Vers un forum social européen permanent pour le droit à la ville
2008
Collection Passerelle, Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)
Depuis leur première édition en 2002 à Florence, l’Aitec considère que les forums sociaux européens sont des occasions majeures de partager, au niveau international, des expériences locales, de développer des alliances et de faire front commun face aux politiques néolibérales qui ont un lourd impact sur nos villes et nos quartiers.
A l’occasion du forum social européen de Malmö, en septembre 2008, les mouvements sociaux urbains ont rédigé cette déclaration. C’est un texte de positionnement mais c’est aussi un texte d’appel. Un appel à la convergence et à la solidarité des associations, des réseaux et des individus qui se mobilisent pour défendre et garantir partout le droit au logement et à la ville pour tous.
L’Aitec s’est associée à la rédaction de cet appel : elle s’engage à la diffuser et à lui donner toute la résonance qu’il mérite.
Malmö, 16-21 septembre 2008
La ville dans le néolibéralisme
L’analyse confirme qu’en Europe (à l’Est, à l’Ouest, au Centre, au Nord comme au Sud), le néolibéralisme est en train de produire partout les mêmes effets sur la ville et sur les conditions d’habitat. La ségrégation, la gentrification, la destruction des patrimoines communs et des quartiers populaires, la privatisation des espaces publics, l’exploitation économique de l’héritage s’accroissent de jour en jour. Les conquêtes de l’Etat providence dans la ville sont mises en doute : c’est le cas par exemple du droit au logement, de la gratuité des services publics de la petite enfance et de la santé. La situation des ménages aux plus faibles revenus se dégrade.
Le travail est parcellisé, précarisé, déraciné. Les droits conquis au cours des deux siècles de luttes ouvrières sont niés, les salaires baissent : on joue la concurrence de la main d’œuvre de l’Est et du Sud du monde tandis que les prix des marchandises sont fixés par les riches. Le travail est en train de devenir – et ce, de plus en plus - une variable totalement subordonnée à la production de richesses pour les plus riches.
Pour le néolibéralisme, la ville est une marchandise, les citoyens-usagers sont devenus des clients-consommateurs. Les droits politiques s’affaiblissent ; à la place de la participation, c’est la propagande par le haut. Le droit de critique est menacé autant que l’accès à l’information. Le destin de la ville est décidé par le pouvoir de la globalisation économique. L’espace urbain est parsemé d’implantations de l’économie mondiale : sièges de grandes entreprises, complexes hôteliers, centres de congrès, banques internationales. Ces fiefs de l’économie-monde forment une ville dans la ville, autonome et dominatrice.
Quelques principes
Une vision holistique des problèmes s’impose. Le néolibéralisme impose sa stratégie à l’ensemble de la société et de la ville. Les différentes questions de la condition urbaine (expulsions, ségrégation, gentrification, privatisation etc.) sont les différents aspects d’une même stratégie. Le champ de réflexion et d’action d’une stratégie voulant affranchir la ville du destin que le néolibéralisme lui prépare doit être l’ensemble de la ville.
La ville n’est pas une marchandise : la ville est un bien commun. La ville que nous voulons part des exigences et des besoins de tous les habitants, à partir des plus faibles. Nous devons pouvoir assurer à tous un logement à un loyer à la mesure de ses revenus. Nous devons pouvoir garantir à tous une accessibilité confortable aux lieux du travail et aux services communs. Ceux-ci sont ouverts à tous les habitants, quels que soient leurs revenus, leur origine, leur culture, leur âge, leur condition sociale, leur religion, leur appartenance politique.
La politique de la ville relève de la responsabilité des habitants. La ville, telle que nous la voulons, est le lieu d’une réelle démocratie non seulement représentative mais aussi associative. C’est autour du pouvoir municipal que doivent se tisser les réseaux de personnes et d’associations qui forment la trame socio-spatiale de la cité. L’urbanisme et l’aménagement prennent la première place. Ils sont en charge de produire la ville : l’espace auquel s’identifient les citoyens en même temps que le système d’attribution de services à ceux qui en ont le besoin le plus évident. Les ressortissants des quartiers les plus défavorisés sont ceux qui peuvent prétendre à l’équipement le plus perfectionné, aux espaces publics le plus largement dimensionnés, à l’effort le plus intense en matière d’amélioration des logements. La ville est à penser et à organiser pour le bien du plus grand nombre, à contre-courant de la logique urbaine que l’on nous présente comme naturelle : celle de l’accaparement de la ville par les mieux nantis ou les plus débrouillards.
Dans la ville les exigences de l’urbanité et les exigences du travail trouvent un terrain d’entente. La ville doit être le lieu où l’on expérimente et où l’on pratique les possibilités d’une économie alternative à celle du néolibéralisme : une économie qui abandonne le gaspillage des ressources, qui sache distinguer entre les consommations nécessaires au bien-être des personnes et celles imposées par les producteurs, qui sache promouvoir l’usage des produits du marché local, qui valorise les applications du travail aux fonctions nécessaires à l’épanouissement des personnalités, à l’accroissement de la capacité de comprendre, de participer, de jouir.
Que faire ?
Dans toutes les villes d’Europe agissent des mouvements qui luttent contre l’expulsion des habitants du logement et du quartier où ils vivent, contre la privatisation des espaces et des services publics et pour leur développement, contre la destruction et la commercialisation du patrimoine urbain. C’est là un point de départ : il faut relier ces mouvements, prendre conscience de l’épaisseur des questions et des liaisons avec tous les autres aspects de la stratégie néolibérale, partager objectifs et outils.
Le but des actions concrètes que nos associations engagent, et auxquelles nous invitons d’autres associations, structures, groupes, experts et citoyens à se joindre, est de combattre, dans l’immédiat, les expulsions des logements, des espaces publics, des quartiers centraux, du travail, et de conquérir pour tous les habitants les droits de citoyens.
Mais en même temps nous nous proposons de travailler pour dévoiler les connexions entre les parties et le tout. Notre attention doit aller du local au national puis au global, du sectoriel au général. La stratégie du néolibéralisme se situe à différentes échelles : il faut donc se donner les moyens d’utiliser toutes les échelles où se situe la stratégie qu’on veut combattre.
Sources
Cette fiche a été initialement publiée dans le n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question