Pourquoi le logement social en Allemagne est-il devenu plus cher que le logement privé ?

Lucie LECHEVALIER HURARD, 2008

Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)

Cette fiche explique l’organisation et le financement du logement social en Allemagne, qui, à l’inverse d’autres pays, n’est pas destiné aux ménages modestes. Il s’agit de subventions publiques destinées à la construction de logements neufs et confortables qui bénéficieront aux classes aisées.

Contrairement à ce qui pourrait sembler une évidence, le logement social allemand ne se caractérise pas par son accessibilité financière pour les plus démunis. Au contraire, parce qu’il s’agit pour l’essentiel de logements neufs, mais aussi à cause de l’évolution du système de financement public, le logement social est devenu un secteur cher.

L’articleLe secteur privé du logement d’utilité publique en Allemagne nous a permis de comprendre que le « logement social » en Allemagne est en fait composé de trois branches indépendantes, animées par des acteurs de natures différentes :

C’est de la troisième branche du logement social qu’il va être question ici. Elle nous intéresse en effet car c’est elle qui fournit au logement social allemand l’une de ses caractéristiques : le logement social est majoritairement du logement neuf.

Des logements sociaux neufs, modernes et… chers

Par définition, le logement social en Allemagne est neuf puisqu’il n’est social que dans la mesure où le bailleur a obtenu des subventions publiques pour sa construction. Une fois les subventions remboursées1, le logement concerné sort de la sphère sociale. Il est remplacé dans le « parc social » par de nouveaux logements neufs.

La majorité des logements construits à partir des années 1960 sont concernés par ce système de subventions et de location à caractère social temporaire.

Cette particularité du logement social allemand amène à ce que les logements sociaux soient en moyenne et « par nature » plus modernes que le reste des logements disponibles sur le marché.

Alors que les bâtiments anciens sont encore chauffés au charbon et que les sanitaires sont à partager avec les voisins de l’étage, tous les nouveaux logements sociaux disposent du chauffage central et de toutes les commodités. Les années passant et les normes du confort moderne étant en perpétuelle évolution, ils sont peu à peu équipés de balcons, de parkings souterrains, etc.

Les logements sociaux sont plus modernes… donc plus chers.

Ce paradoxe, qui pourrait n’être qu’un effet inattendu et pervers du système, est en réalité tout à fait assumé. Le logement social est essentiellement destiné « aux couches les plus larges de la population3 » : il ne concerne donc pas spécifiquement les personnes les plus démunies.

En fait, la fourniture d’un logement aux ménages les plus pauvres devrait être assurée indirectement par un « effet de cascade » : les classes moyennes quittant leurs logements pour venir s’établir dans les logements sociaux modernes, elles devraient libérer des espaces dans le bâti ancien, beaucoup plus accessible financièrement.

Les logements sociaux sont donc par nature plus chers que les logements anciens non encore rénovés. Mais un autre facteur a abouti à ce que le secteur social se renchérisse nettement : l’évolution de la législation sur la fixation du prix des loyers sociaux.

Le loyer économique… et son explosion

Les logements « sociaux », ceux qui ont bénéficié d’aides publiques pour leur construction, sont soumis à la législation sur le loyer économique (Kostenmiete). Le loyer économique est fixé sur la base d’un calcul de rentabilité. Le loyer payé par les locataires ne peut dépasser le montant des intérêts liés à l’emprunt de capital pour la construction.

L’Etat apportant son aide à la construction sous la forme de prêts à taux zéro ou bien très faible, il ne reste à payer pour le locataire que le coût du capital extérieur, emprunté auprès des banques pour compléter l’opération immobilière. Les loyers sont donc très faibles.

Evolution des modalités du loyer économique

Cependant, dès le début des années 1970, l’Etat fait le choix de ne plus accorder directement de prêts4, et ce dans l’objectif de rapprocher le plus possible le secteur du logement social des acteurs traditionnels du marché. Il renvoie donc les bailleurs à des prêts classiques, pratiqués par les banques, à des taux beaucoup plus élevés.

