Puissances de Sao Paulo

Olivier Mongin, 2013

Monde pluriel

Cet article expose les problèmes de définition de la ville de Sao Paulo, entre mégapole et métropole, dont la dynamique de ville globale ne cesse de s’accentuer. Sao Paulo synthétise les grands enjeux de la gouvernance territoriale, dans un contexte de croissance rapide et d’apparence exponentielle.

Sao Paulo, ville-monde, mégapole, mégalopole, ville-monstre… Plus les termes abondent, moins ils sont pertinents pour désigner ce territoire de 20 millions d’habitants qui s’étend à 800 mètres d’altitude dans l’Etat de Sao Paulo face à un front montagneux qui la contient à l’ouest. C’est que cette métropole est biface : à la fois une « ville élusive » comme Johannesburg1 au sens où elle échappe, où elle est difficilement saisissable, attrapable, et « une ville- pieuvre » au sens où elle ne cesse de bouger, de se mouvoir, de se déplacer. Tel est le paradoxe qui s’impose d’entrée de jeu : Sao Paulo est au Brésil la capitale financière (elle fut un temps la capitale politique et a eu des velléités de sécession), une ville de la puissance économique qui se démarque très fortement de Rio de Janeiro, des cariocas, du football et de Copacabana2. Sao Paulo est à sa manière une ville globale, le laboratoire et la chaudière économique du Brésil, une ville difficile d’accès où les hommes d’affaires se déplacent souvent par hélicoptère (600 héliports à Sao contre 100 à Los Angeles)3, une ville où ne viennent pas les touristes, une ville qui n’a pas de cartoguide comme Rio, Salvador ou Belo Horizonte. Telle est Sao Paulo : une ville de la puissance économique née de la rente caféière, une ville qui attire en conséquence les travailleurs, qualifiés ou non, venus du Nordeste ou de l’étranger, les uns et les autres confrontés à un mal-logement dramatique. Mais faut-il en rester là et voir dans cette métropole géante et épuisante un mixte de Mumbaï pour la bidonvillisation et de ville globale dont la fameuse Paulista, le fameux chemin de crête bordé de gratte-ciels est le symbole orgueilleux ? Certainement pas. Cette ville a très vite forgé les éléments de sa réussite : la création d’une université publique internationalement reconnue, l’USP, dès 1938, la verticalisation immobilière qui est à l’origine des tours de la célèbre avenue Paulista et d’opérations immobilières fort contestables ; mais aussi nombre d’éléments qui vont de pair avec les caractéristiques de « la ville créative » chère à Richard Florida et aux édiles de la ville (elles sont rappelées comme un rituel dans les guides des grands hôtels) : le nombre de brevets, le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur ; mais aussi le respect d’une tolérance déclinée au pluriel : tolérance envers la communauté homosexuelle, présence d’une population bohême-artiste (biennales et musées y jouent un rôle essentiel comme hier à New-York), diversité et cosmopolitisme (Sao Paulo est la deuxième ville italienne au monde, la deuxième ville japonaise, la deuxième ville libanaise, et les coréens du sud arrivent aujourd’hui en nombre). Sao Paulo, la ville pieuvre est d’abord une grande ville d’immigration (ce que cache souvent la misère issue des migrations internes) qui intègre ceux qui y trouvent leur place comme dans peu d’endroits au monde. Telle est la fierté du pauliste qui vante sa ville activiste et biface : une métropole à la fois violente, dure et tolérante.

Mais cela s’accompagne d’un dernier paradoxe : la difficulté d’une gouvernance politique susceptible de mettre en œuvre un urbanisme adapté, ce qu‘a montré la revendication urbaine du début de l’été 20134 (absence de lignes de métro, pleins pouvoirs à la voiture qui peut se faire pourtant oublier dans une ville qui passe facilement le soir et le dimanche du travail au plaisir et à la licence5)… D’où ce dernier constat : incapable de résoudre ses problèmes de transports et de connexion (le TGV Rio/Sao Paulo annoncé par tous les magazines à l’occasion de la coupe du monde de 2014 et des jeux Olympiques de 2016 est toujours dans les placards ! ) le territoire se déplace au niveau de l’Etat comme une espèce de serpent de mer : l’aéroport international de Garulhos étant aujourd’hui incapable d’assurer le trafic nécessaire, un nouvel aéroport (celui-ci doit être le principal aéroport d’Amérique du sud dans les années à venir) a été conçu (autour d’une nouvelle compagnie d’aviation) à Campinas (une ville de deux millions d’habitants située à 100 km au nord du centre de Sao Paulo et dynamisé par deux grandes universités) afin de répondre à ce blocage. On voit que la ville n’hésite pas à répondre à ses faiblesses en s’appuyant sur un Etat fédéré qui lui non plus n’est pas sans faiblesses. Mais, dernier point, il ne faut surtout pas croire que cette ville n’est pas habitée : au-delà du mouvement lié à la gratuité des transports, un projet de rénovation urbaine du centre (celui de Nova Luz qui avait pour but d’expulser pauvres et classes moyennes du centre-ville au profit de la construction d’un quartier d’affaires et résidentiel offert à des promoteurs proches de la classe politique) a été remis en cause par le nouveau maire PT (Parti des travailleurs) F. Haddad6. Celui-ci aura-t-il la capacité de mette en œuvre un urbanisme métropolitain adapté à cette ville qui n’est pas aussi sauvage qu’on veut la croire, une ville plus habitée qu’on l’imagine. Telle est la forte personnalité, quasi intimidante pour bien des autres villes du pays, de Sao Paulo, cette plate-forme urbaine dont Claude Lévi-Strauss avait pressenti dès 1935, elle avait à peine 2 millions d’habitants, qu’elle se développait déjà beaucoup trop vite.

1 Voir Sarah Nutall, Achille Mbembe (sous la dir. de), Johannesburg. The Elusive City, Durham, Duke University Press, 2008.

2 São Paulo est lié au port de Santos sur le plan maritime à soixante kilomètres en aval plus qu’au littoral.

3 Autre constat qui ne trompe pas : les vols de São Paulo pour l’Europe sont ceux où les classes affaires connaissent un grand succès (comme dans le cas de Shanghai, Singapour ou Dubaï…).

4 Voir le texte de Philippe Panerai dans Tous urbains, novembre 2013, n° 3.

5 Voir mon texte à paraître dans Tous urbains sur le caractère multiface de la Paulista.

6 Voir les travaux de C. Poirot-Delpech et de Lucas Mongin

Références

Lien vers le PDF du n° 4 de Tous urbains

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