Des paysans et des encadreurs de l’Etat entrent en concurrence au Burkina Faso

Bernard LECOMTE, Brigitte REY, novembre 1996

Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)

Cette fiche est basée sur une interview de Pierre Bicaba par Mamadou Goïta à Mbalmayo, au Cameroun, en mars 1996. Pierre Bicaba aborde la question de la relation de son association avec les agents d’encadrement du ministère de l’Agriculture.

Pierre Bicaba, président de l’Union Provinciale des Producteurs de coton et de Céréales du Mouhoun, fondée en 1993 par des groupements existants de longue date, décrit la relation de son association avec les agents d’encadrement du ministère de l’Agriculture :

« Notre premier opposant était le CRPA (Centre Régional de Promotion Agro-Pastorale). Ses agents pensaient que c’étaient à eux de créer des unions de groupements et que cela ne devait pas être une initiative paysanne. On a eu des problèmes avec ces gens-là, surtout au niveau des agents d’encadrement sur le terrain. On leur disait qu’il fallait réadapter l’appui technique, que nous avions dépassé la vulgarisation de la culture attelée et que le semis en ligne n’était plus quelque chose qu’il fallait apprendre aux paysans de nos départements. Il fallait voir autre chose. Au niveau du pays, il y a ce qu’on appelle le Programme National de Vulgarisation Agricole (PNVA, sur prêts de la Banque Mondiale financés dans les pays d’Afrique de l’Ouest). Nous, les producteurs de l’Ouest, on pense que cela nous pénalise parce qu’il y a déjà eu la vulgarisation de la culture du coton, à l’ouest; après il y a eu la vulgarisation de la culture du maïs, encore à l’ouest; nous sommes en avance par rapport aux autres régions du pays.

Mais on nous a dit que tous les paysans du Burkina devaient aller ensemble et nous, on nous a stoppé. Cette vulgarisation actuelle de la culture attelée, nous l’avons dépassée et les semis en ligne aussi. C’est cela maintenant que le pays est en train de faire. Nous on a dit non, il faut suivre l’évolution des paysans par étape, selon les régions. Mais comme c’est un programme national, eux ne peuvent pas aller en travers de cela; ils sont bloqués. Or, on ne peut pas décider de cela dans les bureaux. On doit venir sur le terrain et demander aux paysans quels appuis ils ont réellement besoin. A partir des données que nous avons !

Alors, on essaie de voir ailleurs si on peut avoir d’autres formations. Par exemple, nous avons un problème de gestion. Ce sont les CRPA qui ont créé les groupements mais il n’y a pas eu de formation en gestion et les groupements sont laissés à eux-mêmes. Nous leur avons demandé cette formation mais ils ne sont pas en mesure de la donner. Quand ils voient que des paysans ont des documents qui ne viennent pas du CRPA, ils ne veulent pas entendre ça. Donc, le problème demeure. Nous sommes en train de voir dans quelle mesure on pourrait avoir un entretien avec eux pour essayer de définir ensemble une démarche d’appui. Sinon, pour le moment, on les considère comme des rivaux puisqu’on arrive à donner des formations aux producteurs sans passer par eux. Alors ils disent que ce sont eux qui devraient nous donner des formations et que si on veut programmer celles-ci, il faut venir les voir.

Un autre exemple : à la rencontre du président de la République avec les paysans à Djibo, les producteurs, à travers l’UPPM, devaient envoyer des représentants. Quand on a appris cela, j’ai envoyé mon vice-président pour voir le directeur du CRPA. Il a dit que c’était lui qui faisait le choix; que nous, l’UPPM, même si on était représentatif, il n’était pas obligé de tenir compte de nous pour choisir les producteurs. On a répondu : « L’UPPM, ce ne sont pas tous les producteurs de la province. Et les éleveurs et les artisans ne sont pas avec nous, mais au moins, les trois producteurs, c’est nous qui devons les choisir ». On s’est tiraillé; il a dit non.

Il faudra que nous ayons des réunions avec eux et que nous cherchions comment créer un climat de confiance entre nous. C’est la première des choses. Puis voir, en fonction de nos objectifs, s’ils peuvent nous donner un appui et si (comme ils disent que ce sont eux qui doivent nous donner des formations) ils ont des compétences dans le domaine et pas de contraintes avec l’État. Nous, on ne voit pas pourquoi on va refuser de collaborer avec eux, d’autant plus que cela nous arrange puisqu’en principe les formations qu’ils donnent sont payées par l’État et sont donc gratuites. Alors que, quand vous allez vers les bailleurs de fonds, ils vous demandent une contribution. Une collaboration entre nous et le CRPA est nécessaire, indispensable ».

Commentaire :

Des paysans qui deviennent responsables, créent leurs unions, négocient avec des acteurs divers, c’est un phénomène nouveau et difficile à accepter pour les organismes d’encadrement habitués à tout mettre en place eux-mêmes. D’autant plus dans les zones cotonnières où la majorité des groupements « ont été créés » il y a 10 à 15 ans à la demande de l’encadrement. Un point sensible de l’évolution de la relation est l’accès des « producteurs » à des formations autres que techniques, domaine de faible compétence des encadreurs, et à des sources d’information et de formation autres que celles de l’organisme.

Un point à analyser : en exigeant des apports propres de la part des organisations paysannes pour assurer une formation, les intervenants privés ont-ils ou non raison ?

Références

GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement)

La relation entre les paysans, les techniciens de l’Etat et les centres de recherche, entretien de Christophe Vadon avec Pierre Bicaba. 16 juillet 1998.

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