Compétitivité, dette … et la ville ? (1)
Frédéric Bonnet, 2014
Cette fiche dresse la critique des différentes politiques mises en œuvre pour l’accès au logement (et notamment la constitution d’un patrimoine pour les plus aisés).
Compétitivité, dette, etc. L’économie est devenue un sujet, les points de vue se démultiplient, occupant de manière inédite notre espace public. Mais je vais ici parler en urbaniste, et poser quelques questions aux économistes, sur des sujets que je ne maîtrise pas, mais qui semblent bel et bien liés aux phénomènes urbains.
Nul ne nie la réalité de la dette que nous supportons tous, et son niveau dramatique. Le fait que le « coût du travail » soit plus élevé qu’ailleurs en Europe semble aussi discuté. Mais lorsqu’on écoute un ensemble de points de vue plus large, le diagnostic diffère à la fois sur les causes et les remèdes, et beaucoup ne partagent pas la stigmatisation des dépenses publiques. Il y aurait d’autres causes, certaines financières, d’autres fiscales, et d’autres enfin liées à nos modes de vie, à la répartition des richesses, à la structure des territoires.
Les politiques de la ville, du territoire, du logement depuis le début des années 1990 n’ont-elles pas joué un rôle considérable dans les difficultés rencontrées aujourd’hui ? La défiscalisation des logements d’investisseurs n’a réussi ni à modérer les coûts des loyers, ni à répondre aux besoins. Elle a par contre privé l’état de ressources considérables, en concédant aux 10% des citoyens les plus riches d’énormes avantages fiscaux. Ceci avec des produits immobiliers dont le montant est systématiquement surévalué – puisqu’il est aidé, autant ne pas se gêner – et néanmoins d’une qualité urbaine et architecturale souvent affligeante. En donnant aux français les plus riches l’occasion de se constituer un patrimoine tout en réduisant leur contribution aux dépenses publiques, elle a accentué à la fois les inégalités sociales et le déficit de la Nation. Les promoteurs arguent souvent que ces constructions ont généré une TVA non négligeable, au bénéfice de la collectivité. Mais si ces logements avaient été, comme chez beaucoup de nos voisins en Europe, acquis en fonction des besoins par ceux-là même qui les auraient occupés, ou construits par les bailleurs pour répondre au besoin indéniable - mais longtemps nié - de logements aidés, la richesse produite aurait été comparable.
Un second facteur urbain pèse lui sur la « compétitivité » : l’évolution du coût du logement depuis vingt ans. 33 % des français consacrent aujourd’hui 50 % et plus de leur revenu au logement. Les loyers comme les prix de vente ont augmenté de manière bien plus importante que les revenus depuis 1995, jusqu’à 3 fois en Île de France, à mettre en relation avec l’inflation de 30 % sur la même période. C’est un rapport de 1 à 10. Même si les salaires n’ont pas suivi cette augmentation considérable, l’écart a sans doute opéré dans les grandes villes dites « zones tendues » une pression haussière sur les salaires, pour rendre en quelque sorte plus supportable le coût des dépenses de logement. N’importe quel chef d’entreprise le sait : les demandes d’augmentation salariale des collaborateurs sont le plus souvent liées au poids excessif du loyer et des remboursements, et à leur évolution. Dans le parcours résidentiel d’un jeune salarié passer du studio occupé parfois longtemps après le diplôme à un simple deux pièces est une gageure que seule une hausse substantielle de salaire compense. Pire, le premier enfant et la suite de la famille se traduit pour beaucoup, faute d’offre abordable, par un exil territorial.
Ce qui est vrai pour les grandes villes l’est aussi pour les territoires moins favorisés. Faute de politique de logement social adapté et d’un véritable soutien de l’état, mais aussi à cause de politiques locales qui ont favorisé la construction de lotissements pavillonnaires périurbains et abandonné les centres-villes à leur destin de décroissance, bien des personnes sont soumises à un endettement lourd et des dépenses courantes en hausse. Le coût induit de ces politiques urbaines, notamment en termes de déplacement – les deux voitures, les centaines de kilomètres hebdomadaires parcourus, etc. – ont un impact fort sur les budgets des ménages. Là encore, une pression s’exerce sur le montant des revenus, pour faire en sorte que les conditions de vie de ces salariés demeurent soutenables – et jusqu’à quand ? Les appels à la modération salariale et à la baisse du coût du travail ne peuvent pas faire l’impasse sur cette situation : la plupart des français sont piégés par leurs conditions logements et captifs d’un salaire plancher. A moins de considérer que la paupérisation est leur destin.
Bref, nous avons un mode de développement urbain dispendieux, dont les coûts exorbitants opèrent une pression incessante sur le niveau des revenus – et encore, cela ne suffit pas à réduire les inégalités territoriales et à préserver d’une grande précarité ceux qui ont les plus faibles revenus. On estime à 200 euros au moins l’écart moyen entre un loyer allemand et français. Cet écart concerne les dépenses effectuées par les ménages, et donc le revenu net. Chargé (cotisations sociales et assurance chômage), il atteint le double pour les entreprises.
Deux questions, donc : la compétitivité n’est-elle pas plombée par les politiques du logement et de la ville depuis vingt ans ? Ne faut-il pas favoriser les lois qui améliorent la situation urbaine et impactent ainsi favorablement les facteurs macroéconomiques ? A ce titre, le charcutage annoncé des décrets d’application de la loi ALUR laisse songeur…
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