Egaliser les territoires ou réguler l’urbanisation de la société
Jacques Donzelot, 2013
Cet article, issu du numéro 1 de la revue Tous urbains, propose une analyse critique et rétrospective de la Politique de la ville et dégage des pistes de réflexion pour dépasser les clivages idéologiques comme fonctionnels.
Le gouvernement français a rendu publique à la fin février 2013 la nouvelle orientation qu’il entend donner à la Politique de la ville. Il y va d’une liste très large de mesures concernant tant le périmètre de l’action (restreint) que les modalités de celle-ci au niveau central (transversalité) comme au niveau local (rôle déterminant attribué aux intercommunalités) ainsi que des décisions concernant chaque secteur (école à partir de deux ans, emplois francs en expérimentation, maisons de justice, etc.). La tonalité de l’ensemble a été indiquée par un discours du Premier Ministre annonçant que « L’Etat est de retour dans les quartiers » et que cette politique s’inscrit dans une stratégie visant l’égalité des territoires.
Annoncer ainsi « le retour de l’Etat » dans ces territoires revient à dire que la droite, durant la dernière décennie, l’en aurait détourné et que la gauche le rétablit dans son rôle. Cette affirmation soulève, pour le coup, la question de savoir si le rapport au territoire constitue bien une ligne de partage entre la gauche et la droite dans l’histoire de cette Politique de la ville.
La réponse à cette question parait relativement aisée. Oui, on peut dire que la gauche a privilégié une approche « territoriale » durant les années 1980/90.
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En se donnant d’abord pour objectif durant les années 80, « d’aider les gens dans les lieux où ils vivent » (à travers le soutien à la vie associative dans le cadre du programme de développement social des quartiers).
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Ensuite, en visant à y « renforcer les moyens de l’Etat » (selon l’expression de François Mitterrand à Bron en 1991), c’est-à-dire en y augmentant le nombre des fonctionnaires et leur stabilité dans les lieux par des primes, ainsi qu’en y créant des emplois subventionnés (dont surtout les emplois jeunes sous Lionel Jospin).
La droite quant à elle vise plutôt à faciliter les flux financiers et les flux de personnes entre ces quartiers et le reste de la société.
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En faisant pénétrer le marché dans les quartiers (par les zones franches qui y créent de « vrais emplois » et non des « emplois fictifs », par la rénovation urbaine qui diversifie les statuts de l’habitat et y instille la possibilité de l’accession à la propriété).
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En extrayant de ces quartiers les individus méritants à travers la montée de la thématique de la réussite (la réussite éducative de Borloo, le programme « Ambition-Réussite » qui autorise les élèves ayant eu une mention très bien au BEPC à aller dans le lycée de leur choix, les internats d’excellence, les cordées de la réussite pour l’accès aux grandes écoles).
A part la rénovation urbaine qui satisfait les élus de tous bords par la visibilité qu’elle procure à leur action, cette politique des dix dernières années n’a pas vraiment emporté l’adhésion, ni des professionnels, ni des maires, ni des habitants. Mais pourquoi une politique de dynamisation des territoires réussirait-elle mieux que durant les années 80/90 ? A cette seconde question, le gouvernement Ayrault apporte une réponse par l’avancée de deux mesures susceptibles, selon lui, de modifier l’efficacité de sa politique « territoriale ».
Tout d’abord, la décision de faire monter en régime la participation des habitants : il s’agit d’augmenter le « pouvoir d’agir » des habitants, leur « Empowerment » selon la formule américaine devenue tout à coup très prisée tant par les professionnels de la Politique de la ville que par le Ministère qui l’a en charge. Aux États-Unis, cette formule fait sens à travers l’autonomie de la vie associative par rapport aux pouvoirs officiels (locaux et fédéraux) car le mode de financement de leur action dépend surtout d’autres sources (les fondations privées très importantes, les banques aussi, tenues à accorder des prêts à des taux très bas pour les projets émanant des associations). En France, le financement des associations dépend quasi-exclusivement de la puissance publique via les élus municipaux. Le « pouvoir d’agir » des habitants se trouve ainsi placé sous la dépendance directe des élus locaux. Il suffit d’assister à une réunion d’élus et de responsables associatifs pour comprendre la docilité des seconds par rapport aux premiers et les limites de l’exercice dit d’Empowerment.
C’est bien ce clientélisme associatif des élus locaux que la seconde mesure avancée par le Ministère de la Ville pourrait viser à dépasser, en optant pour une conduite supra-communale de cette politique… Mais, dans ces communautés de communes, le Maire reste le principal décideur de ce qu’il convient de faire. Pour qu’un tel changement d’échelle soit productif, il faudrait que les responsables de l’entité supra-communale soient élus au suffrage universel direct. Cela permettrait d’inscrire la politique des quartiers dans une perspective d’ensemble de l’espace urbain et non comme des anomalies localisées. Cela faciliterait également la passation d’accords avec les communes petites et moyennes de l’aire environnante, de réguler avec elles l’urbanisation, les transports, les services… Au lieu de laisser monter la complainte populiste des « relégués » du périurbain.
Pour le coup, une troisième question s’impose : ne faudrait-il pas changer le référentiel de cette politique, s’occuper donc de mieux maitriser les différents processus d’urbanisation de la société plutôt que parler d’égalité des territoires ? Car parler ainsi, c’est faire comme s’il s’agissait de remplir des creux avec du trop-plein, comme si l’on était encore dans l’opposition entre « Paris et le désert français ". Alors que l’urbain se trouve affecté par deux mouvements en sens inverse et appelant chacun une régulation particulière.
Il y a le mouvement qui conduit du village à la ville. Soit la principale composante de la population des Zones Urbaines Sensibles (ZUS), issue de l’immigration dite récente et encore rurale dans ses codes de solidarité. Ces ZUS ne sont pas des anomalies qu’il faut normaliser par une mixité imposée mais des « quartiers tremplins » (selon l’expression de Doug Saunders) dont il faut élargir les solidarités et développer les connexions physiques et sociales avec la ville.
Il y a le mouvement qui va de la ville au village, qui périurbanise tout le territoire rural. Poussé par le désir de ceux qui veulent profiter des avantages de la campagne sans perdre ceux de la ville, quitte, parfois, à se trouver perdus par la distance à parcourir et la dette à rembourser. Ce processus est à la fois condamné moralement et presque totalement livré à lui-même au nom de la liberté des élus soucieux d’éviter la désertion de leur territoire.
Pour agir sur ces deux processus avec quelque esprit de conséquence, il faut savoir de quoi l’on parle plutôt que psalmodier les mots d’égalité et de territoire au seul motif de leur résonance républicaine.
Références
Pour consulter le PDF du du numéro 1 de la revue Tous Urbains
En savoir plus
Pour en savoir plus sur les quartiers tremplins de Doug Sanders