Mobilisation d’habitants à la rédaction de fiches Agenda 21 local
Pascale Thys, mai 2008
Cette fiche a été élaborée dans le cadre d’un échange d’expériences sur les pratiques de Bonne Gouvernance en matière d’habitat et de gestion des déchets entre le Congo et la Belgique en 2007 et 2008.
Elle présente le retour d’expérience de l’auteure concernant la méthodologie participative mise en place par la Maison de la Participation à Bruxelles en Belgique.
A l’origine du projet
En 1992, lors du sommet de la Terre de Rio, 173 pays adoptent le programme Action 21 appelé en anglais Agenda 21. C’est une déclaration qui fixe un programme d’actions pour le XXIe siècle dans des domaines très diversifiés afin de s’orienter vers un développement durable de la planète. Ainsi, Action 21 énumère quelque 2500 recommandations concernant les problématiques liées à la santé, au logement, à la pollution de l’air, à la gestion des mers, des forêts et des montagnes, à la désertification, à la gestion des ressources en eau et de l’assainissement, à la gestion de l’agriculture, à la gestion des déchets. Aujourd’hui, le programme Action 21 reste la référence pour la mise en œuvre du développement durable au niveau des territoires.
Dans le cadre du chapitre 28 de cet Agenda 21, les collectivités territoriales sont invitées, en s’appuyant sur les partenaires locaux que sont les entreprises, les habitants et les associations, à mettre en place un Agenda 21 à leur échelle, appelé Agenda 21 local.
Enjeux et objectifs
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Trouver une fenêtre commune entre les habitants et l’institution publique, la Délégation au Développement Durable de la Ville de Bruxelles
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Élaborer une méthode pour faire participer les habitants à l’élaboration d’un Agenda 21 local.
Un Agenda 21 local à Bruxelles en Belgique
En 1994, c’est la Délégation au Développement Durable de la Ville de Bruxelles qui reprend l’idée de réaliser un Agenda 21 local à Bruxelles. En 2005, le Conseil communal décide de réaliser un plan d’Agenda 21. A ce moment, ils demandent à la Maison de la Participation de Bruxelles Ville d’organiser des réunions d’information dans les quartiers afin de présenter l’Agenda 21. Nous proposons alors aux habitants présents de laisser leur adresse s’ils souhaitent être recontactés pour collaborer. Les autorités publiques pensaient qu’il était possible de mener des projets participatifs partout dans la Ville, mais nous leur avons dit que ce n’était pas possible en termes de ressources et de temps. Nous avons alors décidé de cibler un quartier.
Nous avons proposé le quartier de Neder Over Heembeek parce que c’était là qu’il y avait eu les réactions les plus concrètes des gens lors des exposés sur l’Agenda 21, ceci étant dû au fait qu’il y avait eu des inondations cet été-là. Les problématiques de l’eau, des inondations et du territoire rentraient bien dans un Agenda 21 local. De plus, il existe encore des friches urbaines dans ce quartier, des espaces verts à aménager, de l’urbanisme à terminer.
On a dû discuter avec la Délégation à la Ville sur ce que l’on pouvait réaliser vraiment avec les habitants. Au départ, ils nous demandaient de donner aux habitants une formation à l’Agenda 21 local en ayant déjà décidé des problématiques sur lesquelles ils allaient travailler, ensuite on amènerait des experts pour donner des informations aux gens et finalement ils devenaient capables de se réunir pour définir ce qui est à faire dans leur quartier et commencer à réaliser cela pour eux-mêmes.
On laissait donc aux gens la responsabilité de faire « prendre la mayonnaise » dans leur quartier sur la base de trois éléments : c’est quoi un Agenda 21 ? – la problématique qu’on a déterminé pour eux et la formation qu’on leur a donnée sur cette problématique. Même si c’est participatif, nous n’avions pas les moyens de réaliser cela en quelques mois !!! De plus, on était gêné car, pour un vrai processus participatif, la problématique doit être déterminée par les participants et pas imposée par les autorités publiques ! Enfin, il n’y a souvent dans ces projets « aucune carotte » : on a dit aux gens ce qu’est l’Agenda 21 et le développement durable et ils doivent passer à l’action. Ils réalisent des actions pour eux-mêmes qui auront – pense-t-on – un effet d’entraînement. Mais alors, ne risque-t-on pas de se retrouver devant un pouvoir public qui fuit ses responsabilités sous le couvert de la participation ?
Méthodologie - Déroulement – Public cible
Vu que la Ville avait décidé de fonctionner par la réalisation de fiches thématiques, on allait rédiger des fiches thématiques avec des habitants. La consigne était que ces fiches devaient pouvoir être portées également par des habitants, mais il y avait possibilité d’inscrire aussi des demandes d’appui, que ce soit de la part de la Ville ou d’ailleurs.
