Crise des quartiers, crise du logement
2007
Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)
Cette fiche fait le parallèle entre la question du logement, et surtout du logement social, les politiques d’intégration des populations issues de l’immigration et des mouvements sociaux et contestataires des « quartiers ». Elle dresse une critique des politiques publiques et notamment de la Politique de la ville qui ne s’est que rarement saisi de la question sociale pour améliorer les conditions de vie en « banlieue ».
La crise du logement est un phénomène permanent qui se manifeste sous différentes formes selon les époques.
Depuis la Seconde guerre mondiale :
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Crise quantitative liée à la destruction des villes pendant la guerre : insuffisance de logements. Réponse : cités d’urgence, insuffisantes elles-mêmes ; des familles dans des logements de fortune et sous des tentes.
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Crise qualitative pendant la période de construction massive de logement social (années 1960 et 1970) : au début des années 1970, on estime que la quantité de logements correspond à peu près au nombre de gens à loger en France. Mais se pose alors la question des conditions de logement : tandis que le logement inconfortable est encore très répandu dans les centres anciens, dans les faubourgs et à la campagne, les logements sociaux construits plus récemment deviennent très vite obsolètes ; et surtout, le cadre de vie des grands ensembles est contesté.
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Crise quantitative de nouveau après la loi de 1977 qui inaugure le désinvestissement de l’Etat du champ de la construction de logements. Il s’ensuit un ralentissement de la construction sociale et un renchérissement général du logement. Résultat : les logements de fortune (bien mal nommés) et les bidonvilles réapparaissent, les roulottes aussi, les taudis loués au prix fort… sans compter ceux qui, de plus en plus nombreux, couchent dehors.
Aujourd’hui, la situation est très tendue entre un marché du logement privé dont les coûts s’élèvent à des hauteurs vertigineuses et un marché du logement social qui reste inaccessible à une grande partie de la population qui y a droit, d’après son niveau de revenus, du fait d’attributions sélectives et discriminatoires.
La politique de rénovation urbaine a inauguré un cycle de démolition des logements sociaux et de renouvellement urbain par la construction privée ou prétendument sociale1. En ce sens, les quartiers d’habitat social sont menacés, c’est pourquoi leurs habitants se sont parfois mobilisés dans le cadre, par exemple, de la « Coordination anti-démolition ».
Qu’est-ce que la crise des quartiers ?
Le terme de « crise des quartiers » est ambigu. Il recouvre plusieurs phénomènes qui ont leurs racines dans différentes politiques publiques, principalement la politique du logement, la Politique de la ville et la politique d’intégration (ou de cohésion sociale). Mais, au-delà de ces politiques spécifiques, c’est toute l’évolution de la société française (et d’autres peut-être) qui est connotée par l’emploi du vocable de « crise des quartiers ».
Dans le sens commun, le mot « quartier » tend désormais à désigner quasi exclusivement le quartier d’habitat social plus ou moins enclavé et/ou excentré. Ainsi, du fait d’une évolution quelque peu paradoxale, on en est venu à appeler quartier ce qui est l’antithèse du quartier de ville traditionnel.
Dans le vécu de la ville, le quartier, distinct de la définition administrative du quartier, est une partie de la ville, plus ou moins nettement délimitée, signifiante pour ses habitants par une ambiance urbaine particulière tenant à un ensemble où l’histoire, la géographie, la politique et l’économie se conjuguent pour imprimer un certain style à la sociabilité et à l’image interne et externe des lieux ; s’y attachent en général une inter-connaissance largement fondée sur la durée de présence des habitants et des activités économiques dont une partie fournit de l’emploi à la population et une autre assure son approvisionnement.
Les ensembles d’habitat social ont été édifiés en grand nombre et en grande hauteur à la périphérie des villes des années 1950 au milieu des années 1970. Différentes politiques publiques ont eu des impacts contrastés sur l’évolution physique et sociale de ces ensembles et sur les représentations qui y sont attachées.
