas à traiter l’ensemble de la demande de logements. Cette demande émane pour l’essentiel d’une population « solvabilisable » par l’aide personnalisée au logement et par des emprunts à des taux favorables grâce à un soutien de l’État. La demande non solvable, du fait de l’irrégularité ou de la faiblesse des revenus, peut être orientée vers le logement locatif social, au nom de sa mission de service public : c’est le modèle européen qui s’impose alors peu à peu. La recherche de mixité sociale se fera moins par un large accès au logement social, qui existe toujours en droit, que par l’organisation de la coexistence dans les opérations urbaines de différents statuts d’habitant : logement social, accession sociale, secteur libre. La demande solvable est supposée émaner de salariés dont les revenus sont versés régulièrement, et à qui peut être demandée régulièrement une contribution à l’achat de leur logement (le remboursement d’un prêt). Comment rendre ce prêt attractif sans qu’il en coûte trop aux finances publiques ? Les formules se succèdent fréquemment. La formule actuelle consiste en un prêt à taux zéro qui peut être utilisé tout autant pour acheter dans l’ancien que dans le neuf11, que pour faire des travaux d’amélioration ou de rénovation thermique, en complément d’un prêt bancaire normal12. Les plafonds de ressources qui donnent droit à cette aide de l’État sont supérieurs aux plafonds HLM.
Parmi les principales limites ; le fait que l’accédant doit être un primo-accédant et doit limiter le coût de son opération à des standards qui lui interdisent d’accéder en diffus, là où il veut. Il est contraint de se glisser dans une opération collective, menée par un promoteur. L’exigence de la norme Bâtiment de basse consommation énergétique (BBC), ou de répondre à des spécifications précises de qualité thermique, invite également à ne pas rêver d’être aidé pour habiter dans une maison auto-produite. L’aide à l’accession à la propriété reste ainsi le visage social d’une politique d’aide à l’industrie de la construction. Une preuve en est la récente réforme du prêt à taux zéro qui était autrefois proposé aux personnes voulant acheter avec travaux dans l’ancien. Le coût moins élevé des logements à l’achat permettait de sortir le prêt avec de faibles mensualités qui, combinées avec l’aide personnalisée au logement qu’autorisent les prêts conventionnés, aboutissaient à des loyers tout à fait concurrentiels avec le secteur social. Cet effet d’aubaine a été supprimé par la dernière réforme de 2008 sur l’accession sociale.
Logement social et accession sociale en Europe
Tous les pays européens ont mis en place de telles politiques de soutien à l’industrie de la construction et de développement de l’accession au logement ou à la maison individuelle. La part relative du soutien à l’accession a varié suivant les traditions nationales. Mais il est toujours suffisamment présent pour que la définition du logement assimilé social soit celle d’un logement aidé par les collectivités publiques d’une part, d’un logement destiné à des populations incapables de se le procurer dans les conditions du marché d’autre part. Les promoteurs immobiliers estiment que les deux tiers de la population française sont dans cette situation, chiffre que retient d’ailleurs le gouvernement dans la définition du plafond de ressources tant pour le locatif social que pour les facilités à l’accession sociale.
Pourtant, il n’y a pas équivalence entre le locatif social et l’accession sociale du point de vue foncier. La loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) prévoit que chaque commune urbaine doit disposer d’un parc de 20 % de logements locatifs sociaux. On pourrait être tenté, au vu de ce qui précède, de dire que les logements en accession sociale pourraient être comptabilisés avec le logement locatif social, puisque les populations accueillies sont en partie les mêmes. Mais, du point de vue de la trajectoire sociale, ces populations sont différentes : les locataires ne vont transmettre à leurs enfants qu’un droit potentiel à vivre là eux aussi, alors que les propriétaires vont transmettre un droit réel, et par là même soustraire leurs logements du parc social disponible dans la commune. Même s’ils requièrent les mêmes services et équipements que les locataires, il est à parier que leur niveau d’exigence sera différent, d’autant plus qu’ils auront à leur charge l’entretien et le maintien en l’état de leurs résidences. Le nombre croissant des copropriétés dégradées montre bien que cet entretien par les habitants eux-mêmes n’est pas toujours à la mesure de leurs moyens, ou exige un degré d’organisation que seuls des syndics institutionnels pourraient apporter.
Vue avec les lunettes de l’habitant et de l’élu, l’homogénéisation néolibérale des situations de logement prête le flanc à bien des différenciations non anticipées. La question du logement, comme marqueur essentiel des inégalités sociales et de la cohabitation politique des groupes marqués par les inégalités restera toujours ouverte.
1 C’est le cas de l’Espagne ou de l’Italie avec près de 80 % de la population propriétaire de son logement.
2 European Mortgage Federation : www.hypo.org
3 Loi Siegfried de 1894.
4 Logéco : LOGements ÉCOnomiques et familiaux.
5 Alors que les prêts HLM sont des prêts du Trésor public.
6 Le taux d’effort des habitants pour le logement était alors de moins de 10 % du revenu.
7 Société centrale immobilière de la caisse des dépôts et consignations créée en 1954.
9 Le livret A est un compte épargne réglementé et défiscalisé. Les fonds collectés sont centralisés à la Caisse des dépôts et consignations, qui les utilise ensuite pour financer des missions d’intérêt général, et particulièrement le logement social (HLM).
10 Aide financière publique à la construction ou à la réhabilitation de logements destinés à la location ou à l’accession à la propriété et visant à réduire le niveau du loyer ou des annuités de remboursement afin de solvabiliser certaines catégories de la population.
11 Depuis le 1er juin 2012, le nouveau Prêt à taux zéro (PTZ+), jusque–là réservé aux logements neufs, pourrait s’étendre aux logements anciens. Les primo-accédants des logements anciens rejoignent, au rang des bénéficiaires, les acquéreurs de HLM et de logements neufs.
12 Plusieurs banques sont conventionnées avec l’État pour proposer de tels prêts : le Crédit foncier, opérateur historique de l’accession à la propriété, les Caisses d’Epargne membres comme le Crédit Foncier du groupe BPCE (Banque Populaire et Caisse d’Epargne), la Société Générale, la BNP Paribas, Le Crédit Lyonnais.
Références
Pour accéder à la version PDF du numéro 7 de la collection Passerelle