Ensuite, on a prévu de répartir les idées des participants en 3 boîtes de couleur :
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La boîte rouge permettait aux gens d’exprimer leurs revendications aux pouvoirs publics, revendications qui n’avaient rien à voir avec l’Agenda 21 local, mais qui seraient renvoyées aux autorités par nous.
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La boîte verte correspondait aux projets que les habitants peuvent mener eux-mêmes, indépendamment des pouvoirs publics.
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La boîte orange comprenait les projets qui nécessitent l’implication des pouvoirs publics, mais qui se mènent en collaboration avec les habitants.
Dans tous les cas de figure, les boîtes vertes et oranges se montrent très participatives.
On a organisé l’information et cela a débouché sur la rédaction de 6 à 8 fiches qui avaient la forme d’un canevas imposé : description du projet, description de la problématique à laquelle cela répond, prise en compte des 4 piliers du développement durable (économie – social – environnement – participation), description des moyens à mettre en œuvre.
Pour mobiliser les habitants, on avait repris contact avec ceux qui s’étaient inscrits lors des rencontres préliminaires pour expliquer l’Agenda 21. On leur avait téléphoné en leur disant qu’il y aurait 6 réunions (5 en soirée et 1 en journée) entre juin et octobre 2005, ceci afin de sécuriser au maximum les gens en terme d’investissement.
Parmi les participants, il y a eu deux associations très connues du quartier ainsi qu’un expert de la problématique de l’eau, professeur d’université, ce qui a beaucoup aidé le groupe à structurer sa pensée. Nous n’avons eu personne venant des logements sociaux, mais nous n’avons pas cherché à les impliquer en allant les chercher car c’était un travail de création intellectuelle et cela aurait été difficile de les mobiliser à ce stade sur un laps de temps si court et sans sécurité de réalisation. Par contre, on a eu dans le groupe le souci d’expliciter comment on allait aller vers le tout public local à partir de ces fiches d’action.
Un Processus Participatif global
« Ce que je comprends de l’Agenda 21, c’est qu’on reconnaît l’expertise locale des gens qui sont sur le terrain et que cette expertise est déterminante ». Par ailleurs, l’Agenda 21 doit aussi servir à mobiliser les ressources locales. Ma fiche préférée est celle où on propose aux gens d’installer partout des limitateurs de consommation d’eau en utilisant une entreprise locale qui vend du matériel de plomberie, en utilisant le centre de formation en alternance du quartier et on va proposer cela aux jeunes du quartier qui sont en recherche d’emploi ou en formation. Pour moi, c’était la plus belle fiche Développement Durable ! » (P. Thys)
On se rend compte au niveau local qu’il existe une confusion permanente entre l’existant et le développement de projets Agenda 21 locaux. Il y a des actions menées à la Ville qui pourraient avoir l’étiquette Agenda 21, mais ce n’est pas réalisé dans le cadre d’une politique volontaire Agenda.
Quand on parle de processus participatif, cela implique une page blanche de départ et une page blanche d’arrivée et il faut une continuité entre les deux, mais cette continuité n’implique pas que ce soient les mêmes personnes qui doivent porter tout le processus d’un bout à l’autre. Ce n’est pas possible vu la spécialisation des tâches. Il faut pouvoir définir des étapes et penser cette continuité par étape. Reste alors à trouver dans ce type de processus qui va tenir la boussole pour assurer cette continuité.
10 Principes de Bonne Gouvernance
10 questions ont ensuite été posées lors de cet entretien pour mieux comprendre comment cette expérience peut s’approcher des principes de Bonne Gouvernance énoncés par l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire1 et ce, afin d’échanger ces pratiques avec celle du Congo en matière d’habitat et de gestion des déchets.
1- Se fonder sur une approche territoriale et le principe de subsidiarité
Il s’agit ici de travailler sur un quartier déterminé avec des gens qui sont experts de leur territoire. C’est leur expertise qui permet de créer les bases de projets sur des échelles de territoire divers dans une dimension de reproductibilité.
2- Instituer un dialogue au sein de communautés plurielles
Les fiches projets réalisées ici ont pour souci de favoriser ce dialogue à travers des actions concrètes locales. Elles ne pouvaient être mises dans le lot des fiches proposées aux pouvoirs publics que s’il y avait unanimité quant à son contenu.
3- Remettre l’économie à sa juste place
D’une part, l’idée est qu’il faut mutualiser l’expertise locale (bien qui se multiplie en se partageant) pour réaliser des actions Agenda 21. D’autre part, le groupe a eu le souci de prendre en charge une réflexion sur la gestion publique des ressources en eau, notamment en incitant la Ville de Bruxelles à développer un modèle mathématique sur cette question.
4- Se fonder sur une éthique universelle de responsabilité
Oui, cette éthique de responsabilité était partagée par les participants du groupe dans le cadre d’un débat sur l’eau en lien avec la création d’un Agenda 21 local. C’est d’autant plus vrai que les participants s’engageaient bénévolement à réfléchir ensemble sans certitude quant à un quelconque résultat réel.