Pour permettre le maintien de loyers accessibles aux locataires modestes, l’Etat passe des contrats avec les bailleurs : il finance au bailleur durant 15 ans5 la différence entre le loyer économique (le coût effectif des emprunts réalisés pour la construction) et le loyer politique, acceptable pour des ménages modestes, selon une décision prise par les pouvoirs publics.

Par exemple, si le gouvernement local fixe le niveau d’un loyer « raisonnable » à Berlin à 5 € le mètre carré, il devra payer au bailleur6 la différence avec le coût effectif du capital, qui s’élève à 20 € le mètre carré.

La prise en charge de l’Etat se réduit petit à petit au fil des années, laissant régulièrement à la charge du locataire une partie plus importante de son loyer. A l’issue du contrat de 15 ans passé avec l’Etat, les pouvoirs publics estiment que le loyer payé par le locataire doit s’être suffisamment rapproché des prix du marché pour basculer dans le système de régulation des loyers classiques (le loyer comparatif).

L’explosion des coûts

Ce système a des conséquences néfastes, puisqu’il encourage une hausse importante de l’ensemble des prix du secteur : les pouvoirs publics prenant à leur charge les coûts, l’ensemble des acteurs du secteur7 ont intérêt à voir augmenter les prix de la construction, les coûts des crédits, etc.

Cela fait exploser les dépenses publiques liées à la politique du logement.

A l’origine, les contrats de 15 ans pouvaient être renouvelés, sur la base d’un vote des parlementaires, perpétuant ainsi sur des périodes très longues l’engagement de l’Etat. Ces renouvellements ont été voté sans aucune difficulté jusqu’en 2003.

A partir de cette date, les parlementaires ont décidé de ne plus accepter des extensions de contrats : à l’issue des 15 années d’engagement, l’Etat se retire complètement du financement des loyers.

Des locataires protégés par… le marché

Les loyers ont alors « théoriquement » explosés : les propriétaires pouvaient en principe exiger de leurs locataires qu’ils leur versent le montant complet du coût du crédit, jusqu’alors en partie couvert par l’Etat.

Mais ces coûts étaient tellement élevés que les locataires n’auraient jamais pu payer de telles sommes et auraient plutôt quitté les logements qu’ils occupaient.

C’est donc seulement parce que le marché du logement locatif allemand n’est pas aussi tendu qu’il l’est dans d’autres pays que les locataires sociaux n’ont pas vu leurs loyers s’envoler.

On se trouve donc dans une situation paradoxale : les locataires sont plus protégés par le marché lui-même que par l’intervention de l’Etat sous la forme du soutien au secteur social…

Mais la pression immobilière commençant peu à peu à augmenter, on ne sait pas ce que peut réserver l’avenir aux locataires sociaux…

Ce système particulier du logement social, avec ses modalités qui ont évolué au fil des décennies, a donc abouti à d’étranges conséquences : le secteur du logement subventionné par les pouvoirs publics (donc le logement social) est devenu souvent plus cher que le logement dans le secteur privé !

Le bâti ancien, notamment les bâtiments non rénovés, est encore bien souvent plus accessible pour les foyers modestes que le logement neuf subventionné par l’Etat.

1 quelques dizaines d’années

2 80 % de la population

3 Il en accorde toujours pour chaque construction, à un niveau bien inférieur par rapport à la période antérieure, afin de garantir le maintien de la fonction sociale temporaire des nouvelles constructions.

4 donc beaucoup moins de temps qu’auparavant, quand le remboursement des emprunts, qui durait plusieurs dizaines d’années, garantissait le caractère social des logements sur un terme assez long

5 et non au locataire : on reste dans le domaine de l’aide à la pierre

6 banques, bailleurs, constructeurs, fournisseurs de matières premières, experts