Qui doit gérer l’espace public ?
Quand la municipalité et les habitants se battent autour de la gestion d’un espace public
Sidiki Abdoul Daff, avril 1999
Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)
Ce texte fait partie d’un dossier préparatoire au forum des habitants qui s’est tenu à Windhoek, Namibie (12-18 mai 2000) dans le cadre du sommet Africités. Il est inspiré d’un entretien avec Ibrahima NDIONE, secrétaire Général de l’Amicale des Jeunes des Champs de Courses (Médina Gounass).
Médina Gounass est une commune d’arrondissement située dans la ville de Guédiawaye, une banlieue de Dakar. Cette commune très peuplée, avec plus de 50 000 habitants, est essentiellement occupée par des ruraux d’origine ayant fui la sécheresse de la fin des années 60. Ils ont aménagé cet espace inondable (une cuvette) peu favorable à l’habitat humain avec leurs propres moyens et savoir-faire sans aucune assistance des pouvoirs publics. Dans la terminologie officielle, les quartiers sont qualifiés de « flottants » ou « irréguliers » car n’entrant pas dans les normes urbanistiques légales.
Les populations sont confrontées à des difficultés dont l’assainissement, l’évacuation des ordures et des eaux usées et les inondations pendant la saison des pluies. Ainsi certains habitants sont obligés de déménager temporairement du fait des eaux pluviales. Le service public minimal (éclairage public, assainissement, évacuation des eaux usées et des ordures, accès à l’eau potable etc.) dévolu légalement à la municipalité est presque inexistant.
Pour affronter ces problèmes, les habitants ont créé des associations qui organisent des mobilisations populaires pour ramasser les ordures qui sont utilisées pour remblayer les zones inondables. Parfois ils achètent des immondices venant d’autres quartiers de la ville pour combler leurs maisons ou les nids de poule sur la voirie. Aussi sont-ils régulièrement victimes d’épidémies de paludisme, de dysenterie, de choléra etc. Or cette commune ne dispose que d’un seul dispensaire très sollicité et sous-équipé, accessible à mi-temps car occupé par les eaux pendant l’hivernage (3 à 5 mois).
Pour améliorer la couverture médicale, le pouvoir municipal décide, avec le soutien d’une ONG, sans information ni participation des habitants, de construire un nouveau centre médical sur le seul terrain de jeu dont disposent les jeunes. Cette initiative, apparemment salutaire, va au contraire soulever une vive opposition de la part des habitants qui y voient une volonté de la municipalité de s’accaparer leur dernier espace public pluri-fonctionnel car servant non seulement de lieu de jeu mais aussi d’espace de rassemblement lors de certaines fêtes civiles ou religieuses. D’ailleurs elles soupçonnent le Maire de vouloir construire un marché et non une infrastructure médicale. Elles sont d’autant méfiantes que la municipalité est confrontée à beaucoup de litiges similaires avec d’autres quartiers où des espaces ont été transformés en marchés qu’elle a mis en location pour renflouer les caisses municipales.
La combinaison de tous ces facteurs engendre un conflit ouvert à cause de l’absence de communication et de confiance entre les élus et les habitants. Le pouvoir municipal (le Maire en particulier) estime qu’il n’a pas besoin de l’aval des populations car il est dépositaire de la légalité. Ces dernières, au nom de la protection de leur cadre de vie, dénient à l’autorité le droit de modifier cet espace public sans leur implication et ce quel que soit l’ouvrage à créer. Les jeunes, qui sont au devant du combat avec le soutien de toutes les catégories d’âge, détruisent nuitamment les ouvrages ou occupent le terrain pour empêcher les travaux. La police appelée à la rescousse par le Maire pour veiller à l’exécution des travaux rencontre une vive opposition physique de la part des habitants.
De guerre lasse, la municipalité a suspendu le projet en attendant de trouver un rapport de force favorable ou l’aboutissement heureux des négociations que certaines bonnes volontés ont pu susciter.
Ce conflit est symptomatique d’une autorité mal appliquée. Une autorité ne peut s’appliquer que si elle est volontairement acceptée c’est-à-dire si elle est conférée par ceux sur qui elle s’exerce. Ce n’est pas seulement l’élection au suffrage qui la fonde. Un pouvoir légal doit aussi se forger une légitimité par une gestion transparente des municipales et la promotion de la participation des différents acteurs de la ville.
Les conditions de cette participation et de la mobilisation existent car certaines tâches dévolues légalement à la municipalités (ramassage des ordures, entretien de la voirie etc.) sont remplies en cas de carence de cette dernière, par les habitants sans aucune contrepartie. Les autorités municipales ont en face d’elles des populations prêtes à participer à la construction de la ville : elles ne demandent dans ce cas qu’à être associées à la gestion de l’espace public urbain. Ces conditions sont idéales pour un élu performant qui est avant tout un acteur de participation et un mobilisateur.
Même si le centre médical est un besoin ressenti par les habitants, l’absence d’information et de participation a entrainé un blocage de l’ouvrage. Faire sans les habitants est porteur de conflits parfois aux dimensions incommensurable. Les actes de destruction des travaux organisés par les populations, que certains appellent « incivisme » peuvent aussi être compris comme un appel à la cogestion de la planification urbaine. En l’absence d’une communication ouverte et franche entre habitants et élus, les moyens d’expression populaires peuvent prendre des formes défiant la légalité. Il appartient aux autorités d’analyser ce message pour en comprendre le contenu.
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CERPAC (Centre d’Etudes et de Recherches Populaires pour l’Action Citoyenne)