Le périurbain, territoire de la droite ?

Eric Charmes, October 2015

Dans de nombreux pays, l’habitat individuel et avec lui la résidence en périphérie des villes sont considérés comme le ferment potentiel d’un vote à droite ou conservateur. Cette association fait fond sur l’idée que la ville est le lieu du progrès social et intellectuel, où les individus s’ouvrent à de nouvelles idées. De ce point de vue, la faible densité et la spécialisation fonctionnelle des espaces pavillonnaires périurbains paraissent mettre en danger le potentiel progressiste de la ville. La promotion du progrès social et intellectuel étant étroitement associé aux idéaux de la gauche, il paraît logique de penser que le choix de l’habitat individuel et plus encore de l’habitat en banlieue résidentielle ou dans le périurbain exprime une préférence pour la droite, voire que la vie périurbaine favorise une éthique droitière.

Plusieurs éléments appuient cette thèse. Aux Etats-Unis, la suburbanisation est étroitement liée à la crise fiscale qu’ont connue les grandes villes à partir des années 1960 (voir La clubbisation n’est pas la sécession). Pour beaucoup de familles qui migraient vers les périphéries, il ne s’agissait pas seulement de fuir un environnement physique et social jugé malsain, il s’agissait également de payer moins d’impôts et de s’en réserver le bénéfice. D’une certaine manière, la suburbanisation exprime une préférence pour de petits espaces verts privés, financés individuellement par chaque famille, plutôt que pour des espaces verts ouverts à tous, financés collectivement, chacun contribuant en fonction de ses moyens. Loin la logique collective qui domine dans les centres, la maxime morale des suburbanites semble être « chacun pour les siens ». Ce sécessionnisme fiscal a paru s’accentuer et s’étendre hors des frontières des Etats-Unis, avec la généralisation de la fermeture des nouvelles copropriétés pavillonnaires, devenues gated communities (Walks, 2010).

En France, quoi qu’il en soit, la droite domine largement le paysage politique. Dans certains secteurs périurbains, c’est même l’extrême droite qui domine. Et plusieurs géographes (Lévy, 2013) établissent un lien entre lieu de résidence et vote non seulement en faveur de la droite, mais aussi de l’extrême droite. Jacques Lévy voit dans ces votes un argument empirique fort en faveur de ses thèses sur le défaut « d’urbanité » du périurbain (voir Des périurbains anti-urbains ?). Autrement dit, pour Jacques Lévy, les périurbains qui votent Front national expriment des valeurs cohérentes avec leur choix de vivre dans un environnement qui ne favorise guère l’ouverture d’esprit.

Ces analyses sont très contestables. On peut tout d’abord souligner que dans l’Entre-deux-guerres le parti communiste français a connu d’importants succès aux élections municipales dans les quartiers pavillonnaires des « mal-lotis » (Fourcaut, 2000). Il ne s’agissait pas à proprement parler de quartiers périurbains, mais la densité y était faible et la diversité fonctionnelle limitée. Plus récemment, dans les années 1970, le parti socialiste a accompagné l’installation de nombreux ménages des nouvelles classes moyennes dans le périurbain (voir Le périurbain : espace des classes moyennes ?).

Aujourd’hui, les votes des périurbains sont très divers, reflet d’une sociologie elle-même très diverse (Girard et Rivière, 2013). A Châteaufort par exemple, commune périurbaine verdoyante et bien située des Yvelines (voir Châteaufort : commune prisée des Yvelines), les habitants ont très peu voté pour Marine Le Pen, qui a obtenu 6,83 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. L’orientation politique dominante va vers le centre-droit avec une préoccupation marquée pour l’environnement, reflet du fort engagement des Castelfortains dans la création du parc naturel régional de la Vallée de Chevreuse. Et Châteaufort n’est qu’un exemple. D’une manière générale, les populations périurbaines les plus aisées votent d’abord pour l’UMP et le centre droit. Dans d’autres communes périurbaines, on vote majoritairement à gauche, parfois même significativement pour le parti communiste, notamment dans les territoires qui accueillent de longue date des industries. On s’abstient aussi beaucoup.

Sources

FOURCAUT, Annie, 2000, La banlieue en morceaux: la crise des lotissements défectueux en France dans l’Entre-deux-guerres, Créaphis.

GIRARD Violaine et Jean RIVIERE, 2013, Grandeur et décadence du “périurbain”. Retour sur trente ans d’analyse des changements sociaux et politiques, Métropolitiques, en ligne

GUILLUY Christophe, 2010, Fractures françaises, François Bourin

LEVY Jacques, 2013, Liens faibles, choix forts, La vie des idées, en ligne

WALKS Richard Alan, 2010, Electoral behaviour behind the gates: Partisanship and political participation among Canadian gated community residents, Area, vol. 42, n° 1, p. 7-24.