5- Définir un cycle d’élaboration de décision et contrôler les politiques publiques
Pas vraiment. Ce principe sera peut-être mis en action si les fiches débouchent sur des projets concrets.
6- Organiser la coopération et les synergies entre acteurs
Entre acteurs participants aux rencontres, oui, mais pas avec les autres (administration, etc.). La Maison de la Participation, organe de l’Administration de la Ville de Bruxelles a pu vivre certains changements culturels dans son fonctionnement, mais pas l’ensemble de l’administration.
7- Concevoir des dispositifs cohérents avec les objectifs poursuivis
A ce stade, on peut dire que les fiches rédigées sont très cohérentes face aux objectifs de l’Agenda 21 local, y compris dans le dispositif de mise en œuvre des projets. Les participants ont interpellé les autorités locales sur le devenir de ces fiches et il leur a été répondu qu’elles seraient jointes au programme Agenda 21 local. Seule une vraie réalisation permettrait de mesurer la totale pertinence de ce qui a été proposé.
8- Maîtriser les flux d’échange des sociétés entre elles et avec la biosphère
Il y a eu une maîtrise plus grande des enjeux au sein du groupe des participants. Quelques critères devaient figurer dans les fiches élaborées :
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Des indicateurs définis
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Une reconnaissance du capital social local
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Association de la Ville de Bruxelles lors de certaines manifestations
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Proposition de réaliser des fiches techniques sur des questions plus techniques liées à l’empreinte écologique.
9- Gérer la durée et savoir se projeter dans le temps
Au niveau de l’organisation du groupe, on peut dire oui à cette question : la réalisation des fiches d’expérience a duré 5 mois, avec un début et une fin. Les projets proposés le sont à long terme avec des cohérences de timing entre les projets.
Cependant, à ce stade, la Ville de Bruxelles n’a encore rien mis en œuvre depuis plus d’un an et demi, ce qui est démotivant pour les personnes. Il faut remarquer que la réalisation d’un rythme global à travers les Agenda 21 locaux est un vrai problème.
10- De la Légalité à la légitimité de l’utilité, des valeurs, des méthodes
Le projet répond à un besoin réel : celui des problèmes d’inondations dans ce quartier pour les habitants, celui de la gestion de l’eau au niveau de la Ville de Bruxelles et celui de proposer un cadre participatif pour l’Agenda 21 local. Le projet a aussi acquis une certaine légitimité grâce à la reconnaissance par le responsable (le Bourgmestre) de l’intérêt des fiches qui ont rejoint le dossier global. La Maison de la Participation a été jugée légitime dans son action.
Retours d’expérience de l’auteure
Quelques définitions de la méthodologie utilisée pour cette expérience
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Reproductibilité : C’est reproductible ; l’originalité est de partir du résultat final espéré et de mettre le processus pour y arriver sous forme de fiche projet. Si c’était à refaire, les fiches cibleraient davantage encore les piliers du Développement Durable afin d’amener les participants à y réfléchir encore plus de manière intégrée, systémique.
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Auto évaluation : La participation devient le prétexte pour aller chercher l’expertise locale pour réaliser un Agenda 21 local qui demande un volet participatif. La Maison de la Participation continuera le travail si et seulement si elle a un mandat clair de la Ville pour le faire.
Les questions que pose cette expérience
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Est-ce que la fusion des territoires locaux (fusion des communes en Belgique) n’est pas une absurdité car si les grandes entités ont plus de moyens, elles deviennent aussi totalement éloignées des préoccupations des citoyens ? Plus d’efficacité et moins d’efficience ! Comment réaliser des Agenda 21 locaux avec cette préoccupation des spécificités territoriales lorsque l’on doit gérer des territoires importants ?
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Comment résoudre les difficultés à effectuer des transversalités entre les services de la Ville de Bruxelles ? Peut-on ancrer sur des territoires des services vraiment pluridisciplinaires tels que devraient l’être les responsables des Agenda 21 locaux ? Et comment organiser concrètement cette transversalité ?
1 Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire. juin 2001. Les principes de la gouvernance au XXIe siècle
Références
Animer et gérer des processus participatifs, Méthodes et outils d’animation, collaboration Habitat et Participation - CREAT, 2007
Grille d’analyse pour les processus participatifs
10 principes de bonne gouvernance passés au crible d’expériences en matière d’habitat et de gestion des déchets au Congo, au Cameroun et en Belgique, étude ASSOAL, décembre 2011
En savoir plus
Sommet de la Terre à Rio, juin 1992, Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement : Sommaire du programme Action 21
Bruxelles Environnement est l’administration de l’environnement et de l’énergie en Région de Bruxelles-Capitale
Plan régional de développement durable
Bruxelles participation (maison de la participation)
Quartier de Neder Over Heembeek, coordination sociale du quartier, plateforme associative