Un train de retard, un train de sénateur
Jean-Pierre Charbonneau, mars 2014
Dans cette fiche, l’auteur met en avant le décalage temporel entre l’action publique urbaine et les modes de vie urbains.
Bien souvent, l’action publique urbaine possède un train de retard. Explications.
Chaque mandat électoral est l’occasion de redéfinir des priorités. Elles passent souvent par des projets emblématiques, les maires, bâtisseurs, souhaitant laisser leur empreinte. La majorité de l’argent publique y est consacrée, leur temps de réalisation va de 6 ans pour les plus rapides à 20 ans parfois. Ils sont censés donner aux villes le dynamisme qui leur manque et la machine opérationnelle se met alors en marche.
Dans le même temps, la vie urbaine évolue, les quartiers changent, certains voient leur commerce, leurs espaces publics, l’habitat se dégrader. Le contexte économique bouge, le temps de l’entreprise, de l’emploi est plus rapide que celui de l’urbain. Alors, quand la réalisation advient, elle peut se retrouver décalée de la réalité. De plus, ayant mobilisé argent, moyens humains et attention, elle a participé à la déqualification du reste du territoire. Ce n’est pas un scénario catastrophe mais une pratique courante, présentée ici de façon caricaturale.
Un train de retard mais aussi un train lancé qu’il est parfois difficile d’arrêter ou de réorienter : un autre des travers est la répétition d’initiatives dont on ne prend pas le temps d’actualiser la pertinence. Ainsi, il est courant de continuer à mettre des budgets conséquents sur la fonctionnalité de voiries même si les politiques privilégient les transports en commun. Et puis telle priorité à une époque ne l’est peut-être plus à une autre, parce que les modes de vie ou les problèmes ont changé. Il fallait ainsi défendre la rénovation des espaces publics en son temps. On devait en montrer l’importance, y mettre les moyens. Consensuelle, il n’est plus nécessaire d’y allouer des budgets importants. L’on continue pourtant à réaliser des projets somptuaires : la machine est lancée et il est compliqué de faire abandonner ou évoluer des principes que l’on a parfois soi-même participé à mettre en place.
Les politiques publiques doivent se réinterroger en continu et adapter leurs capacité à agir aux résultats de ces réflexions. Mais il n’est pas aisé d’utiliser autrement les budgets disponibles, de réorienter les moyens humains vers des problèmes avérés, des priorités décidées, de faire évoluer les compétences vers des sujets nouveaux, d’en abandonner d’autres. Faut-il continuer à allouer des personnels nombreux et expérimentés sur le sujet des permis de construire alors que l’on souhaite dynamiser la construction de logements et que la multiplication des règles le contredit. Il est édifiant de comparer le nombre et la qualité de notre production de logements à celle de certains pays étrangers dans lesquels les règles sont moins strictes.
Par un effet collatéral, les budgets d’investissements grossissent, ceux de fonctionnement sont limités au maximum. Ce qui ne peut être mécanisé disparaît, il y a de moins en moins de personnel pour assurer des services, des besoins quotidiens. Tokyo : on peut aller aux toilettes quand on en a envie. Paris : comment faire si l’on n’a pas de pièce pour les sanisettes, si l’on n’aime pas le café? Tokyo : des plantes, des fleurs dans les rues, sur les façades. Dans les grandes villes françaises, l’évolution : des arbres, des plantes décoratives dans quelques massifs, ailleurs du minéral. On comprend le souci des services d’espaces verts : le nombre de leurs agents diminue. Mais ils deviennent du coup les pires ennemis du végétal en ville (dixit un paysagiste qui s’y connaît) !
Alors « 20 ans après »… L’idée doit s’imposer que l’action urbaine est une attention continue aux territoires. Elle ne s’arrêtera pas de sitôt et c’est tant mieux. Des solutions ? En voici quelques-unes sans exhaustivité : se préoccuper de l’ensemble des territoires et pas de quelques sites seulement, ne pas toujours penser nouveauté, grand projet, rénovation complète mais gérer avec soin, être attentif à l’existant, réparer, recycler. Faire ce qui est nécessaire aujourd’hui et demain, en tenant compte des budgets disponibles et sur une période de temps limitée. Ne pas appliquer des recettes mais réfléchir analyser, utiliser de la matière grise et choisir, décider des priorités… Serait-ce la maturité de l’action urbaine que de se préoccuper du présent et de ce qui va advenir, et non de planifier un futur hypothétique pour lequel personne d’ailleurs n’aura à rendre de compte ?
Références
Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°7