La politique du logement
Les logements clairs et spacieux qui apportaient le confort aux habitants des taudis et des bidonvilles ont assez rapidement perdu leur bonne image, moins pour leur qualité que pour celle des programmes dans lesquels ils étaient inscrits : très peu d’équipements collectifs au début, mauvaise desserte en transports en commun, éloignement des centres villes et des lieux de travail et surtout, gigantisme des opérations (de certaines du moins) qui a fait dénoncer cette politique de massification du logement comme responsable de perte de repères pour ses habitants. Progressivement, ces espaces ont été équipés sans que, pour autant, la représentation qui en est faite de vacuité et d’isolement, ne cesse. Au contraire, cette représentation a été aggravée et intériorisée par nombre de ses habitants : à mesure que les développements du marché du logement et les politiques d’attribution des logements sociaux tendaient à vider ces ensembles de leur population la plus favorisée et à les « réserver » aux catégories les plus pauvres, notamment aux immigrants, le complexe de relégation s’est diffusé au sein de ces quartiers. Et la notion de quartier est venue remplacer celle de cité ou d’ensemble, prenant en même temps une tonalité identitaire.
La politique de la ville
Les cités périphériques d’habitat social n’ont accédé en quelque sorte au rang de quartiers qu’après un certain temps, notamment sous l’effet de la politique du développement social des quartiers, appelée ultérieurement Politique de la ville. L’idée du développement social des quartiers relève d’une problématique volontariste qui entendait rendre leur fierté aux habitants de ces lieux, en dépit de leurs difficultés matérielles de vie, par une démarche globale fondée simultanément sur la réhabilitation du bâti, l’amélioration de la vie sociale et culturelle, la mobilisation des habitants pour leurs projets divers et pour l’emploi.
Après des débuts prometteurs dans une période fertile en changements (arrivée de la gauche au pouvoir, politique du Développement Social des Quartiers (DSQ) promue par quelques maires socialistes, commission nationale DSQ très militante, fin de l’interdiction faite aux étrangers de créer et de diriger des associations, d’où la floraison d’associations dans les quartiers d’habitat social et les marches pour l’égalité lancées par des jeunes nés de parents immigrés), l’orientation première a été quelque peu contredite : le changement de désignation de “développement social des quartiers” à “politique de la ville” recouvre une option de normalisation et d’assimilation, alors que le DSQ était dans la valorisation de dynamiques spécifiques et dans leur accompagnement vers l’ouverture et l’échange, pour ne pas dire l’universel.
Alors qu’à la première démarche, n’a pas été donné le temps de réussir (d’où son échec relatif), la seconde est venue banaliser l’approche de ces espaces habités et casser des constructions et des solidarités embryonnaires, d’où des frustrations qui ont fait germer ce qu’on appelle trop vite « crise des quartiers ».
La politique d’intégration
Il n’y a pas de politique publique d’intégration clairement lisible au cours des années de politique de la ville, mais un discours sur l’intégration (qui varie selon les moments). Il place l’intégration sociale sous le signe de l’assimilation et du gommage du passé colonial dans les mécanismes de l’immigration en provenance de pays qui ont fourni pendant des années la main d’œuvre nécessaire à l’industrie et au Bâtiment et Travaux Publics (BTP). Depuis, l’immigration s’est diversifiée et le terme d’intégration a été largement rejeté au profit de la mise en lumière des phénomènes de discriminations qui sévissent dans le monde du travail mais aussi du logement, des loisirs…
Au devant de la scène, les jeunes Français nés de parents immigrés sont ceux qui ressentent le plus durement le racisme manifeste dans toutes ces discriminations. Certains d’entre eux le verbalisent et en font la base d’une action sociale et politique. Mais le plus grand nombre méprise la revendication politique et s’adonne plutôt à des formes de contestation artistique ou de révolte physique comme on l’a vu avec la flambée de violence de l’automne 2005. Quelles que soient les formes adoptées, elles sont généralement incomprises et négligées, voire caricaturées. Ainsi, mettre en avant la « crise des quartiers » est une manière d’éviter de faire face à la « crise de société » qu’elle révèle et de l’analyser autrement que par des amalgames simplificateurs.
1 « Prétendument sociale » qualifie des opérations de construction dont la maîtrise d’ouvrage peut être sociale (au sens de bailleurs sociaux ou de SA-HLM) mais dont les modalités de financement imposent des prix de location supérieurs au logement social moyen.