Porto Alegre, après la Coupe

Philippe Panerai, 2014

Monde pluriel

Cet article (issu du numéro 8 de la revue Tous urbains) expose, à travers le cas de Porto-Alegre (Brésil) la problématique des dynamiques métropolitaines américaines. Malgré un objectif de ville durable, les aménageurs n’ont pas encore réussi à imposer une nouvelle révolution de la mobilité, c’est-à-dire de permettre l’accès aux transports en communs, le développement de la piétonisation et des mobilités douces et surtout la fin du « tout-voiture ».

Quelques semaines après la clôture du Mundial – ici on dit la Coupe –, Porto Alegre, comme les autres villes brésiliennes, fait les comptes. Malgré l’élimination de l’équipe nationale, un sentiment de fierté domine, la coupe a eu lieu, sans drame ni difficulté majeure ce qui augure bien des futurs J.O., le Brésil a connu une ouverture médiatique sans précédent consacrant son entrée dans le club des grands et tournant définitivement la page des années de dictature et des désordres financiers qui ont suivi. Venant à point nommé à la veille de la campagne présidentielle, la réussite de la Coupe qui joue en faveur de la réélection de Dilma consacre sans aucun doute la reconnaissance de Lula, président charismatique d’un pays apaisé et qui connaît un début de bien-être avant le fléchissement actuel.

A Porto Alegre cette fierté nationale n’interdit pas les critiques : le coût excessif des infrastructures dont certaines apparurent inutiles ou disproportionnées, les soupçons de corruption, la montée des prix de l’immobilier, les ratages spectaculaires comme le pont suspendu retardé pour défaut de structure qui ne sera finalement ouvert au trafic que fin août alors qu’il devait faciliter l’accès du Beira stadium, le stade de l’Inter rénové pour l’occasion, ou la livraison du second stade (le Grêmio) trop tardive pour son homologation. Sans compter le métro aérien de 200 m qui conduit les voyageurs étonnés de l’aérogare à la vieille station terminus de la seule ligne du métro.

Mais on préfère se satisfaire du coup de fouet porté aux infrastructures routières et du presque achèvement du parc littoral sur les terrains remblayés en bordure du Guaïba. L’aménagement de près de 500 ha dont le souhait et les premières études remontent à plus de 30 ans, concrétise un projet d’échelle métropolitaine pour organiser les relations entre le centre historique et l’extension de la ville vers le sud.

L’enjeu métropolitain n’est pas un fantasme. La région métropolitaine de Porto Alegre créée en 1973 et régulièrement agrandie depuis vient d’intégrer ces jours-ci sa 34ème commune. Avec plus de 10 000 km2, presque 4,4 millions d’habitants et 95 milliards de Reals de PIB elle est pour la population et pour l’économie la quatrième région métropolitaine du Brésil après Sao Paulo (20 millions d’habitants / 613 milliards Reals), Rio de Janeiro (11,8 millions d’habitants / 233 milliards Reals) et Belo Horizonte ( 5,12 millions d’habitants / 133 milliards Reals), la troisième pour la richesse par habitant. Les habitants y voient la récompense méritée des vertus traditionnelles du sud : goût du travail et respect de l’ordre. Développant une promenade de 7 km, le parc magnifie le rapport de la ville au paysage à une échelle qui dépasse le site de la capitale historique et met en valeur le fleuve devenu ici lac avant de se métamorphoser en une lagune de 200 km ouvrant sur l’océan. Il enchaîne les projets emblématiques : au pied du centre historique, l’ancienne usine électrique, reconvertie dans les années 90 en centre culturel, le stade rénové, la fondation Ibere Camargo, nouvelle icône de la ville, dessinée par Alvaro Siza, auxquels se mêlent des projets commerciaux : le vieux Shopping de Praias Belas des années 80, près du stade et, point d’aboutissement du parcours, le tout nouveau Shopping Barra Sul signalé au loin par les deux tours “Diamants” avec les opérations immobilières qui l’accompagnent .

Et liant tout cela, des terrains de sports et de jeux, des tables et foyers pour le churrasco (barbecue local élevé au rang de rite national), des marchés de produits régionaux célébrant la culture “gaucha”, des aires de détente, des jardins, des lieux pour les concerts, des pistes cyclables. Tout cela témoigne d’une volonté constante dont on mesure aujourd’hui les effets. Toutes les communes de la métropole peuvent s’y reconnaître, toutes les strates de la société peuvent en profiter.

Pourtant aussi spectaculaire soit-il, le projet me semble poser quelques questions liées à la difficulté d’accéder à la majorité des équipements autrement qu’en voiture. Si l’ancienne centrale électrique est facilement accessible, personne n’imagine aller au stade ou à la Fondation Ibere Camargo par les transports en commun et si d’aventure vous tentez depuis celle-ci de rejoindre à pied le Shopping Barra Sul, c’est par un trottoir malaisé, mal entretenu et en traversant des voiries rapides sans passage signalé que vous atteindrez à vos risques et périls l’entrée voiture – la seule – du centre commercial Barra Sul.

Tout cela semble étrange dans une ville devenue depuis le Forum mondial de 2001 le symbole de la démocratie participative et qui a connu l’an dernier une mobilisation sans précédent pour l’amélioration des transports en commun et la réduction de leur coût. C’est un peu comme si le piéton restait l’éternel oublié, et avec lui une part significative de la vie urbaine. Vous me direz que c’est la nature même des villes américaines dont l’échelle suppose l’usage intensif de la voiture et que ce n’est pas propre à Porto Alegre. Sans doute et ce qui se passe ici révèle un problème plus général, une société à deux vitesses : ceux qui ont l’usage de la voiture et les autres. Paradoxalement parmi les grandes villes brésiliennes c’est peut-être à Brasilia qu’il est le plus facile d’être piéton.

Sources

Pour consulter le PDF du du numéro 8 de la revue Tous Urbains