Ecologiquement correct

Philippe Panerai, 2013

Monde pluriel

Cet article est issu du numéro 1 de la revue Tous urbains. Bien qu’initialement étranger à ce dossier, l’équipe de CITEGO a jugé qu’il pouvait permettre de faire un contrepoint intéressant aux autres articles du dossier sur la « Gouvernance de la ville durable ».

Cette fiche propose une analyse critique des concepts de la durabilité qui reviennent systématiquement dans les discours, les projets et les plans d’aménagement, sans avoir bien souvent de réalité concrète. Le développement durable reste alors une coquille vide qui permet un greenwashing pour de vieilles méthodes.

Local/global, l’affaire est entendue, ou devrait l’être. En tous cas, personne n’oserait s’élever contre. Local/global fait partie de ces expressions consensuelles qui ont acquis une valeur rituelle, un peu comme les répliques de la messe en latin d’autrefois. Local/global nous permet aussi bien de chérir la petite ville, le quartier ou le petit village qui ont gardé leur authenticité et où le week-end de petits groupes d’Italiens, d’Américains ou de Japonais munis du bon guide s’émerveillent devant les pyramides de fruits et de légumes, les étals de la poissonnerie ou l’abondance des fromages, que de frémir avec la conscience de vivre en temps réel la grande échelle d’une ville-monde ou d’une métropole régionale dans une économie et une culture mondialisées. C’est confortable, on se sent bien, mais quelles conséquences cette formule heureuse entraîne-t-elle dans l’aménagement des villes et dans la vie quotidienne de leurs habitants.

Dans les centres villes, l’affaire semble assez simple. Elle a été engagée depuis longtemps, dès les années 70 avec les premiers contrats villes moyennes, les secteurs sauvegardés, les Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les Aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine (AVAP). D’un côté les pavés sciés qui ont l’avantage de concilier le respect du patrimoine et le confort du marcheur (ah ! ces chaussures à talon), de l’autre la proximité des grands équipements, le positionnement sur les grands flux internationaux, l’accès facile à l’aéroport et au TGV, l’ouverture sur l’arc atlantique, la fréquentation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), la liaison internet sur son portable.

Mais qu’en est-il dans les banlieues proches et les périphéries plus lointaines où le global est quotidiennement présent dans ses conséquences économiques et politiques, quotidiennement représenté à la télévision, quotidiennement accessible par internet mais toujours sur le mode virtuel ? Ne nous trouvons-nous pas de fait le plus souvent ramenés, cantonnés au local/local : débrouillez-vous avec ce que vous avez.

Bien sûr on peut toujours espérer qu’ailleurs, dans les hautes sphères inaccessibles, des technocrates et des experts veillent comme ils l’ont fait depuis des siècles sur les retenues en amont pour éviter les inondations printanières, les prévisions en matière de transports en commun pour éviter la saturation quotidienne des seules lignes existantes, les investissements nécessaires pour relancer l’emploi et les reboisements souhaitables pour limiter le réchauffement climatique. Local/global alors appelle court terme/long terme. Tout va bien, demain on rase gratis.

A l’usage, une fois dégagé de sa gangue rhétorique, et même si je l’utilise professionnellement – comment faire autrement – local/global m’apparaît comme un de ces éléments de langage inévitables et redondants qui contribuent avec une redoutable efficacité à transformer le discours de l’aménagement en une terrifiante langue de bois politico-écologiquement correcte.

Et comme une pieuse pensée ne va jamais seule, on ajoutera à local/global et à court terme/long terme, la trinité du sustainable : économique/social/environnemental. Trois cercles colorés qui s’entremêlent comme le début du logo olympique et sont censés apporter à chacun un développement heureux et solidaire dans le respect du patrimoine historique, architectural, paysager, floristique etc.

Sur le terrain, hélas, ces incantations se traduisent le plus souvent de la manière la plus bureaucratique. Alors que l’on s’attendrait, compte-tenu d’une prise de conscience des enjeux environnementaux à un réel changement des conditions et modes de travail, à un abandon des logiques sectorielles, à une capacité de penser les projets de manière évolutive, ce n’est qu’exceptionnellement le cas. On pourrait même penser que tout concourt à alourdir les procédures, à normaliser et à préfigurer les réponses, à éviter de réfléchir. Ainsi, le plus souvent l’engagement pour le durable se traduit par un « volet » supplémentaire. Dans la grande tradition bureaucratique, on remplit des cases, des formulaires et des tableaux : les 14 cibles de l’Agenda 21, les 5 priorités du nouveau Plan local d’urbanisme (PLU), le dossier de la loi sur l’eau, puis ayant soigneusement vérifié la conformité du dossier déposé, on continue comme autrefois, attentifs cependant aux éléments qui permettront de communiquer : du bois sur les façades, une noue qui borde un jardin, des panneaux photovoltaïques en toiture.

De nos jours, aucun quartier qui ne soit éco.

Je me souviens de ce panneau à l’entrée de BedZED1 : « interdit de prendre des photos et de parler aux habitants »…

1 Bedzed ou Beddington Zero Energy Development est un petit quartier, îlot résidentiel de cent logements, construit au sud de Londres par le cabinet d’architectes Bill Dunster.

Sources

Pour consulter le PDF du du numéro 1 de la revue Tous Urbains